L’inceste et le code pénal par Michel Huyette

Lundi 8 février 2010
08 /02 /2010 14:28

L’inceste et le code pénal

Par Michel Huyette

Parmi les accusés renvoyés devant la cour d’assises pour viol, certains sont des membres de la famille des victimes sexuellement agressées (1). La loi en tient compte dans la fixation de la peine maximale encourue, par le biais des circonstances aggravantes qui font montrer d’un cran cette peine :
le viol sans circonstance aggravante est puni au plus de 15 ans de prison (art. 222-23 du code pénal).
• le viol est puni de 20 ans de prison, notamment si la victime est âgée de moins de 15 ans, et/ou si le viol est commis par « un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime » (art. 222-24 du code pénal). (2)
Sont des ascendants les enfants, les parents et les grands-parents. Les personnes « ayant autorité » sur un mineur sont par exemple un oncle et une tante à qui l’enfant est confié pendant des vacances (3). Dans ces situations la loi est plus sévère car elle considère qu’il est plus difficile pour les mineurs de s’opposer à ceux qui au quotidien exercent une autorité sur eux, ou, à l’envers, qu’il est encore plus choquant que des adultes profitent de leur situation privilégiée auprès de mineurs pour les agresser sexuellement. Elle l’est aussi parce que la proximité affective entre le mineur et l’adulte agresseur rend souvent le viol encore plus traumatisant d’un point de vue psychologique. Pour mettre en lumière ces particularités, l’idée a plusieurs fois été lancée de mieux identifier « l’inceste » dans le code pénal.
C’est l’objectif d’une loi récemment votée par le Parlement (4), mais dont le contenu est sous certains aspects quelque peu troublant.
Motivant leur proposition de loi intiale, les parlementaires ont écrit : « Ce sont ainsi plus de 2 millions de Françaises et de Français qui ont vu leur vie brisée par l’inceste. (..) Selon les praticiens,
l’inceste est un déterminant majeur des tentatives de suicide, de l’anorexie, des addictions aux stupéfiants et à l’alcool, des troubles de la personnalité, des comportements à risque et de nombreuses psychopathologies.
L’inceste est un déterminant de l’échec scolaire, professionnel et relationnel, de l’exclusion sociale. (..) Plus largement, c’est aussi la société dans son ensemble qui souffre de l’inceste. Ses fondations sont attaquées : la famille, espace de protection, d’amour et de socialisation par excellence devient dans un climat incestueux le lieu du martyr de l’enfant et l’outil d’annihilation de sa parole. (..)
L’inceste doit être identifié, prévenu, détecté et combattu. »
Et ils précisent que l’un de leurs objectifs est « l’insertion de la notion d’inceste dans le code pénal comme élément constitutif des infractions de viol et d’agression sexuelle au même titre que la violence, la contrainte, la menace ou la surprise ».
S’agissant de la définition de l’inceste, les parlementaires ont retenu ceci :
« Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. »
Habituellement, l’inceste est défini de la façon suivante :

« Relation sexuelle entre deux personnes qui sont parentes ou alliées à un degré qui entraîne la prohibition du mariage par les lois civiles ou religieuses. » (Dictionnaire de l’académie française)
« Conjonction illicite entre les personnes qui sont parentes ou alliés au degré prohibé par les lois » (Dictionnaire Littré)
Dans notre législation et pour faire simple, les articles 161 à 164 du code civil interdisent le mariage entre les ascendants et descendants (père/fille ou mère/fils), les frères et soeurs, l’oncle/la nièce et la tante/le neveu.
Le mariage est également interdit entre beau-père/belle-fille et belle-mère/gendre (après décès du précédent conjoint ou divorce). Le mariage est donc interdit entre personnes liées par le sang (cas 1 à 3), ou entre personnes très proches et dès lors assimilables (cas 4).
Or, ce que l’on constate, c’est que la définition retenue par les parlementaires dans la nouvelle loi est sensiblement plus vaste.

