Film – Graines de grenade dorées par Ghada Terawi – Palestine

Calvaires intimes
Le plus réussi d’entre eux, intitulé Graines de grenade dorées, traite du fléau de l’inceste et de la loi du silence qui bâillonne les femmes qui en sont victimes. La réalisatrice, Ghada Terawi, a recueilli des témoignages poignants, le récit de calvaires intimes aux mains d’un père ou d’un oncle concupiscent et d’une mère qui sait forcément, mais détourne le regard. Ces interviews coups de poing sont entremêlées avec un conte folklorique, davantage allusif, présenté sous forme de dessin animé. C’est l’histoire de Graines de grenade dorées, une jeune fille condamnée à une vie d’errances parce qu’elle a surpris le cheikh de son village en train de dévorer un enfant et qu’elle ne parvient pas à le dénoncer. Le film se conclut sur la supplique d’une des femmes qui témoigne, le visage dans l’ombre pour ne pas être reconnue « Ne restez pas silencieuse… Parlez, même au vent s’il le faut. Mais parlez, parlez… »

Le message a été reçu au-delà de toute espérance. Une heure après la projection dans une université de Cisjordanie, deux élèves sont entrées en pleurs dans le bureau du directeur des études et lui ont raconté les attouchements auxquels leur père se livre depuis des mois. À Tulkarem, dans les quarante-huit heures qui ont suivi la diffusion du film par la télévision locale, un officier de police, qui avait participé au débat télévisé, a reçu quatorze appels de jeunes femmes, victimes de harcèlement sexuel.

« Parmi les appels, il y avait celui d’une jeune fille violentée par son frère et son oncle en même temps, dit le lieutenant Emad Salameh. Celui aussi d’une mère de famille soumise aux assauts de son père, parce que son mari est emprisonné en Israël et qu’elle a dû revenir vivre chez ses parents », raconte-t-il. Pour l’instant, sur ces quatorze confessions spontanées, deux ont déjà donné lieu à un dépôt de plainte. « C’est bien de parler de la résistance à l’occupation israélienne, dit Abir Kilan, la directrice de la télévision de Naplouse qui a diffusé elle aussi le film. Mais il est important aussi d’apprendre à combattre les dysfonctionnements de notre propre société. »

Film – Le Ruban blanc de Michael Haneke – Allemagne

Le Ruban blanc Un film de Michael Haneke
(Allemagne / Autriche / France / Italie, 2009, 144 mn)
Avec Rainer Bock, Christian Friedel, Susanne Lothar, Burghart Klaussner… Avec sa noirceur habituelle, Haneke fait réfléchir sur les mécanismes de la violence ordinaire en disséquant la psyché d’une petite communauté paysanne au début du XXème siècle. Le diable a parfois le visage d’une petite fille…
Interview arte.tv : Michale Haneke
Le réalisateur Michale Haneke à propos de son film « Das weisse Band » (« (Le Ruban blanc) »).

Synopsis : Un village de l’Allemagne du Nord protestante. 1913/1914. À la veille de la première guerre mondiale. L’histoire des enfants et adolescents d’une chorale dirigée par l’instituteur du village, leurs familles : le baron, le régisseur, le pasteur, le médecin, la sage-femme, les paysans. D’étranges accidents surviennent et prennent peu à peu le caractère d’un rituel punitif. Qui se cache derrière tout cela ?
Critique : Beau à tomber par terre, filmé dans un noir et blanc de gravure, ce « Ruban blanc » déroule des paysages de campagne nordique à perte de vue. La voix off d’un instituteur vieillissant se souvient alors par chapitres de quelques incidents qui ont bouleversé une petite communauté paysanne dans sa jeunesse en Allemagne du nord au début du siècle. Si le contexte et l’esthétique du film évoquent un peu les films de Carl Theodor Dreyer, l’univers lui est bien celui d’Haneke : une dissection clinique et légèrement perverse de la violence, de la culpabilité et du côté obscur de la psyché humaine. Le film égrène dans une lente litanie des actes de malveillance assez brutaux et anonymes qui frappent ce petit village en crescendo : un accident de cheval provoqué, un incendie de grange puis les tortures de deux enfants… Ici les innocents se comptent sur doigts d’une main et sont souvent les victimes : le jeune instituteur (narrateur) et sa future femme Eva, deux tout petits garçons, un jeune handicapé mental et une fillette aux rêves prémonitoires. Les adultes en général montrent une autorité rude (le régisseur et le baron), une froideur toute protestante à l’image du pasteur qui fait peser la chape de plomb de la morale et d’un protestantisme strict sur sa famille comme sur ses paroissiens. Le pire de tous, le docteur fait régner une sournoise terreur chez lui. Il se rend coupable d’inceste sur sa fille et torture mentalement sa maîtresse et gouvernante dans des scènes éprouvantes qui rappellent la cruauté des « Scènes de la vie conjugale » de Bergman. Mais les personnages les plus inquiétants sont une bande d’enfants menés par la sinistre Klara, la fille du pasteur. Une fois de plus chez Haneke, les enfants deviennent symboles de toute une civilisation. Cette histoire et le noir et blanc noir et blanc, somptueux mais glacé, rapproche le film d’un autre aussi troublant : « Les Désarrois de l’élève Törless » (1966) de Volker Schlöndorff qui raconte les comportements sadiques d’une classe d’adolescents dans une académie militaire au tout début du XXe siècle. Dans « le Ruban blanc » aussi, tout au long de l’histoire, le fantôme de la montée du régime nazi quinze ans pus tard devient un fond obsédant à l’action. Ce ruban du titre, qui symbolise l’innocence et la pureté des enfants pour le pasteur, pose un contrepoint ironique à leur machiavélisme dans le film. Dans ce « village des Damnés », la violence avance masquée, les soupçons ne mènent à rien, on enterre les incidents avec facilité et le déni, l’aveuglement des adultes face à leurs fautes et à celle de leur progéniture sont de mise. Avec sa noirceur habituelle, Haneke s’attache à faire réfléchir sur les mécanismes du sadisme, il s’interroge sur la naissance de la violence et la réaction à cette violence latente ou non. Il montre un monde où tous (ou presque) sont coupables. Même si la violence est une réaction, et répond plus ou moins à la maltraitance des enfants, il parle aussi d’autre chose de plus mystérieux dans le ressort du crime même le plus anodin : le manque voire l’absence totale d’affect plus horrifiante que tout. Et comme dans « Benny’s Video » « Funny games » ou « Caché », la perversion la plus troublante se cache sous la pureté, sous les traits de cette « prochaine génération » qui obsède le cinéaste et qui, sous des dehors très polis, se révèle maléfique. Quand le mal parfois prend le visage d’un enfant…

Delphine Valloire