Alice Miller : Ta vie sauvée enfin

Inlassablement, livre après livre, Alice Miller assène des convictions qui, pour simplistes qu’elles puissent paraître, n’en sont pas moins éloquentes. Si l’entrée qu’elle nous propose pour comprendre le fonctionnement humain peut parfois sembler réductrice, elle reste néanmoins essentielle. Et il est vrai que, malgré les progrès des droits de l’homme en général, et ceux des enfants en particulier, une réalité continue à s’imposer à travers le monde: battre un adulte constitue une infraction à la loi, là où le faire à un enfant relève d’une option éducative. Or, un enfant qui est attaqué par le parent dont il attend surtout qu’il le protège des attaques, développe en lui la conviction que la brutalité et la violence sont légitimes. C’est dès la grossesse que le bébé réagit à la tendresse tout autant qu’à la cruauté. À la naissance, il est un petit paquet de besoins. La façon dont les parents vont y répondre va déterminer ce qu’il deviendra une fois grand. Celui qui connaît l’affectueuse sollicitude, le respect, la compréhension de la part des adultes ne développera pas le même caractère que celui qui se trouve négligé, méprisé ou rejeté. Si le mal existe bien chez l’être humain — le spectacle de la destructivité et de l’auto-destructivité qu’offre quotidiennement notre monde en est l’illustration — ce mal n’est pas inné. Il n’est marqué par aucune prédestination et contrairement à ce qu’affirmait Freud n’est pas la résultante d’une incapacité à sublimer cette pulsion de mort avec laquelle chacun est sensé naître.

C’est le dressage à l’obéissance, les corrections brutales et l’humiliation subis par le petit d’homme qui bloquent la faculté innée à la compassion et prédisposent à la violence chez l’adulte. «L’avilissement constant de l’enfant peut donc produire un adulte devenu mégalomane et avide de se venger sur des innocents de ce qui lui a été infligé» (p.72).

Pour autant, si tout bourreau a été victime de maltraitance dans son enfance, tout enfant maltraité n’est pas condamné à devenir à son tour un bourreau. Cela dépend d’abord des rencontres qu’il fait avec des «témoins secourables» susceptibles de compenser le message violent qu’il reçoit. Mais cela dépend aussi de sa capacité à témoigner de l’empathie à l’enfant qu’il fut. Trop souvent, les parents étant intouchables, on ne peut s’indigner de leurs comportements. On peut les dénier en ne reconnaissant simplement pas ce qu’ils ont commis. Mais, même lorsqu’on admet avoir été victime, la première préoccupation n’est pas de s’occuper de nos ressentis d’alors, mais de leur trouver des excuses et d’affirmer systématiquement qu’on leur pardonne. La légitime colère que l’on ressent à leur égard est réprimée. Et c’est bien ce reniement qui sert de bouillon de culture pour toutes sortes de maladies et qui peut, tout autant, provoquer le déchaînement de la totalité des émotions ainsi refoulées sur des proches, voire sur des boucs émissaires.

Jacques Trémintin
sur le
site Lien Social

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1/ Ta vie sauvée enfin

2/ Pardon nocif

3/ « Tu dois t’aimer toi-même »

4/ Ecrire pour laisser émerger la véhémente indignation

5/ Arrêter la reproduction du sadisme parental

André Gide : Souvenirs de la cour d’assise – 1912

Deux témoins aux assises


Article
publié le 24 Mai 2009
Par Pascale Robert-Diard

Source : LE MONDE
Taille de l’article : 695 mots

André Gide juré, Jean Giono chroniqueur de l’affaire Dominici : la littérature dans les prétoires.
Rouen, mai 1912. Parmi les jurés tirés pour la session de la cour d’assises figurent un notaire, un architecte, un instituteur retraité,
plusieurs commerçants, des ouvriers, des cultivateurs et André Gide. L’écrivain a 42 ans. Il a insisté auprès du maire de sa commune pour être inscrit sur la liste. Les tribunaux, confiait-il, avaient toujours exercé sur lui « une fascination irrésistible ». L’expérience allait le marquer au-delà de ce qu’il pressentait.
…/…
« A présent, je sais par expérience que c’est une tout autre chose d’écouter rendre la justice ou d’aider à la rendre soi-même. Quand on est parmi le public, on peut y croire encore. Assis sur le banc des jurés, on se redit cette parole du Christ : Ne jugez point. (…) A quel point la justice humaine est une chose douteuse et précaire, c’est ce que, durant douze jours, j’ai pu sentir jusqu’à l’angoisse. »
…/…
Il y a cet homme, accusé du viol d’une fillette de 7 ans.
« J’ai déboutonné ma culotte et puis je le lui ai mis dedans.
– Et alors vous vous êtes livré sur elle à un mouvement de va-et-vient que la petite dit avoir duré fort longtemps.
– Oh ! non, monsieur le Président, pas plus de dix minutes. (…)
– Avez-vous (quelque chose à ajouter ? Exprimez-vous) des regrets ?
– No
n, m’sieur le Président. »
Il est évident pour moi que l’accusé n’a pas compris la seconde question, ou qu’il répond seulement à la première.

La petite vient à la barre, « on la fait monter sur une chaise pour qu’elle soit à la hauteur où la Cour est juchée, et que le président puisse entendre ses réponses ».

…/…

L’interrogatoire est achevé. Le malheureux fait de grands efforts pour suivre le réquisitoire de l’avocat général, dont on voit qu’il ne comprend de-ci de-là que quelques phrases. Mais ce qu’il comprendra bien tout à l’heure, c’est qu’il est condamné à huit ans de prison.

André Gide désigné comme jury raconte (à une époque où la loi n’interdisait pas de publier son témoignage) comment une fillette violée par son père monte sur une chaise pour se rappocher de l’oreille du juge sourd et exprime en criant ce qu’elle a subi. Tout le monde rigole et dit qu’on perd son temps avec ce phénomène si fréquent dans nos campagnes. Le père dit qu’il regrette et ne sera pas puni.

Préface de Boris Cyrulnik


Où Monsieur Cyrulnik a-t-il pris les mots et phrases que j’ai relevés en vert ?

J’ai rajouté en mauve les passages de la chronique d’André Gide permettant une compréhension totalement différente de celle de Boris Cyrulnik. E.T.