Prenons un exemple.
Une mère élève seule deux enfants mineures et, parce qu’elle doit être hospitalisée plusieurs semaines, elle décide de les confier à sa tante qui vit en concubinage avec un homme. Cet homme est bien le concubin d’un membre de la famille des enfants. Pourtant, en droit, il n’existe aujourd’hui aucune prohibition à mariage entre cet homme et ces mineures. Il ne semble donc pas possible de soutenir qu’une relation sexuelle entre lui et l’une d’elle soit « incestueuse » au sens des textes du code civil et des définitions lexicales.
Le Parlement semble donc avoir privilégié, pour définir l’inceste, une notion factuelle de famille, englobant tous ceux qui ont un lien familial de proximité avec la victime, en privilégiant la notion d’autorité de fait.
Une autre indication étonne. En effet, la notion de relation incestueuse ne dépend pas de l’âge des deux personnes ayant une relation sexuelle. Un frère et une sœur qui ont une relation sexuelle à 25 et 24 ans ans sont tout autant dans l’inceste que s’ils ont cette relation à 17 et 16 ans. Or le Parlement semble avoir limité l’extension de la notion au cas de victime mineure.
Cela voudrait dire, pour reprendre notre exemple, que la relation sexuelle entre le concubin de la tante et une mineure (nièce de cette tante) âgée de 17 ans est incestueuse au sens de la nouvelle loi, alors que la relation sexuelle entre cet homme et la même jeune femme âgée de 18 ans n’est plus incestueuse ?

Faut-il comprendre que la notion d’autorité de fait étant privilégiée, le Parlement a considéré que la jeune fille majeure n’étant plus sous l’autorité des membres de sa famille, l’extension de la notion ne s’applique plus ?

Maintenant arrêtons nous sur une autre modification de la loi, autour de la notion de contrainte, modification qui apparaît comme la raison d’être principale de ce nouveau texte puisque les parlementaires ont écrit que leur objectif premier est « 
l’insertion de la notion d’inceste dans le code pénal comme élément constitutif des infractions de viol et d’agression sexuelle ».
La loi, depuis longtemps, qualifie de viol « 
Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise » (art. 222.23 du code pénal) Autrement dit, ce qui caractérise le viol c’est l’absence de consentement de la victime, qui a incité l’agresseur à la contraindre à une relation sexuelle non voulue. Les notions de « violence, contrainte, menace ou surprise », très vastes, nous permettent déjà d’appréhender toutes les situations imaginables dans lesquelles une femme a subi une relation sexuelle non souhaitée, y compris quand l’agresseur n’a exercé aucune violence physique.
C’est par exemple le cas quand un homme profite de l’ignorance de la sexualité chez une très jeune fille, qui ne sait pas ce qu’elle doit faire, pour avoir avec elle une relation sexuelle dont elle ne comprend pas le sens.

C’est pourquoi les juridictions françaises admettent que « l’état de contrainte ou de surprise résulte du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés » (cour de cassation 7 décembre 2005).
Les parlementaires ont ajouté un nouvel article (222-22-1) pour préciser que :
« La contrainte prévue par le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ».

Sur le premier point, cela n’ajoute rien ni au droit déjà en vigueur ni à l’analyse des cours d’assises. Les juridictions retenaient déjà tant la contrainte physique que la contrainte morale. Il en va de même de la contrainte pouvant découler de l’autorité exercée par l’agresseur sur la victime.
La nouvelle loi suggère de considérer que la contrainte peut résulter de la différence d’âge entre victime et agresseur. Mais même si cette précision n’est pas textuellement dans la loi, la différence d’âge pouvait être un élément d’appréciation parmi d’autres, étant précisé que ce ne peut jamais être le seul pour admettre la contrainte.
En effet, ce n’est pas parce qu’une victime aura par exemple 23 ans et son agresseur 48 ans que, en l’absence de violences, il suffira à la première de verser au dossier deux actes d’Etat civil mettant en avant une différence d’âge pour prouver qu’elle n’a pas voulu la relation sexuelle avec celui qu’elle désigne comme un agresseur.
Sur ce point l’indication apportée par la nouvelle loi ne vas sans doute pas modifier les analyses des juridictions pénales.
Enfin, la nouvelle loi modifie la rédaction de la circonstance aggravante de lien familial qui fait passer la peine encourue de 15 à 20 ans :
De
« Lorsqu’il est commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime »,
on passe à
« Lorsqu’il est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait » (5).

Cela ne change rien à la situation actuelle car sous le terme « autorité », les tribunaux et les cour d’assises retenaient déjà l’autorité de fait autant que l’autorité de droit.
* * *

Heureusement, les parlementaires n’ont pas entériné la première version de la loi.

