La liberté sexuelle n’est pas le viol par Caroline Fourest

Article paru dans l’édition du 10.10.09
La saillie de Marine Le Pen contre Frédéric Mitterrand a de quoi mettre mal à l’aise. Même ceux que les propos du ministre de la culture et l’élan artistique autour de Roman Polanski ont choqués. Comme pour Clearstream, il ne sortira rien de bon de cette affaire. Une grande confusion, beaucoup de boue, un goût amer impossible à vidanger… C’est le lot des polémiques où le jugement de l’opinion précède un procès.

Le cinéaste va affronter ses juges. Il était temps. Seul un prétoire permet d’examiner en profondeur le déroulé des faits et la version de chacun. La victime a-t-elle été droguée en vue d’être violée ? L’agresseur était-il lui aussi sous l’emprise de stupéfiants ? Est-ce un comportement isolé ? La sanction est censée tenir compte de tous ces éléments. Il sera temps de dire, au vu du procès et du verdict, si la peine prononcée est justifiée.

Mais le prétoire médiatique n’a pas le temps d’attendre. Il tourne à plein régime. Ses règles sont moins formelles. Des apprentis procureurs en profitent pour faire de la surenchère. La dynastie Le Pen s’y connaît. En citant un extrait de La Mauvaise Vie, de Frédéric Mitterrand, pour exiger sa tête, Marine Le Pen a commis un réquisitoire empoisonné, qui feint de tout mélanger : le viol et la prostitution, la pédophilie et l’homosexualité.

Dans le livre incriminé, celui qui n’est pas encore ministre ne parle d’aucun acte sexuel sur mineur. Il explique, au contraire, avoir refusé un jeune garçon que lui proposait un proxénète. Sa confession est ailleurs. Dans le fait d’avoir une image si dégradée de lui-même qu’il pense devoir payer. Sans se faire la moindre illusion sur ce rapport inégalitaire qu’est la prostitution, même entre hommes majeurs. Il ne glorifie rien, parle de « mauvaise vie », et se livre au jugement. Faut-il interdire ces confessions ? Purger la littérature de chaque ligne où l’on parle d’actes sexuels tarifés ? Cela ne ferait pas disparaître la prostitution… L’exploitation se nourrit bien mieux de l’ombre que de la lumière.

Soyons clair : la prostitution, surtout en Thaïlande, représente une forme sauvage de marchandisation. Mais ce n’est pas toujours du viol. Si sordide soit-elle, la prostitution entre majeurs ne peut être mise sur le même plan qu’un viol sur mineur. Ni devant un tribunal ni dans l’arène médiatique. L’amalgame aurait-il eu la même saveur si l’auteur de La Mauvaise Vie était hétérosexuel ? Sans doute pas. Marine Le Pen n’a eu qu’à murmurer pour allumer un incendie imaginaire. En l’occurrence, une tradition judéo-chrétienne ayant choisi d’amalgamer homosexualité et pédophilie… Qu’importe la malhonnêteté du procédé. L’essentiel n’est-il pas d’incarner la colère populaire contre l’élite décadente, perverse et violeuse ?

Dans une autre émission, plus ancienne, la vice-présidente du Front national a cru bon d’exhumer les lignes d’un certain Daniel Cohn-Bendit sur la sexualité des enfants. Son auteur les a maintes fois regrettées. Il a critiqué la position de Frédéric Mitterrand et souhaite voir Polanski jugé. Mais la tentation est grande de profiter de toute cette boue pour faire le procès de Mai 68 et de la libération sexuelle. Comme si Marc Dutroux et tous les violeurs d’enfants étaient des soixante-huitards accomplis… Comme si la pédophilie n’était pas constituée à 90 % de cas d’inceste commis par de bons pères de famille, que le patriarcat et la domination masculine ont rendus tout-puissants.

Loin d’avoir libéré les pulsions de viol, Mai 68 a libéré la parole contre le viol. Les féministes s’en sont saisies pour dénoncer l’exploitation sexuelle et la sexualité non consentie. Aucun violeur, fût-il cinéaste, ne peut s’en revendiquer. Roman Polanski ne le fait pas. Pas plus que la prostitution, le libertinage n’a donc à être mêlé à cette affaire. Ce n’est pas l’émancipation, mais la domination qui conduit au viol. C’est donc la domination, et non l’émancipation sexuelle, qu’il faut juger.

