Kathryn Harrison, 36 ans, publie un roman sur l’histoire vraie d’un inceste assumé avec son ecclésiastique de géniteur. Fille au père.

09/05/1997
par Annette LEVY-WILLARD

La respectable et reconnue romancière Kathryn Harrison, 36 ans, deux enfants, épouse de Colin Harrison, l’un des rédacteurs en chef de Harper’s Magazine, figure de l’establishment intellectuel new-yorkais, publie en ce mois de mai « un cocktail Molotov littéraire ».
The Kiss (le Baiser) décrit à la première personne, dans un roman à suspense, comment elle a, pendant quatre ans, fait l’amour avec son père.
Pas une sordide affaire d’inceste forcé, mais une aventure qui pourrait être banale entre une fille de 20 ans et un homme plus âgé, si l’amant n’était le père biologique.
On referme le livre (le Rapt dans l’édition française) et on se dit : « Quel étrange et beau roman. » Mais l’histoire est vraie. On a alors envie de rencontrer cette jeune femme dont la photo d’Américaine classique, belle et blonde, a fait les couvertures des magazines aux Etats-Unis.
Comment est-elle après avoir vécu cette passion clandestine qui s’est déroulée en forme de road-movie, errant de motels glauques en aéroports paumés ? Étonnamment normale. Du moins en apparence, assise sagement devant une tasse de thé à Paris.
Kathryn Harrison est aussi jolie que sur les photos, un visage distingué, lisse, qui ne révèle rien de ce passé. Mais elle parle avec une sorte de force intérieure, de détermination, qui évoque le style d’écriture de son livre. The Kiss lui vaut maintenant une célébrité sulfureuse aux Etats-Unis.

La presse américaine a reconnu les qualités littéraires du récit mais s’est offusquée de la levée « du dernier tabou, celui de l’inceste ». Kathryn Harrison a aussi été traitée de mère indigne qui va traumatiser ses enfants, et on l’a accusée de céder à la mode des « confessions scandaleuses ».
D’ailleurs, la couverture du livre en rajoute, affichant la photo de la petite Kathryn et de son père ­ les têtes soigneusement cachées par le titre ­ où on voit surtout les jambes nues de la fillette en robe d’été.

Kathryn Harrison ne voulait pas de cette image : « Cette photo évoque un inceste d’enfant. Je me suis battue pour qu’on n’imagine pas qu’il s’agissait d’un viol, nous dit-elle. Parce que je ne suis pas une victime. »
Et c’est justement d’où vient le trouble et le malaise de cette histoire hors des règles de l’humanité ­ et pourtant dans le contexte bien moderne d’une banlieue chic de Los Angeles.
Les parents de Kathryn Harrison avaient 19 ans quand elle est née. Mariés à la hâte, ils ont divorcé six mois après sa naissance, le père ayant été mis dehors par la belle-famille. La fillette est donc élevée par ses grands-parents (d’origine juive). Sa mère, trop jeune, ne s’en occupe pas. Une jeunesse triste et solitaire. Etudiante, elle retrouve à 20 ans ce père inconnu qui décide soudain de débarquer dans son existence. Il est devenu pasteur, s’est remarié, a d’autres enfants. Personnage fort antipathique ­ pour les lecteurs du livre, il s’acharne aussitôt à prendre possession de cette jeune fille émotionnellement vulnérable, s’appuyant sur des discours pseudo-religieux pour la convaincre d’avoir des rapports sexuels avec lui.
La vie de Kathryn va basculer avec un baiser à l’aéroport. Son père l’étreint pour lui dire « au revoir » et… « ce n’est plus un baiser chaste aux lèvres fermées. Mon père enfonce profondément sa langue dans ma bouche, mouillée, insistante, elle me fouille avant de se retirer. Il ramasse le sac de son appareil photo, puis, avec un sourire radieux, il rejoint la file des passagers qui disparaissent dans l’avion ». Elle vivra ce baiser comme une « piqûre fatale, comme celle d’un scorpion: un narcotique qui se transmet de ma bouche à mon cerveau ».
A l’exception de l’étape suivante vers la consommation sexuelle ­ la description d’un cunnilingus par le père (la nuit, dans la maison de la grand-mère paternelle !) ­, le récit ne rentre pas dans les détails érotiques.