Il y était écrit que « un mineur ne peut être consentant à un acte sexuel avec un membre de sa famille », que « le climat incestueux rend en effet caduque toute réflexion en terme de violence, menace, contrainte, ou surprise. Ici, la question du consentement ne peut donc être posée », et en conséquence que « tout acte de pénétration sexuelle incestueux, de quelque nature qu’il soit, est un viol ».

Nous avons échappé de peu à une monstruosité juridique.

En effet, et pour faire simple, puisque le viol se caractérise par l’absence de consentement, il est aberrant de considérer que cette absence de consentement découle inéluctablement du lien de parenté entre deux personnes ayant une relation sexuelle. Pourtant, une nièce de 17 ans et son oncle de 25 ans peuvent vouloir autant l’un que l’autre une relation sexuelle, même qualifiable d’incestueuse.

Ce serait une rupture totale dans notre droit pénal que de considérer que l’on peut envoyer des années en prison un homme qui n’a pas su refuser une relation sexuelle voulue par une jeune fille presque majeure.

Et pour échapper aux poursuites, cet homme devrait prouver que la jeune fille était bien consentante. Comment ? En lui faisant signer un document écrit avant l’acte sexuel ?

Quand la morale et le droit se télescopent et que l’on veut à tout prix privilégier la première, les résultats sont parfois étonnants….

* * *


On reste toujours un peu perplexe devant ce genre de loi.

Car au final, pour ce qui concerne les contours et la répression de l’inceste (6), elle ne change quasiment rien aux règles applicables jusqu’à présent.

La définition nouvelle de l’inceste ne remet pas en cause la qualification pénale du viol ni ses circonstances aggravantes, certaines relations incestueuses n’étant pas prises en compte.

Les peines encourues restent les mêmes.

Les jeunes filles ou femmes victimes savaient déjà parfaitement bien que quand leur agresseur est un père ou un oncle, il s’agit d’une relation incestueuse, et elles savaient déjà expliquer au moment du procès combien il est psychologiquement dévastateur d’être agressé par celui en qui elles avaient mis une certaine confiance et sur qui elles pensaient pouvoir compter.

Alors beaucoup de bruit – et un peu de n’importe quoi – pour pas grand chose ?

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1. Dans une grande majorité des affaires les viols ont pour auteur des membres de la famille ou des proches.
2. Qu’il y ait une seule de ces deux circonstances aggravantes, ou les deux, le maximum de la peine encourue est le même.
3. Constitue aussi une circonstance aggravante, dans le même article et avec le même maximum de peine, le fait que l’auteur du viol soit  » une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ». Par exemple un enseignant, un moniteur de colonie de vacances etc..
4. Pour plus d’informations sur le cheminement parlementaire, voir ici.
5. Ces modifications qui valent pour le viol s’appliquent de la même façon aux aures agressions sexuelles.
6. La loi contient d’autres dispositions relatives à la prévention des agressions sexuelles.

La loi a allégé les peines de l’inceste, ce qui est une curieuse façon de lutter contre lui par Maître Mô

Mon excellent confrère, tellement excellent qu’il mériterait d’être parisien, Maître Mô a levé un lièvre qui, si je ne partage pas ses conclusions fort pessimistes (mais optimistes pour certains de nos clients) révèle sans nul doute un nouveau cas spectaculaire de malfaçon législative, encore plus beau que l’abrogation de la dissolution pouvant frapper la Scientologie sans que personne ne le remarque.

Tout a commencé quand madame Marie-Louise Fort, député UMP de la 3e circonscription de l’Yonne (Sens et alentours) s’est avisée avec horreur et stupéfaction que le code pénal ne contenait pas le mot « inceste ». Entendons-nous bien. Il réprime effectivement l’inceste, et ce depuis sa première édition en 1810, mais n’utilise pas ce mot, préférant le très juridique terme de viol ou agression sexuelle “aggravé par la qualité de son auteur d’ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime”, et le cas échéant la minorité de 15 ans de la victime, même si le cumul de ces circonstances n’aggrave pas la répression (20 ans de réclusion criminelle sont encourus pour le viol aggravé, la loi réservant le degré au dessus, 30 ans de réclusion, si le viol a entraîné la mort de la victime sans intention de la donner, et la perpétuité quand le viol est accompagné de tortures et actes de barbarie) : art. 222-24 du Code pénal.

