Le psychotraumatisme du sauveteur par le Pr. Louis Crocq

La photo de Louis Crocq provient du Cerdacc (Centre Européen de Recherche sur le Droit des Accidents et des Catastrophes) dont le site est mentionné dans le premier numéro du Bulletin de Victimologie Appliquée
psychiatre et docteur en psychologie, spécialiste des névroses de guerre.

professeur associé honoraire à l’Université René Descartes (Paris V), ancien président de la Section de psychiatrie militaire et de catastrophes de l’Association Mondiale de Psychiatrie, président fondateur de l’ALFEST (Association de Langue Française pour l’Etude du Stress et du Trauma), fondateur du Réseau national français des cellules d’urgence médico-psychologiques – CUMP.

18 janvier 2010
Comité National de l’Urgence Médico-Psychologique

I – Diversité des catégories de sauveteurs
A – Sauveteurs professionnels
Sapeurs-pompiers, Croix-Rouge, Protection Civile
B – Personnels médicaux professionnels
Service santé de sapeurs-pompiers, SAMU et SMUR
C – Sauveteurs occasionnels
Police secours, Armée,
Secours Catholique, ONG, citoyens volontaires

D’où : différences :
de formation, de compétence, d’expérience
de discipline, de capacité d’intégration.

II – Diversité des situations potentiellement traumatisantes
Classification
1 – Catastrophe naturelle
2 – Catastrophe accidentelle ou technologique
3 – Catastrophe de société (foules dans les stades, émeutes)
4 – Catastrophe de guerre (y compris l’attentat terroriste)
5 –Accident catastrophique à effet limité ACEL
6 – Accident très limité
7 – Accident à répercussion sociale (écoles)

III – Caractères psycho-sociaux des catastrophes

Toute catastrophe ou accident a une dimension psychosociale
elle apporte du malheur,
elle frappe des êtres humains,
elle altère le paysage humain,
elle sidère ou altère les réseaux :
d’eau potable, de nourriture, de soins médicaux, d’abritement, d’éducation, de maintien de l’ordre, de circulation des biens et des personnes, de communication, de gestion des cadavres, deproduction-distribution d’énergie

IV – Facteurs de stress et de trauma pour le sauveteur
1 – Facteurs événementiels
destructions, désorganisation, cadavres, blessés,
froid, chaleur, bruit, fumée, poussière
appels, pression des familles, présence des médias
2 – Facteurs occupationnels
insécurité et inconfort du poste
dépense physique et mentale, pression temporelle
3 – Facteurs organisationnels
tâche trop lourde, responsabilité inhabituelle
contraintes administratives, difficulté d’insertion
4 – Facteurs personnels
personnalité, caractère, motivation, soucis,
résonance personnelle, seuil de tolérance.

V – Situation du sauveteur
pendant les phases successives de la mission
Périodes successives
1- Mobilisation, préparation, transport
2 – Immersion sur le site
3 – Exécution de la mission
4 – Fin de mission
5 – Retour et compte rendu
6 – Reprise de la vie professionnelle et privée

Lors de l’immersion sur le site, le sauveteur se trouve plongé dans le malheur, face à la souffrance et à la mort d’autrui, avec une tâche à accomplir, dans l’urgence.

Turquie, 17août 1999 – immersion sur le site
contact avec la détresse et la souffrance
New York, 11 septembre 2002
poussière, insécurité du poste de travail, épuisement
Alger, Bab-el-oued, glissement de terrain, 2003
sauvetage au milieu de la foule et des curieux
Tsunami, Thaïlande, Décembre 2004
transport des cadavres
Crash d’avion à Maracaïbo, août 2005
Ramassage des débris humains
Louisiane, ouragan Katrina, 12 septembre 2005
tâche trop lourde : grand nombre de rescapés

VI – Différence entre stress et trauma

Le STRESS désigne la réaction bio-physiologique immédiate
réflexe, adaptative, quoique grevée de symptômes gênants

Le TRAUMA désigne un phénomène psychologique :
– d’effraction des défenses
– de confrontation avec le réel de la mort et du néant
– sans possibilité d’y répondre par l’action, la parole, la pensée,
– sans possibilité d’y attribuer un sens

Trauma = vécu d’effroi, d’horreur, d’impuissance, d’abandon,
arrêt de la pensée, trou noir, déréalisation, désorientation,
parfois honte et culpabilité

VII – Réactions immédiates
1 – Le stress adaptatif
focalise l’attention, mobilise les capacités, incite à l’action
2 – Le stress dépassé
a – sidération (inhibition, ralentissement, perte de contact)
b – agitation (désordre, perturbe les autres)
c – fuite (abandon de poste, recul devant l’obstacle)
d – action automatique (gestes mécaniques, pas adaptés au cas)
3 – Les réactions franchement pathologiques
névrotiques : anxieuse, phobique, hystérique
psychotiques : confusion, délire, maniaque, mélancolique
4 – Deux attitudes de défense chez le sauveteur, imparfaites
– se concentrer sur le geste technique, agir en automate
– s’agglutiner aux camarades, craindre d’agir seul

