Faut-il inscrire l’inceste dans le Code pénal ? – 2005

Faut-il inscrire l’inceste dans le Code pénal ?
propos recueillis par Julien Jeanneney,
publié le 22/08/2005
mis à jour le 19/08/2005

Circonstance aggravante dans les affaires d’agression sexuelle contre des mineurs, l’inceste n’est pas incriminé en tant que tel. La chancellerie y réfléchit.

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Pour
Christian Estrosi Ministre,
auteur d’un rapport sur l’inceste

« Ce n’est pas une infraction sexuelle comme les autres »
Les associations de victimes d’abus sexuels critiquent à juste titre le fait que le terme « inceste » n’apparaisse jamais dans les actes d’accusation. En effet, notre droit actuel ne reconnaît pas l’inceste comme une infraction pénale régie par un dispositif législatif propre, mais seulement – sans que le mot soit prononcé – comme une circonstance aggravante de crimes ou de délits sexuels commis contre un mineur. En outre, le Code pénal n’a pas suivi les modifications du Code civil : par exemple, le Pacs n’étant mentionné nulle part dans le Code pénal, il ne peut pas être cité en cour d’assises, dans des affaires d’inceste notamment. Une mise à jour semble donc nécessaire.
Pourquoi inscrire le terme « inceste » dans le Code pénal ? Parce que ce n’est pas une infraction sexuelle comme les autres. La relation incestueuse se situe dans le milieu de référence de notre société : la famille. Je considère à ce titre que la société se doit de défendre l’enfant, être vulnérable, dépendant et sans défense, et de réprimer l’inceste pour ce qu’il est stricto sensu: non pas un viol avec des circonstances aggravantes, mais une horreur qui se place d’emblée sur le plan de la perversion des relations familiales.
Aujourd’hui, il est rare que les auteurs d’actes incestueux soient acquittés en cour d’assises. Mais cela arrive et c’est insupportable. Afin de ne plus voir des adultes incestueux condamnés pour de simples atteintes sexuelles, il est nécessaire de considérer que l’inceste est présumé forcé sur tout mineur jusqu’à preuve du contraire.
Certains parleront de moralisation, de décision sécuritaire. Mais, quand un enfant est victime d’un acte aussi immonde qu’un inceste, il faut que le dispositif judiciaire puisse réagir de façon adéquate. Ce qui est moralement atroce doit être réprimé en tant que tel. Il faut caractériser nommément l’inceste comme un délit ou un crime sexuel singulier révoltant, pour permettre aux victimes d’avoir le sentiment que ce qu’elles ont subi n’est pas juste un viol. Entre un viol et un viol incestueux, il y a une différence de nature, pas seulement de degré. Pouvons-nous dès lors supporter que l’inceste ne soit qu’une circonstance aggravante du crime ou du délit sexuel, alors qu’il devrait être le crime lui-même ? L’inceste est particulièrement choquant lorsqu’il frappe un mineur. Les relations incestueuses entre adultes, bien que moralement choquantes, ne tomberaient donc pas sous le coup de cette loi.

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Contre
Laurent Bedouet Juge d’instance,
membre du bureau national de l’Union syndicale des magistrats
« Il y aurait confusion entre le droit et la morale »
L’insertion du terme « inceste » dans le Code pénal ne va rien changer pour la victime. Pis, elle va déstabiliser un système efficace. Pourquoi diable bouleverser les textes quand ils permettent aux magistrats de bien travailler ? J’ai été longtemps juge des enfants et j’ai pu constater que les auteurs d’actes incestueux sont punis comme il convient. La législation française actuelle est d’ailleurs l’une des plus sévères en Europe, dans un pays où, en moyenne, 20% des arrêts des cours d’assises concernent des affaires d’inceste. Quelle mouche a donc piqué Christian Estrosi pour envisager un tel texte où il ne propose, d’ailleurs, aucune définition juridique claire de l’inceste ? Un travers bien français veut que tous les problèmes se règlent à coups de lois nouvelles. Hélas, c’est plus compliqué. La victime n’attend pas que l’on puisse lui dire si ce qu’elle a subi s’appelle ou non « inceste », au risque de créer des confusions entre le domaine du droit et celui de la morale. Notre pratique quotidienne nous montre bien ce qu’attendent en réalité les victimes : une accélération des procédures. Il faut parfois compter deux ans entre l’arrestation du criminel et son procès. Voilà ce qui traumatise les victimes ! Si certains parlementaires veulent véritablement améliorer leur sort, qu’ils commencent par réclamer au garde des Sceaux les moyens nécessaires pour raccourcir ces délais.