Caroline Fourest

La Suisse, Kadhafi et Polanski par @sinaute suisse

A propos de l’arrestation de Roman Polanski, un de nos @sinautes suisses, IT, a posté dans les forums la réaction suivante :

« Je suis incapable d’avoir un point de vue parfaitement objectif sur l’affaire. Polanski est l’un de mes deux ou trois réalisateurs préférés, et un bonhomme qui m’a toujours inspiré de la sympathie. Mon premier contact avec cette affaire a été par le truchement de son auto-biographie, où il la relatait comme un véritable guet-apens (âge indistinct, mœurs et attitudes très peu innocentes de la mère et de la fille). Il m’a fallu du temps pour réaliser que cet évènement anecdotique aux yeux des européens définissait le personnage aux yeux des américains.

Il y a une année, une votation populaire effroyablement démagogique et imbécile a supprimé la prescription des crimes sexuels sur mineurs. Aux yeux de la populace, la question est simple. Le méchant de bande dessinée doit pouvoir être rattrapé par le cavalier blanc 172 ans après les faits, pour que Justice Soit Faite et que le générique puisse se déployer sur un happy end cathartique. Aux yeux des enquêteurs, après 30 ans les témoignages ne sont plus assez solides, et la recherche de la vérité devient dangereusement impossible. Aux yeux des philosophes, après 30 ans, la personne n’est plus la même, elle se retrouve punie pour celle qu’elle a été. Aux yeux des juristes, les catégories que la nouvelle loi imposait sans les préciser (nature du crime, maturité sexuelle) n’étaient pas fonctionnels. Qu’à cela ne tienne. Ces considérations d’intellos pesaient peu en regard du « bon sens » des foules assoiffées de justice simpliste.

Il y a trois mois, le fils du dictateur Kadhafi était arrêté à Genève pour maltraitance envers ses domestiques (coups et blessure répétés). La Libye a exercé une telle pression sur la Suisse -sanctions économique, capture de deux otages suisses- que les autorités ont désavoué la police genevoise, et ont présenté leurs plates excuses au dictateur (qui, entre-temps, en Libye, semble avoir fait « disparaitre » en représailles le frère du domestique). Aujourd’hui encore, les manifestations d’obséquiosité vis-à-vis de Kadhafi s’accumulent, alors que celui-ci s’amuse d’autant plus à humilier la Suisse pour avoir menacé un instant l’impunité arrogante de son ordure de rejeton. Les deux otages suisses ne sont toujours pas libres.

Bref, nous avons d’un côté une Suisse ridiculisée sur le plan international pour sa flagornerie envers la famille Kadhafi, et d’un autre côté une nouvelle loi inepte qui rend les crimes sexuels imprescriptibles (et, selon un ami juriste, donne plus de poids à cette demande américaine). Les deux aspects qui me choquent sont :
L’indulgence obséquieuse de l’Etat suisse pour les crimes actuels de la famille Kadhafi, face au zèle porté à l’arrestation de Polanski pour une aventure sexuelle vieille de 30 ans. Je ne peux pas ne pas y voir une sorte de sur-compensation ridicule, et vaguement infâme.

– L’hypocrisie des discours des politiques suisses sur la question, qui n’hésitent pas à arguer aujourd’hui de la légitimité morale de cette imprescriptibilité après avoir appelé (à juste titre) à voter contre, et prétendre que la loi s’applique de la même façon à n’importe qui après avoir exprimé ses « excuses au peuple libyen pour l’arrestation injuste de diplomates libyens par la police de Genève ».

A titre personnel, l’affaire Polanski m’agace (d’autant plus que la « victime » désire voir les poursuites cesser). Mais plus largement, c’est le parallèle avec l’immonde affaire Kadhafi qui m’écœure le plus. Cette arrestation, qui ne ferait aucun sens dans un cadre juridique local, met d’autant mieux en perspective la lâcheté du gouvernement suisse envers la Lybie pour une arrestation valide (esclavagisme contemporain, maltraitance actuelle et assumée). Si l’on veut observer le schéma « selon que vous serez puissant ou misérable », il faut décaler le champ d’observation vers le haut, de façon a englober Polanski au bas de l’échelle (relative), et le fils Kadhafi au sommet. Pour ma part, j’espère qu’un anonyme dans l’exacte même situation de Polanski n’aurait pas été extradé…

Mais mon vote est minoritaire. »