« Soudain, ce type que je ne connaissais pas me trouve belle, intelligente, il ne veut que moi, explique aujourd’hui Kathryn Harrison. C’était au printemps de 1981. Il voulait tout de suite qu’on ait une relation sexuelle. J’ai résisté jusqu’à l’automne. Je savais que c’était mal. Que coucher avec lui était inacceptable. Il se mettait en colère, on n’arrêtait pas de se disputer là-dessus. Je ne voulais pas le faire, mais, à l’automne, j’ai fini par céder. J’avais peur de le perdre. J’étais totalement amoureuse de lui, obsédée, envoûtée. »

Ce père jeune, 39 ans, n’est pas un modèle de séduction: gras, des yeux injectés de sang, déplaisant et mystique. « L’érotisme n’est pas toujours lié au physique, souligne-t-elle. A l’université j’avais des boy-friends plus séduisants. Mais je l’aimais. »

Pendant quatre ans donc, elle laisse tomber études, copains, famille, pour suivre ce père-amant, malade et possessif, qui la surveille, allant jusqu’à l’installer dans sa paroisse, aux côtés de sa deuxième femme et de ses enfants. « Ce ne serait pas passé si j’avais été élevée avec lui, explique Kathryn Harrison. D’ailleurs, il n’a pas tenté de séduire son autre fille. » A l’époque, elle pense au suicide, consulte un psychanalyste, sombre dans la mélancolie. Elle ne réussit à rompre l’envoûtement qu’à la mort de sa mère atteinte d’un cancer. L’histoire se termine sans drame : elle annonce simplement à son père, au téléphone, que c’est fini.

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Edition Française : Kathryn Harrison Le rapt (l’Olivier, 2001)
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14/ le procès après les viols par inceste par Auteure obligatoirement anonyme

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Par ailleurs, pour mener à bien une procédure judiciaire, il nous faut relater les faits.
Avec ce que j’ai écrit ici, je peux me rendre compte combien la démarche judiciaire ne correspond pas du tout à la mienne.
Je veux évacuer, peu à peu, tous les souvenirs, me débarrasser de tout ce qui m’encombre, non pas en oubliant, mais en expliquant et en assimilant.
Le procès demande des détails très précis qui, mêlés à la honte de tout expliquer en public, peut être plus traumatisant que constructif.
Lorsqu’on m’affirme que le procès est très important pour la reconstruction de la victime, je dis non. On peut très bien s’en passer, c’est le fait de formuler, d’exprimer, d’intellectualiser la destruction qui reconstruit. La reconnaissance du crime et la prise en compte de la victime sont fondamentales à ce processus de reconstruction. Et lorsque la victime est morte, quelle sorte de reconstruction pouvons-nous aborder ?
J’accuse notre déplorable tissu social de demander à un procès de prendre en charge ce qu’une vie communautaire affective et aimante devrait faire.

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9/ La dissociation lors des viols par inceste
10/ La culpabilité qui s’amplifie de viols en viols devient partie intégrante de la personnalité d’un-e incesté-e
11/ Même si ce n’était arrivé qu’une fois, cette culpabilité existerait
12/ L’autoculpabilité entraine des situations d‘évitement
13/ Revictimisation
15/ Dans le viols par inceste, l’emprise par le regard
16/ Les deux vies d’une dissociée
17/ L’importance du tuteur de résilience
18/ Viol/mort ; amour/vie – attirance/répulsion
19/ Hypervigilance

Et l’histoire continue
Emploi : revictimisation durant des années après des viols par inceste