Marie-Louise Fort a donc rendu un rapport déposé en janvier 2009 (pdf), reprenant largement les conclusions d’un précédent rapport du député Christian Estrosi.

Oui, Christian Estrosi, je sais.

En voici des extraits choisis.

Premier temps : quoi de mieux pour aveugler le législateur que de noyer ses yeux de larmes ?

Maire de Sens, j’ai été confrontée à la situation particulièrement douloureuse et émouvante de victimes d’inceste luttant pour « recouvrer la vie ». Les accompagner a été pour moi l’occasion de mesurer le poids du tabou qui les écrase en même temps que leurs proches.

Déjà, quand un député commence à parler de lui sous prétexte de parler des victimes dès le premier paragraphe de son rapport, on peut craindre le pire. Surtout quand il ajoute :

Enfin, la dernière phase de la mission a été un temps de réflexion et de synthèse. Car travailler à lutter contre l’inceste est humainement ébranlant et philosophiquement questionnant. (sic.)(Rapport, page 3).

Moi, c’est la syntaxe que je trouve questionnante philosophiquement.

Et en effet, la catastrophe est annoncée dès la page 11 :

La présente mission, considérant que l’inceste n’est pas seulement la circonstance aggravante d’un viol ou d’une autre agression sexuelle mais aussi un élément constitutif de ceux-ci, suggère pour sa part d’intégrer la notion de l’inceste aussi dans la définition de ces infractions.

ceci étant justifié par l’argument hautement juridique suivant :

La mission souhaiterait rappeler que la loi a le pouvoir de casser le tabou en le nommant.(rapport, p.12)

La loi-Brice de Nice, en somme.

Pourquoi, une catastrophe ?

Parce que la loi n’est pas une psychothérapie à portée générale. Elle doit poser des règles, qui s’inscrivent dans un ensemble de règles préexistant, dans lequel elles doivent s’insérer sans dommage pour l’édifice. C’est du travail de précision.

Et un point fondamental du droit pénal est qu’un élément constitutif d’une infraction ne peut être en même temps une circonstance aggravante de cette infraction.

Ainsi, le code pénal définit des infractions de base, dites simples. Si elles sont commises dans certaines circonstances énumérées par la loi, elles deviennent aggravées, et la peine encourue est plus élevée. Certains variantes de l’infraction peuvent être tellement spécifiques qu’elles font l’objet d’une définition autonome : on parle alors d’infraction qualifiée.

Prenons l’exemple du vol.

Le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. C’est l’art. 311-1 du Code pénal qui pose la définition. Ce vol est le vol simple. L’élément matériel est l’appréhension de la chose, qui suppose que l’auteur s’en saisisse physiquement (pirater votre compte PayPal n’est pas un vol, mais une autre infraction, selon la méthode employée). L’élément moral est la conscience que la chose appréhendée ne nous appartient pas, peu importe qu’on sache à qui elle est : il suffit qu’on soit certain qu’elle n’est pas à nous.

Le vol est puni de trois ans d’emprisonnement et 45000 euros d’amende : art. 311-3 du code pénal.

L’article 311-4 du Code pénal prévoit toute une liste de circonstances qui font du vol un vol aggravé. Ces circonstances peuvent être liées à la façon dont la chose est appréhendée (usage de violences légères), au lieu où le vol est commis (gares et transports en commun), à la victime (personne vulnérable comme des personnes âgées, hein, m’sieur Hortefeux ?). Une circonstance aggravante fait passer la peine encourue à 5 ans, deux circonstances à sept ans et trois à dix ans (exemple : un vol commis avec violences, sur une personne âgée, par effraction nous emmène déjà au sommet de l’échelle des peines correctionnelles). Ce sont les vols aggravés.

La loi prévoit en outre des vols spécifiques faisant l’objet d’une répression autonome : les vols qualifiés. Il s’agit du vol commis par un majeur avec la complicité de mineurs (art. 311-4-1 du code pénal), du vol accompagné de violences importantes (art. 311-5 du Code pénal) ou du vol à main armée (art. 311-8 du code pénal). La distinction est importante, surtout dans notre affaire d’inceste, car les circonstances aggravantes du délit simple ne s’appliquent pas au délit qualifié qui est une infraction autonome. Et un délit qualifié peut avoir ses propres circonstances aggravantes : tel est le cas du vol en bande organisée (art. 311-9 du code pénal).

