7/ Famille d’incestueurs par Jeanne Cordelier

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Puisque si ta grand-mère maternelle avait exercé un temps le métier de relieuse, celui qui ne mérite pas d’être nommé grand-père – et qui d’ailleurs ne te verra jamais, même pas en photo – avait en revanche passé plus de temps derrière les barreaux et à jouer aux cartes au bistrot, qu’à l’usine. En fait, je ne me sentais pas fille d’ouvriers, mais fille d’asociaux. De pauvres gens, que la poisse avait broyés dans l’œuf. Et qui à leur tour avaient remis le broyeur en route.

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j’exultais ! Mais cette joie renfermait une ombre. La France, ce n’était pas seulement un pays, c’était aussi Éric, ma famille. En fait quand je dis famille, il faudrait plutôt dire : ma mère.
L’idée de te tendre à elle me gênait. De ce geste par avance je me sentais coupable, puisque j’aurais en l’accomplissant l’impression de subir encore son emprise. C’est compliqué, mon fils. Te tendre à elle, c’était lui tendre la partie la plus précieuse de moi-même. Du fond de ma mémoire remontaient des épouvantes, des gargouillis, des souvenirs racontés par elle dans lesquels j’aurais bien été incapable de voir clair, puisqu’ils avaient creusé en moi des fondrières. Tu sortais d’une terre ravagée, que tel un phénix tu illuminais, alors te tendre à celle qui, les yeux ouverts et bien maquillés, m’avait sans ciller regardée m’embourber, participant ainsi à mon enlisement, cet acte, dis-moi, n’était-il pas encore une fois preuve de soumission? Les amis disent, je les entends qui disent qu’ils soient psys ou pas: il faudrait te défaire de son emprise. Ils ont beau jeu. Mais comment se défaire d’une abstraction ? J’aurais bien voulu les y voir mes conseilleurs ! Car, pour si incroyable que cela paraisse, c’est ainsi que je percevais ma mère, elle, pourtant si concrète, réelle, jusqu’à l’outrance.

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La prise en charge de pères en milieu pénitentiaire par le Dr. Luc Massardier

« En prison, le travail de thérapie tente d’amener ces pères à prendre conscience de la gravité des actes qu’ils ont commis sur leur fille » explique Luc Massardier, psychiatre, praticien hospitalier à l’hôpital Sainte-Anne à Paris et consultant en milieu pénitentiaire.
Dans quelles conditions exercez-vous votre travail ?

J’interviens depuis douze ans en milieu pénitentiaire. Sept ans au SMPR (Service médico-psychologique régional) de Nice en tant que chef de service, puis depuis 2001 au SMPR de Paris la Santé. Il existe seulement 24 de ces services en France sur 187 prisons. Idéalement, un SMPR comprend un chef de service, deux ou trois psychiatres temps plein, des psychologues, des infirmier-e-s, des assistantes sociales, des art thérapeutes et des secrétaires. En réalité la présence de ces personnels soignants est très différente d’un établissement à l’autre et de nombreux services sont sous dotés particulièrement en province et dans les sites dits « peu attractifs ». En dehors des SMPR, c’est-à-dire dans la quasi-totalité des établissements pénitentiaires, la couverture psychiatrique est assurée par les hôpitaux de rattachement situés dans l’aire géographique d’implantation de la prison. La présence médicale y est souvent très réduite, à l’image du sous-équipement général en personnels soignants des hôpitaux du service public.
Les SMPR suffisamment dotés permettent cependant de suivre convenablement les détenus. C’est grâce à ce travail réalisé en prison, qu’aujourd’hui nous sommes en mesure de comprendre la psychopathologie de certains pères incestueux.
Il n’y a pas en France d’obligation de soin en prison sauf pour une minorité d’agresseurs sexuels condamnés à un suivi sociojudiciaire avec injonction de soin et une incitation au traitement pendant leur incarcération. Nous ne rencontrons donc que ceux qui acceptent volontairement de suivre une thérapie, même si celle-ci leur est proposée de façon systématique. Nous ne rencontrons donc pas tous les agresseurs sexuels, notamment ceux qui contestent les faits comme ceux qui sont structurés sur un mode pervers et qui refusent l’idée même de se faire soigner. En revanche, les pères qui ont entretenu un rapport « amoureux » avec leur fille, retrouvant avec elle l’illusion d’un « amour absolu » acceptent volontiers de se faire suivre. Ils représentent la majorité des pères incestueux que nous suivons en consultation.
Qu’est-ce qui ne va pas chez ces hommes ?

