La blessure dans les Violettes sont les fleurs du désir de Ana Clavel

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Je ne sais plus comment nous étions entrés dans une pièce qui servait d’entrepôt, où, dans une grande caisse, s’entassaient des poupées encore nues, si bien que, grimpé sur un tabouret, il ne me fut pas difficile de les lui offrir les unes après les autres.
Je ne me rappelle pas lequel des deux eut l’idée de les poser assises par terre, mais c’est Naty qui, avec logique et naturel, ôta sa robe pour s’asseoir elle aussi telle une autre poupée. Dès qu’elle retira sa culotte à volants, avec mon aide car ses mouvements étaient plus maladroits que les miens, je découvris entre ses jambes quelque chose que je ne me rappelais pas avoir vu avant et qui me stupéfia. Incapable de détourner mon regard de ce mystère soudain, je murmurai :
– Tu es cassée… Puis, répétant comme en écho, moins pour accuser que pour dépasser et comprendre cette découverte, j’insistai à mi-voix :
Cassée-cassée-cassée …
Il est des choses que même les petites enfants comprennent, et Naty comprit : elle prit une poupée et lui redressa les jambes. Courbe, lisse, la surface en plastique ne laissait aucun doute : la poupée n’était pas cassée. 
Naty se leva et s’enfuit en sanglotant à grands cris. Mais dans mon souvenir je n’entends pas ses cris, je ne revois que sa mine inconsolable, sa bouche ouverte qui n’émet que des cris silencieux. Sa réaction m’effraya autant que de connaître le secret de sa blessure.
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Les violettes sont les fleurs du désir par Ana Clavel – relation incestuelle Père/fille

2/ Monsieur Récamier : « On pourra dire que mes sentiments pour la fille tiennent à ceux que j’ai eus pour la mère. »

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Volage, enjoué et entreprenant, M. Récamier est et demeurera un homme de sa génération, la dernière qui, au xve siècle, aura librement usé et abusé de la fameuse « douceur de vivre ».
Récamier, on l’imagine sans peine, séduit Mme Bernard. Il écrira quinze ans plus tard, dans une lettre à sa famille annonçant son mariage – lettre sur laquelle nous reviendrons : « On pourra dire que mes sentiments pour la fille tiennent à ceux que j’ai eus pour la mère. » Sentiments qu’il qualifie prudemment « d’un peu vifs, peut-être ». La litote entend déjouer par avance les objections lyonnaises à son mariage inattendu : car tout le monde devait être au courant de sa liaison avec Mme Bernard et l’effort qu’il fait pour en atténuer le souvenir ne réussit, au contraire, qu’à l’accentuer.
Rien de bien étonnant à cette mutuelle inclination, dans un milieu où commençait à s’installer une plus grande permissivité. Les formes étaient respectées, comme il était d’usage, en cela comme en tout, l’aristocratie donnant l’exemple, mais personne n’était dupe. 
Que ces deux jeunes gens – ils ont moins de vingt-cinq ans – brillants, beaux et non dénués d’arrivisme se soient entendus, c’est évident. Récamier a aimé Mme Bernard, il le reconnaît. Mme Bernard avait-elle un cœur ? C’est une autre question…
Dans ces conditions, il est parfaitement envisageable que Juliette ait été la fille de Récamier. Pour l’instant, cela ne fait pas problème.
Ajoutons que lorsque Mme Bernard aura prématurément disparu, Bernard, Simonard et Récamier resteront intimement liés, continuant de partager le même ménage ou, si l’on préfère, la même organisation domestique. À tel point, que le narquois Brillat-Savarin ne les évoquera jamais que réunis sous l’appellation générique de « pères nobles » 1

1. Extrait d’un manuscrit inédit de Marie-Antoinette Récamier (1754-1823) sur « Jacques-Rose Récamier le banquier et sa femme », écrit en 1813 ou 1814. (Manuscrits B.N. Fonds Récamier, NAF 14088.)

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