La loi sur l’inceste sur mineurs censurée par le Conseil constitutionnel

16/09/2011
PARIS – Le Conseil constitutionnel a censuré vendredi un article de la loi de 2010 qui a consacré dans le code pénal la spécificité de l’inceste sur mineurs, en jugeant que la définition des personnes pouvant être poursuivies à ce titre était trop imprécise.
La censure vise l’article 222-31-1 de la loi du 8 février 2010 qui dispose que « les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».
Les Sages, qui statuaient sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ont considéré que « le principe de précision de la loi pénale impose que le législateur désigne précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ».
La loi de 2010 avait pour la première fois inscrit dans le code pénal la notion d’inceste commis sur les mineurs. Avant ce texte, plusieurs dispositions pénales réprimaient les atteintes sexuelles commises sur mineurs par un ascendant ou une personne ayant autorité, sans que le terme « inceste » apparaisse.
Sans contester au législateur le droit d’instituer une qualification pénale spécifique pour réprimer l’inceste, le Conseil constitutionnel considère que la définition retenue, qui vise les actes commis « au sein de la famille », implique indirectement une définition de la famille.
Or, souligne la décision, « le code civil ni aucun autre texte législatif ne donne une définition précise de la famille ».
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Décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011
M. Claude N. [Définition des délits et crimes incestueux]

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 juin 2011 par la Cour de cassation, dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Claude N. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l’article 222-31-1 du code pénal.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées les 13 juillet et 3 août 2011 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 19 juillet 2011 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Claire Waquet pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 6 septembre 2011 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu’aux termes de l’article 222-31-1 du code pénal : « Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. »

2. Considérant que, selon le requérant, en ne définissant pas les liens familiaux qui conduisent à ce que des viols et agressions sexuels soient qualifiés d’incestueux, ces dispositions portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines ; qu’elles porteraient également atteinte au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ;

3. Considérant que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;

4. Considérant que, s’il était loisible au législateur d’instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s’abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, la disposition contestée doit être déclarée contraire à la Constitution ;

5. Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ;

6. Considérant que l’abrogation de l’article 222-31-1 du code pénal prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu’à compter de cette date, aucune condamnation ne peut retenir la qualification de crime ou de délit « incestueux » prévue par cet article ; que, lorsque l’affaire a été définitivement jugée à cette date, la mention de cette qualification ne peut plus figurer au casier judiciaire,

DÉCIDE :

Article 1er.- L’article 222-31-1 du code pénal est contraire à la Constitution.

Article 2.- La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées au considérant 6.

Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 septembre 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 16 septembre 2011.

Journal officiel du 17 septembre 2011, p. 15600 (@ 74)

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