Pour Emmanuelle Piet, "DSK ne sort pas blanchi de cette affaire"

Propos recueillis par Claire Hache

Le 24/08/2011

« L’abandon des charges pesant contre DSK en raison de soi-disant problèmes de crédibilité de la plaignante, ce n’est pas seulement un affront à Mme Diallo, c’est un affront à toutes les futures victimes de viol. »

De passage hier à Paris, Douglas Wigdor, l’un des avocats de la femme de chambre, a fait de l’affaire DSK un enjeu plus global. Qu’en pensent les féministes ?

Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol fait le point pour nous sur les conséquences de cette affaire pour les victimes de viol.

Pensez-vous que l’abandon des charges pesant contre DSK va avoir des conséquences sur les victimes de viol ?

Je ne le pense pas car il n’est pas blanchi de mon point de vue. Il a encore des étapes à passer avec le cas de Tristane Banon et la procédure civile aux Etats-Unis, engagée par les avocats de Nafissatou Diallo. Ce n’est donc pas la fin de l’histoire. La décision a par ailleurs été motivée de manière assez intelligente. En aucun cas, il n’est dit dans le document de 25 pages qu’il n’y a pas eu viol. On dit que la victime est trop difficile à défendre au regard de ses problèmes de « crédibilité ». On dit qu’il y a eu relation sexuelle mais qu’il y a trois hypothèses : viol, relation tarifée ou relation consentie « précipitée ».

Du consenti en 7 minutes, il faut le faire quand même !


Est-ce que les femmes ne vont pas quand même réfléchir à deux fois avant de porter plainte ?
Les victimes de viol savent et savaient déjà que c’est difficile de porter plainte. En France, c’est très dur, à peine toléré. On estime à 75 000 environ le nombre de viols par an, même si je pense qu’on est plutôt autour de 100 000 – 120 000, mais seules 10 à 15% portent plainte. Et seuls 2% des hommes sont condamnés. On est donc dans des chiffres minables.

En France, le viol est le seul crime où la victime doit prouver que l’agression a bien eu lieu. Quand il n’y a pas de preuves matérielles, ni de témoins, c’est souvent parole contre parole. L’affaire DSK a quand même permis de parler du viol. Or, plus on en parle, mieux c’est, car on sort du domaine de l’indicible. L’affaire DSK a révélé le niveau de machisme ambiant dans notre société qui est énorme. A nous de faire du bruit autour de ça et de faire que la honte change de camp.

La crédibilité de Nafissatou Diallo est avancée comme la raison de cet abandon des poursuites. Comment réagissez-vous ?
On reproche à la plaignante d’avoir menti dans le passé, notamment au sujet du viol dont elle dit avoir été victime dans son pays d’origine, la Guinée. Mais des gens qui ne mentent pas, je n’en connais pas beaucoup.

Le procureur Cyrus Vance affirme également qu’elle n’a pas été fiable quand elle a raconté les minutes qui ont suivi son agression présumée : mais c’est justement un symptôme majeur des victimes de viol, qui ont subi un choc traumatique, de perdre la mémoire.

Parfois, on a d’ailleurs à faire à des policiers qui nous disent « ça, c’est pas, des bonnes victimes, elles changent de version tout le temps ». Alors qu’au contraire, ces variations sont un effet bien connu de l’état de choc.

Une victime de viol qui a toujours la même version, à titre personnel, ça me donnerait plutôt l’impression de quelqu’un qui a appris son texte par cœur…

Avez-vous le sentiment que les deux parties ont été traitées de façon égale ?

Les mensonges n’ont pas été traités de la même façon des deux côtés. On n’a pas remis en cause la crédibilité de DSK, avec l’affaire Banon par exemple ou encore son histoire au FMI avec Piroska Nagy (Ndlr : une employée du FMI avec qui DSK a entretenu une liaison)

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23 août 2011

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L’association Osez le féminisme ! rappelle ce qu’elle a dit depuis le début de « l’affaire » : nous ne savons pas ce qui s’est passé à New York. Mais le déferlement de propos sexistes et d’idées reçues sur le viol qui s’en est suivi était et demeure inadmissible. Ceci reste encore valable aujourd’hui.

75 000 femmes sont violées chaque année en France. Beaucoup d’entre elles renoncent à parler sous la pression de l’entourage ou sous le poids du tabou : seules 10 % de femmes victimes portent plainte. De nombreuses idées reçues sur le viol sont encore propagées, faisant reposer sur la victime la responsabilité des faits, en raison de son apparence et/ou de son comportement. Dans les faits, le viol reste souvent impuni : seuls 2% des auteurs sont condamnés. Les peines relèvent parfois davantage du symbole que de la sanction tant elles peuvent être légères.

La « crédibilité » des plaignantes, mot-clé des derniers mois, est en permanence remise en cause dans les affaires de viol. Or, nous le rappelons une fois encore, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise victime. Rien de ce qu’une femme a fait ou dit dans le passé ne devrait permettre de minorer la violence qu’elle a subie.

Le viol et toutes les autres formes de violence faites aux femmes sont, au-delà des actes individuels de ceux qui les commettent, un phénomène de société, symptomatique du sexisme qui gangrène toujours notre société.

Dans ce contexte, nous invitons tous les responsables politiques et commentateurs à la plus grande vigilance quant à leurs propos. Si la tentation existait dans les prochaines semaines de jeter le discrédit sur l’ensemble des victimes de viol, l’association Osez le féminisme ! ne manquerait pas de le dénoncer. Nous combattrons les idées reçues sur les violences sexuelles comme nous l’avons toujours fait et exigeons des mesures volontaristes pour permettre aux victimes de parler et de porter plainte. Sans cesser de marteler le message de notre campagne contre le viol de novembre 2010 : LA HONTE DOIT CHANGER DE CAMP.

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