Quelques mots sur l’affaire Polanski – Journal d’un avocat – 28/09/09

Prescription, vous avez dit prescription…? (chapitre I)

Par Sub lege libertas le Lundi 28 septembre 2009 à 18:05


Avant d’être au même diapason d’émotion que Frédéric Mitterrand et le Président Nicolas Sarkozy, selon ce ministre réagissant à l’arrestation de Roman Polanski, je me suis rappelé que toutes les semaines, je participais au jugement d’atteintes sexuelles sur mineurs et qu’il n’était pas si rare que les faits remontassent à plus d’une décennie, voire nous remissent en mémoire la France du Président Mitterrand, l’autre. Alors, sans émotion, remontons le cours du temps avec un petit cas pratique, toute ressemblance avec des personnages réels ou des faits ayant eu lieu n’étant pas fortuite.

Samantha est née le 28 février 1964. En mars 1977 elle a donc treize ans. Ses parents déposent alors plainte pour viol sur mineur de quinze ans, car elle leur dit avoir été ce mois-là droguée par un photographe né en 1933, qui l’a obligée dans cet état à avoir des relations sexuelles. Ses parents l’avait confiée à cet artiste de la chambre noire pour plusieurs séances, pour coucher sur papier argentique et mettre en lumière la beauté naissante de leur princesse. Une enquête de police commence. Le photographe est entendu, il reconnaît avoir couché avec la donzelle qu’il dit avoir pensée plus âgée et consentante. En septembre 1979, la procédure est clôturée et transmise au Parquet qui la classe sans suite.

Le Parquet reçoit ce jour un courrier de Samantha demandant que sa plainte soit reconsidérée. Elle est perturbée car elle croise de nouveau son agresseur devenu célèbre à ses yeux : il expose ses tirages dans le salon de coiffure chic où elle travaille. Elle “ne veut pas qu’un pédophile comme lui reste en liberté”. Sub lege libertas, votre procureur favori avec Gascogne, après un moment de rigolade nerveuse, s’interroge avec vous : est-ce prescrit ?

Trois éléments vont guider notre réflexion : la date des faits, la date de la majorité de la plaignante et la qualification possible de l’infraction. Les faits ont eu lieu en mars 1977. La qualification possible des faits est viols sur mineur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité. La notion d’autorité sur la victime paraît de prime abord pouvoir être retenue puisque les parents confiait la mineure à l’artiste… La majorité de la plaignante intervient le 28 février 1982.

Le principe général de prescription criminelle est fixé par l’article 7 alinéa 1 du Code de procédure pénale qui à la date des faits est la version issue de la loi n°57-1426 du 31 décembre 1957, entrée en vigueur le 8 avril 1958, publiée au JORF [1] le 8 janvier 1958 . On y lit ceci :

En matière de crime, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite.
S’il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu’après dix années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l’égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d’instruction ou de poursuite.

Donc dans notre cas, le dernier acte d’instruction ou de poursuite est le procès verbal de clôture et de transmission de la procédure au Parquet en septembre 1979. À compter de cette date, la prescription est donc acquise dix ans plus tard soit en septembre 1989. Mais, des règles spéciales de prescription pour les faits sexuels commis sur mineur ont été introduites par la loi du 10 juillet 1989.

L’article 7 du Code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi n°89-487 du 10 juillet 1989 publiée au JORF le 14 juillet 1989 contient désormais un alinéa 3 :

Lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription est réouvert ou court à nouveau à son profit, pour la même durée à partir de sa majorité.

La jurisprudence (classique) précise que cet alinéa ne s’applique qu’à des faits non encore prescrits lors de son entrée en vigueur le 14 juillet 1989. Donc dans notre cas, les faits étant prescrits en septembre 1989 soit après l’entrée en vigueur de ce nouvel alinéa, il s’applique : ainsi la prescription de dix ans se calcule à compter de la majorité de la plaignante et est donc acquise après le 28 février 1992. Bien sûr des lois depuis ont modifié encore cette règle, mais elles sont toute postérieures à la date à laquelle la prescription est acquise. Donc Sub lege libertas comme Gascogne peut s’exclamer avec Maître Kiejman, avocat d’un certain Roman Polanski qui croisa lui aussi en mars 1977 une Samantha qu’ “en France une affaire de ce type était prescrite au bout de 15 ans »[2] : 1977-1992.

Mais Sub lege libertas vient pour autant dire à Maître Kiejman que l’affirmation très générale “une affaire de ce type” est source de confusion. D’abord, car tout le raisonnement précédent ne tient que si une action judiciaire (instruction) n’a pas été ouverte après la plainte, sinon la prescription ne courrait qu’à l’issue de dix années après le dernier acte.

Et si ce dernier acte avait été un renvoi aux assises suivi d’un arrêt de condamnation par contumace (à l’époque), l’accusé étant en fuite, la situation vécue avant hier soir par Roman Polanski dans les alpages suisses serait la même en France si l’arrêt de condamnation par contumace était intervenu après le 23 septembre 1989 (prescription de la peine criminelle de vingt ans qui ne commence à courir que cinq jours après le prononcé).

Ensuite, cher maître Kiejman, votre affirmation ne se vérifie pas toujours pour des faits de cette nature datant d’avant les eighties, si nous faisons varier quelques données. Ceci est une autre histoire que je vous conterai par la suite.