Vous saisissez maintenant la catastrophe annoncée quand le député annonce que « l’inceste n’est pas seulement la circonstance aggravante d’un viol ou d’une autre agression sexuelle mais aussi un élément constitutif de ceux-ci ». Le député va faire de l’inceste un viol ou une agression sexuelle qualifiée pour “nommer la chose et casser le tabou”. Fort bien, mais va-t-il penser à adapter la peine encourue ?

La réponse est dans la proposition de loi déposée par le même député, et qui a été définitivement adoptée le 26 janvier 2010, en attente de publication, faute pour le Conseil constitutionnel d’avoir été saisi de cette loi.

La loi crée un nouvel article 222-31-1 au Code pénal ainsi rédigé :

Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.

Nous avons donc un article qui crée deux infractions qualifiées, donc autonomes.

Et que prévoit la loi pour la répression ?

Rien. Pas un mot. La loi crée deux infractions et ne les réprime pas. Amusant pour une loi qui veut casser un tabou en le nommant de faire ainsi de la peine encourue un tabou en ne la nommant pas.

Conséquence de cette loi ?

Toute la question est là et les avocats pénalistes se frottent les mains. Car il va y avoir controverse, décisions contradictoires, jusqu’à ce que la cour de cassation y mette bon ordre dans quelques années.

L’hypothèse de Maître Mô est la plus orthodoxe juridiquement, mais vous allez voir que la cour de cassation est capable de souplesse pénale en la matière.

Pour lui, ce viol qualifié n’étant pas spécifiquement réprimé, il emprunte la pénalité du viol simple (il reste un viol, qui est puni de quinze ans de réclusion criminelle nous dit l’article 222-23 du code pénal), puisque la circonstance aggravante de commission par ascendant (au sens large, j’inclus les personnes ayant autorité), lui est non seulement inapplicable en tant qu’infraction autonome mais en plus est devenue élément constitutif de l’infraction.

Conclusion de mon septentrional confrère : la loi a allégé les peines de l’inceste, ce qui est une curieuse façon de lutter contre lui. Et le même raisonnement vaut pour l’agression sexuelle (je rappelle que l’agression sexuelle exclut tout acte de pénétration sexuelle, qui serait un viol : ce sont les attouchements et caresses, subis ou donnés sous la contrainte).

Juridiquement, le raisonnement tient parfaitement.

Sur le blog Dalloz, Emmanuelle Allain en tient un autre, auquel j’ai tendance à me rallier : il ne s’agirait que d’une loi d’affichage, qui ne change rien à l’état du droit, comme le législateur aime tant en faire tout en jurant qu’il va arrêter d’en faire. Il suffira pour cela que la jurisprudence, et en dernier lieu la cour de cassation, décide que l’article 222-31-1 du Code pénal ne prévoyant aucune peine, le mot inceste n’est qu’une décoration ajoutée sur l’intitulé du crime comme la guirlande sur le sapin, qui reste fondamentalement ce qu’il a toujours été : un viol aggravé par la qualité de son auteur.

Ce ne serait pas la première fois que la cour de cassation ferait prévaloir l’efficacité de la loi et la volonté du législateur sur la rigueur juridique et le texte effectivement voté. Un problème similaire s’était posée en 1994 avec l’entrée en vigueur du nouveau code pénal : le législateur avait abrogé l’ancienne circonstance aggravante de torture et acte de barbarie et créé un nouveau crime de torture et acte de barbarie. La non rétroactivité de la loi pénale plus sévère (ce qu’est une loi créant un nouveau crime) aurait dû s’opposer à ce que les faits antérieurs au 1er mars 1994 fussent jugés sous cette qualification. Mais la cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 11 mai 2005, que cette infraction nouvelle assurait en fait la continuité de l’incrimination, sans guère s’expliquer sur cette étrange continuité par la nouveauté. Je pense que dans notre affaire, la cour de cassation tordra un peu le texte pour le faire coller avec la volonté clairement exprimée du législateur de lutter contre l’inceste et non d’en alléger la répression.