Ils souffrent de carences identitaires et narcissiques majeures avec une identité masculine vacillante. Quelque chose est resté bloqué dans leur développement psycho sexuel. Ils sont peu sûrs d’eux et ne parviennent pas à nouer des relations conjugales normales avec leurs épouses ni de père avec leur fille. Ils restent accrochés à l’image d’une famille idéale qu’ils n’ont pas su ou pas pu construire et qui leur renvoie toujours leur manque et leur insatisfaction. Ils projettent sur leurs épouses la cause de leur mal-être, les accusant de ne pas s’occuper assez bien de leur fille et d’eux-mêmes. De leur place de père, ils vont peu à peu glisser à une place « maternelle » pour réparer leurs propres blessures narcissiques. Ils vont se mettre à donner les bains, à faire la toilette, à jouer à la poupée avec l’enfant. De ces rapprochés fusionnels apparaîtra secondairement l’excitation sexuelle, et petit à petit, les choses vont déraper presque « à leur insu » jusqu’à l’inceste.
La fille est devenue cet objet idéal qui les comble et leur offre la complétude et la sérénité qui leur a toujours fait défaut. Elle est une poupée magique qu’ils utilisent dans le déni de la différence des sexes et des générations pour former avec elle un néo couple pervers construit sur la relation d’emprise.
Comment arrivent-ils à assumer cette relation ?

Ils savent bien que ça ne se fait pas. Ils vivent en permanence la compulsion à la relation incestueuse dans la crainte de la dénonciation, mais ne peuvent pas s’en détacher eux-mêmes. Au moment de l’arrestation, nombre d’entre eux se déclarent soulagés.
Parmi ces pères amoureux, on distingue ceux qui développent une réaction de panique le jour où la relation devient sexuelle, surtout après l’orgasme. Ils se rendent alors compte de l’anormalité et de la monstruosité de leurs actes et obligent l’enfant au « secret », lui demandant à la fois pardon et lui promettant qu’ils ne recommenceront plus et surtout que le maintien de la cohésion familiale dépend de ce secret partagé, gage de la sécurité de toute la maison. Ils auront alors dans les jours qui suivent une conduite d’évitement, puis comme ils voient qu’il ne se passe rien, que la vie continue comme avant, un jour ils recommencent.
À côté de ces pères il y a ceux, nettement moins nombreux et plus carencés, qui ne connaissent pas cette panique et qui vivent presque normalement cette relation.
Quels sont les différents profils des pères incestueux ?

On peut repérer schématiquement trois types de pères incestueux
• le père « amoureux » de sa fille que nous venons de décrire.
• Puis le père très carencé, machiste et souvent alcoolique vivant dans un milieu défavorisé où l’acte sexuel se résume à un acte pornographique imposé comme un droit à la femme qui doit lui être soumise. Il couche avec sa fille parce qu’elle est là, qu’il est l’homme et qu’il a tous les droits.
• Il y a enfin le profil du pervers sadique qui jouit de la souffrance infligée à autrui, mais que l’on ne voit pas en consultation parce qu’il la refuse et qu’il n’en voit pas l’utilité.
Comment se passe le travail en prison ?

En prison, le travail de thérapie tente d’amener ces pères à prendre conscience de la gravité des actes commis sur leur fille qui n’est pas « leur objet » mais un être humain différencié d’eux et victime de leurs actes. L’objectif thérapeutique, c’est de les aider à retrouver dans leur histoire personnelle les paramètres qui les ont conduits à cette déviance, de repérer leurs manques et le sens de leur passage à l’acte incestueux. Ce sont des gens qui sont en proie à la confusion mentale, il faut réintroduire la loi de l’interdit de l’inceste et la prison représente un cadre qui permet cette prise de conscience indispensable pour reprendre leur place de père. Quand ils sortiront de prison ou si leur enfant le leur demande un jour, ils devront lui rendre des comptes. Nous essayons de préparer le père à trouver les réponses qui pourront alors aider la victime pour qu’elle cicatrise son traumatisme et ne se sente plus coupable ou responsable de ce qu’il lui a infligé. Il faut sortir de la confusion. Les liens de filiation demeurent, le père restera toujours le père quoiqu’il ait fait.

Propos recueillis par Monique Castro