Roman Polanski interpellé : pourquoi ça fait débat

Le 28 septembre 2009 – par Camille Polloni

Le cinéaste, âgé de 76 ans, a été arrêté le 26 septembre en Suisse pour une relation sexuelle avec une mineure de 13 ans qui s’est déroulée en 1977. Des artistes ont lancé une pétition.

Invité à recevoir un prix pour l’ensemble de sa carrière à Zurich, Roman Polanski a été arrêté dès son arrivée à l’aéroport. Le réalisateur est poursuivi par la justice américaine pour viol sur mineure, des faits vieux de trente ans. Les Etats-Unis ont quarante jours pour formuler une demande d’extradition à la Suisse.

Âgé de 43 ans en 1977, Roman Polanski a des relations sexuelles avec une mineure de 13 ans à Los Angeles. Les faits se déroulent à Los Angeles, dans la maison de Jack Nicholson prêtée pour une séance photo. La jeune fille accuse Polanski de l’avoir droguée puis violée. Il rejette cette accusation, affirmant que l’acte était consenti, mais admet le détournement de mineure et plaide coupable pour ce crime, passible de 20 ans de prison aux Etats-Unis. Début 1978, libéré sous caution dans l’attente du procès, il s’enfuit et ne remet plus jamais les pieds dans le pays. Il s’installe en France et acquiert la nationalité française.

Depuis trente ans, la justice américaine n’a pas abandonné les poursuites. L’arrestation de Zurich a entraîné le soutien de nombreux artistes, dans une affaire qui soulève plusieurs problèmes.

La question de la prescription

En France, la prescription dans les affaires de viol est de dix ans à compter de la commission des faits, sauf pour les victimes âgées de moins de quinze ans. Dans ce cas, elle court à partir de la majorité et pour vingt ans. Mais en Suisse comme aux Etats-Unis, les crimes sexuels sur mineurs sont imprescriptibles.
« Il n’y a pas de raison de ne pas exécuter un mandat d’arrêt international valable », a expliqué l’Office fédéral de la justice.

L’arrangement avec la victime
Outre « le problème de la prescription de l’action publique », l’avocat de Roman Polanski, Hervé Témime, a rappelé que « la victime supposée de l’infraction s’est désistée depuis de très longues années ». Samantha Geimer a publiquement demandé à ce que l’affaire soit classée, même si elle maintient ses accusations de viol. Elle a expliqué que l‘insistance avec laquelle le parquet de la ville exigeait le retour du cinéaste aux Etats-Unis tenait de la « mauvaise blague » dont elle faisait les frais.

Un procès peu équitable
Fin 2008, les avocats américains de Polanski relancent une demande de classement des poursuites à son encontre. Selon eux, de « nouveaux éléments de preuve » montrent que le juge (mort en 1993) et le procureur avaient commis des manquements. Les détails ont été décrits dans le documentaire « Roman Polanski: Wanted and Desired » de Marina Zenovich (2008). Le juge californien Peter Espinoza, reconnaît qu’il y avait eu « une faute professionnelle substantielle » du procureur et du juge, mais rejette la demande à cause de l’absence du cinéaste à l’audience.

Les conditions de l’arrestation
Pourquoi maintenant ? Des artistes du monde entier, parmi lesquels Costa-Gavras, Wong Kar-Wai ou Monica Bellucci dénoncent un « traquenard policier ». En effet, le réalisateur détient un chalet en Suisse, à Gstaad, dans lequel il séjourne régulièrement mais n’a jamais été inquiété. Les autorités suisses ont fait valoir qu’elles ne pouvaient prévoir ses séjours, alors que dans le cadre du festival, elles étaient averties de sa venue. La presse suisse, de son côté, évoque un échange de bons procédés entre la Suisse et les Etats-Unis. « Difficile de ne pas faire de rapprochement entre l’affaire UBS et l’arrestation surprise de Roman Polanski. La Suisse a-t-elle voulu faire plaisir aux Etats-Unis au risque d’un excès de zèle qui n’améliore guère son image de marque à l’étranger ? » s’interroge Le Matin.

La notoriété de l’agresseur présumé

Les prises de position publiques unanimes en faveur de Polanski semblent s’appuyer sur l’argument de l’œuvre accomplie. Au point qu’on en vient à se demander comment serait traité un personnage plus controversé qui se retrouverait dans la même situation. Bernard Kouchner déclarait par exemple ce matin sur France Inter : « C’est un peu sinistre, cette histoire franchement. Un homme d’un tel talent, reconnu dans le monde entier, reconnu surtout dans le pays qui l’arrête, tout ça n’est pas sympathique ». Le Temps : « Roman Polanski n’est pas n’importe quel fugitif. Son œuvre a touché le monde entier. Que l’on pense à son film Le Pianiste, qui fait le récit bouleversant de la survie d’un musicien dans le ghetto de Varsovie ? Roman Polanski, aujourd’hui âgé de 76 ans, a survécu lui-même au ghetto, à l’assassinat de sa première épouse par un serial killer puis à un lynchage médiatique après cette malheureuse aventure qu’il a eue un soir de l’année 1977 avec la fille, mineure, d’une actrice américaine ». Sympathique ou non, le conseiller fédéral suisse en charge de la culture, Pascal Couchepin, rappelle que « Grand artiste, grand politicien, grand écrivain, on est finalement tous égaux devant la loi ».