Par ailleurs, ce projet est démagogique : faire croire que la modification des textes permettrait d’éviter les acquittements abusifs est un mensonge. Certes, on a pu connaître des dérapages. Pourtant, la faille ne vient pas des textes mais de leur application. Céder à la tentation populiste est grave quand le bon fonctionnement de la justice est en jeu.
Insérer le terme « inceste » dans le Code pénal n’est donc pas efficace ; bien au contraire, c’est néfaste. En l’absence de jurisprudence, il risque d’introduire des confusions juridiques, des incertitudes. De surcroît, au mépris des principes généraux de la présomption d’innocence, on propose que l’auteur présumé de l’inceste démontre son innocence dans certains cas précis. Ne va-t-on pas trop loin ? Que les députés, à l’instar de leurs collègues du Sénat, viennent donc en stage dans nos tribunaux ! La justice est une chose trop sérieuse pour supporter les coups d’esbroufe…

Faut-il ériger l’inceste en infraction spécifique ? – 2005

Mission parlementaire :
Faut-il ériger l’inceste en infraction spécifique ?
ESTROSI Christian
Ministère de la justice
La répression de l’inceste est assurée par différents articles du code pénal, relatifs aux viols, aux autres agressions sexuelles et aux atteintes de cette nature commis notamment sur les mineurs par un ascendant ou une personne ayant autorité. Cependant, sur le plan pénal, l’inceste ne figure pas en tant que tel dans la loi. La mission confiée à Christian Estrosi, en s’interrogeant sur l’opportunité d’incriminer spécifiquement l’inceste, se donne trois objectifs : déterminer au sein du périmètre familial quelles sont les personnes disposant d’une autorité particulière sur le mineur telle que ce dernier ne saurait refuser ou manifester son opposition à une sollicitation sexuelle ; appréhender juridiquement le particularisme des actes incestueux (prendre en compte l’emprise exercée par un agresseur incestueux et la nature des actes commis) ; ajuster la répression des actes incestueux (répression plus sévère et/ou édiction de mesures complémentaires particulières, compte tenu de la spécificité de ces actes).
28 juillet 2005 – 101 pages pdf

INTRODUCTION

1. LA DÉFINITION JURIDIQUE DES AUTEURS ET VICTIMES DES ACTES INCESTUEUX

1.1 LA QUALITÉ DES AUTEURS À PRÉCISER
1.1.1 Les notions à maintenir d’ » ascendant  » et de  » personne ayant autorité « 
1.1.2 La stigmatisation des auteurs d’actes incestueux : une nécessaire coordination avec les prohibitions du droit civil

1.2 UNE PROTECTION ADAPTÉE DE LA VICTIME EN FONCTION DE SON ÂGE
1.2.1 Le maintien du droit commun pour les majeurs se livrant à des actes incestueux
1.2.2 Le maintien de la protection renforcée accordée aux mineurs

2. L’APPRÉHENSION JURIDIQUE DU PARTICULARISME DES ACTES INCESTUEUX

2.1 L’EMPRISE EXERCÉE PAR UN AGRESSEUR INCESTUEUX : UNE SPÉCIFICITÉ À INTÉGRER
2.1.1 La notion inadéquate des vices du consentement.
2.1.1.1 les textes français et leur évolution en matière d’infractions sexuelles commises sur les mineurs
2.1.1.2 les notions de surprise et de contrainte : des jurisprudences a priori claires et strictes de la Cour de cassation

2.1.2 Les solutions envisageables pour intégrer la notion d’ » emprise « 
2.1.2.1 les solutions apportées par les législations étrangères
2.1.2.2 l’interprétation législative du concept de contrainte

2.2 LA NÉCESSAIRE DIFFÉRENCIATION DES QUALIFICATIONS PÉNALES APPLICABLES SELON LA NATURE DES ACTES COMMIS
2.2.1 Les actes commis et leur répercussion sur les victimes : la thèse de l’ » indifférenciation « 
2.2.2 La nécessaire proportionnalité des incriminations

3. UN AJUSTEMENT DE LA RÉPRESSION DES ACTES INCESTUEUX

3.1 LE MAINTIEN DES RÈGLES DE PRESCRIPTION DE L’ACTION PUBLIQUE ACTUELLEMENT EN VIGUEUR
3.1.1 Le rejet de l’imprescriptibilité des actes incestueux
3.1.2 L’inutilité d’allonger le délai de prescription

3.2 L’OPPORTUNITÉ DISCUTABLE D’AGGRAVER LE RÉGIME DES PEINES PRINCIPALES
3.2.1 Les peines principales encourues
3.2.2 La création de nouvelles circonstances aggravantes

3.3. LA SYSTÉMATISATION DE CERTAINES PEINES COMPLÉMENTAIRES
3.3.1 La question du retrait de l’autorité parentale devant les juridictions pénales
3.3.2 Les interdictions professionnelles et la protection des victimes

CONCLUSION

RECAPITULATIF DES PRECONISATIONS DE LA MISSION