VIII – La période post-immédiate

(durée : 2 jours à 1 mois)

A – Post-stress normal
– sensation transitoire d’épuisement-soulagement
– prise de distance vis-à-vis de l’événement
– reprise d’activité professionnelle
– réinsertion harmonieuse en milieu familial

Emaillé parfois de Décharges émotives différées
– abattement, dépression, crise de larmes
– excitation, agitation, irritation, altercation
– débâcle neuro-végétative

(durée : 2 jours à 1 mois)

B – Entrée dans la névrose traumatique
Phase de latence (méditation, contemplation, rumination)
– persistance des symptômes de déréalisation
– premières reviviscences (visions, cauchemars)
– difficulté d’endormissement
– fixation mentale sur l’événement
– difficulté à reprendre le travail
– difficulté à se réinsérer dans la vie familiale

euphorie excessive ou retrait perplexe
Epuisement de fin de mission

IX – Période chronique

(plus de 3 mois, chronique)

A – Etat de stress post-traumatique, névrose traumatique

1 – Symptômes de reviviscence
visions hallucinatoires, cauchemars, vécus comme si…
(spontanés ou provoqués par un stimulus)

2 – Symptômes névrotiques généraux
asthénie physique, psychique et sexuelle, anxiété
phobies et rituels obsessionnels, tr. psychosomatiques
tr. des conduites (tabac, alcool, agressivité)

3 – Altération de la personnalité
attitude d’alerte, sursauts, évitements
perte de motivation, retrait du monde
égocentrisme, impression de ne pas être compris

B – Epuisement professionnel (Burn out)

Correspond en partie à une névrose traumatique par accumulation de micro-traumas

baisse de l’attention et de la concentration
dépression (plus que l’anxiété)
perte de motivation,
irritabilité, repli social
épuisement physique et mental
fautes professionnelles

X – Prévention-thérapeutique

A – Prévention à long terme
Sélection, formation (initiale et permanente)
– éducation,
– information,
– instruction,
– entraînement
On y inclura une information sur le stress et son contrôle

B – Prévention à court terme
Information sur la mission
Définition précise de la tâche
S’assurer que les équipes sont cohérentes

Tsunami – Thaïlande, décembre 2004
Briefing – répartition des tâches

C – Soutien pendant la mission
Plages de repos
Surveillance des comportements
Intervention ponctuelle d’un psy (defusing)

D – Soutien au décours de la mission
Defusing (immédiat)
Débriefing technique
Debriefing psychologique

E – Suivi à long terme
consultation médicale
consultation psychiatrique ou psychologique

XI – Principes du débriefing psychologique du sauveteur

1 – Créer un sas intermédiaire entre l’anormal et le normal
2 – Conforter le sujet dans sa personne et sa fonction
3 – L’inviter à verbaliser son vécu (cognitif et affectif)
4 – L’informer sur ses symptômes passés, présents et à venir
5 – L’aider à gérer l’impuissance, l’échec et la culpabilité.
6 – Mettre à plat et réduire les tensions et conflits de groupe,
7 – L’aider à se réapproprier l’événement
8 – Le préparer à affronter son milieu social antérieur
9 – Détecter les cas qu’il faudra suivre ultérieurement
10 – Aider le sujet à mettre un point final à son aventure.

XII – Indications du débriefing

1 – Après un événement ou un incident critique (potentiellement traumatisant), pas un fait de routine

2 – Quand doit-on débriefer ?
Idéal : entre le 2ème et le 10ème jour ( sortis de l’effervescence émotionnelle, pas encore enfoncés dans la pathologie)
Mais la situation peut imposer des variantes

3 – Qui doit être débriefé ?
Ceux qui ont été impliqués, présents, (dans le même événement, en même temps et au même lieu),
sinon, on fait un groupe de parole
On leur propose, ce n’est pas obligatoire.

4 – Où débriefer ? Si possible en dehors de l’institution

5 – Qui doit debriefer ?
Psychiatre ou psychologue clinicien formé aux debriefings psychodynamique
Autre psychologue ou acteur de santé mentale formé au debriefing simple
Médecin urgentiste, généraliste ou du travail, formé au debriefing simple
Officier (police, pompiers, pairs) ou cadre motivé et formé au debriefing simple
Personnel spécialisé en ressources humaines ou conseil de crise (cabinets conseils) ayant reçu une formation adéquate

Le débriefer doit être extérieur à l’institution (confidentialité : un personnel interne – médecin, psychologue – sera toujours suspecté et pris entre deux feux) ou au moins non impliqué dans l’événement.