Mais je ne me gênerai pas pour soutenir la position de Mô devant les juridictions. Vous savez mon attachement à la rigueur juridique. Que la Cour de cassation tranche, puisque le Conseil constitutionnel n’annulera pas cette loi comme il l’aurait probablement fait pour les lois qui ne légifèrent pas qui lui sont soumises.

En attendant, bien sûr, ce seront les victimes qui paieront les mots cassés. Que Dieu les protège du législateur qui veut les protéger. Leurs bourreaux, le parquet s’en charge.

Ce billet, écrit à 10:00 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit a suscité :

70 commentaires

20. Le Lundi 8 février 2010 à 14:09 par Naja

J’avoue n’avoir pas eu le courage de lire l’intégralité de votre billet.
M’étant déjà penchée attentivement sur celui de Maître Mô, j’ai atteint les limites de ce que mon foie peut supporter pour cette affaire, que j’ai suivie de près. Je bascule à présent dans une sorte de cynisme qui m’amène à la réflexion suivante :

Qu’importe finalement ! Le problème de fond n’est pas là. L’immense majorité des agresseurs incestueux ne sont jamais poursuivis. Soit que leurs victimes ne se trouvent en mesure de les dénoncer une fois la prescription passée, soit que le parquet classe sans suite ou en non lieu la majorité de ces plaintes, faute de preuves dites “matérielles” généralement inexistantes ou disparues une fois que le magistrat se penche sur le dossier après des mois d’attente. Les bourreaux peuvent couler des jours heureux, forts du consentement tacite d’une justice qui s’est interdit de les poursuivre. Les victimes s’efforcent alors à composer avec la rage qui vient du constat de ce mépris de la société. Et l’on s’étonne de voir la haine et l’esprit de vengeance grandir…
Personnellement, c’est peut-être ça que je trouve le plus dur à présent : apprendre à vivre parmi mes pairs malgré ce déni collectif, dans cette forme de complaisance inconsciente d’un crime qui est encore un point aveugle de notre société prétendument civilisée. Pourtant, j’ai de la chance : je me suis réveillée avant la prescription, et mes violeurs sont en bonne voie d’être poursuivis. Mais je regarde les autres victimes autour de moi et ne peux qu’être révoltée de l’indifférence, voire les accusations, qu’elles doivent souffrir.
Au cours des derniers mois, j’ai lu les arguties des juristes qui ne comprennent pas la nécessité qu’il pouvait y avoir à nommer l’inceste. Quand comprendront-ils que le crime d’inceste ne se limite pas au viol ou l’agression sexuelle, que l’atteinte la plus destructrice est ailleurs et que personne ne la voit. Le crime n’est pas seulement sexuel, il est identitaire. C’est toute la construction de l’être qui est empêchée.
J’ai connu les viols répétés, les violences et les tortures, dès la petite enfance et pendant plus de 10 ans. Puis la perpétuation de l’emprise, du climat incestueux et du harcèlement sexuel pendant encore dix ans. Il y eut la trahison de ceux dont le rôle était de m’aider à grandir et à devenir quelqu’un. La perte de confiance totale dans le monde. L’absence de refuge car c’était chez moi, chez eux, que je vivais dans la terreur. L’incompétence des services sociaux quand mon frère a tenté de les alerter. L’hypocrisie et la lâcheté de tous ceux qui voyaient, devinaient ou se doutaient. Mais le préjudice que j’estime le plus lourd, c’est le sentiment de monstruosité que m’ont procuré ces atteintes : la transgression imposée de l’interdit de l’inceste m’a fait basculé en dehors de l’humanité. Les juristes peuvent bien dire que le viol et l’agression sexuelle sont déjà pénalisées, la justice n’en ignore pas moins la nature profonde du crime d’inceste.

Pour conclure, je me permets de signaler que cette absurdité législative n’est pas tant due à Mme Fort qu’aux députés PS qui en (première) commission des lois ont substantiellement modifié la proposition de loi qu’elle avait initialement faite… pour la vider d’à peu près toute substance, accouchant ainsi de cette ineptie juridique. J’invite le lecteur à se reporter à l’historique des modifications sur le site de l’assemblée nationale. J’adresse mes très sincères félicitations à ces députés. Avec une mention spéciale pour ceux d’entre eux qui ont une formation de juriste, avocat ou magistrat, je pense par exemple à M. Raimbourg et Mme Pau-Langevin.

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