Sylvie Karas est présidente de cour d’assises depuis cinq ans. Un procès d’inceste, « c’est dur, c’est violent », dit-elle, mais elle compte désormais sur son expérience pour, en chef d’orchestre, « jouer ce morceau le moins mal possible ». Rencontre avec une magistrate humaine et passionnée. …
– Est-il vrai que les procès d’inceste ont de plus en plus souvent lieu en public ?
– Ce qui ne doit pas être très facile…
« Il faut d’abord travailler énormément le dossier, pour ne faire aucune faute. Je dis parfois qu’un bon président doit « transpirer » le dossier. Et il faut être extrêmement délicat. Il y a même des fois où je le dis à la jeune personne ou à l’enfant que j’ai face à moi : « Ça me fait mal de te poser cette question ». Le tutoiement devient naturel, alors. Par ailleurs, il faut poser toutes les questions, même celles qui sont gênantes ou qui dérangent, même si je deviens rouge écrevisse, parfois, tellement je suis mal à l’aise. C’est différent des procès pour braquage ou pour meurtre, qui sont plus techniques, où les questions de pudeur ne se posent pas de la même façon… »
– Arrivez-vous toujours à contenir les parties civiles ?
« Le plus souvent, oui. Elles ne demandent jamais vengeance, mais elles veulent surtout être crues à tout prix. La réparation juridique, pour elles, n’est qu’une petite pierre dans leur reconstruction. Je me souviens d’un type qui a fini par reconnaître à la barre ce qu’il avait toujours nié. La fille s’est avancée et elle a dit : « Merci, papa ». »
– Les délibérés de ces procès, avec les jurés, dans le secret, sont-ils plus délicats que les autres ?
« Il existe un fantasme du délibéré de cour d’assises. Pour ma part, je n’exerce pas de pressions. La seule chose que je demande aux jurés, c’est de la franchise. S’ils n’arrivent pas à défendre leur point de vue, c’est que ce n’est pas un bon point de vue, voilà ce que je leur dis. Je me souviens d’une personne qui avait elle-même été victime d’inceste : elle avait été un formidable modérateur de la peine… En tout cas, c’est beaucoup plus délicat quand l’inceste est nié par l’accusé. Dans ce cas-là, c’est systématiquement parole contre parole, parce qu’il n’y a quasiment jamais d’élément matériel. Alors, qui faut-il croire ? On a déjà vu des enfants accuser puis se rétracter. C’est pour cela qu’est prononcée une proportion non négligeable d’acquittements. »