Dworkin Andrea : Pouvoir et violence sexiste

Personnalité marquante du féminisme américain, Andrea Dworkin, est décédée en avril 2005 à l’âge de 58 ans, et elle a laissé une œuvre politique et littéraire exceptionnelle. La lutte contre la violence sexiste, en particulier contre la pornographie, a été le grand combat de sa vie, et la recherche de la justice pour les femmes en a été le moteur. « Je rêve qu’un amour sans tyrannie soit possible », écrivait-elle dans First Love. Personne ne mérite, clamait-elle, le sort des femmes violées, battues, pornographiées, prostituées, assujetties, dominées, persécutées physiquement et psychologiquement. De ces réalités radicales que vivent de nombreuses femmes, Andrea Dworkin a fait une analyse radicale, sans les compromis ni les détours qui parsèment parfois les analyses féministes.

Dans Pouvoir et violence sexiste qui regroupe cinq textes traduits en français, Andrea Dworkin dissèque le pouvoir sexiste qui détruit la vie des femmes. Son aptitude à articuler analyse et recherche de l’action, la justesse et la force de sa pensée, son pouvoir de persuasion expliquent sans doute la crainte qu’elle a inspirée aux pouvoirs politiques et médiatiques. Ils l’ont discréditée, combattue, menacée sans relâche, ils ont inventé n’importe quoi sur son compte, lui ont fait dire ce qu’elle n’avait pas dit, sans jamais réussir à la faire taire.

Andrea Dworkin appelle les femmes à s’unir pour nommer le pouvoir, résister, agir, se réapproprier leur existence. « Nous savons comment pleurer, dit-elle. La vraie question est : Comment allons-nous nous défendre ? » Pouvoir et violence sexiste répond en partie à cette question et à plusieurs autres questions fondamentales. En lisant ces textes, celles et ceux qui mènent une lutte à finir contre la violence sexiste y trouveront une justification de leur travail.

Andrea Dworkin, Pouvoir et violence sexiste, éditions Sisyphe, Montréal, 2007. Préface de Catharine A. MacKinnon. Traduction de Martin Dufresne. Format : 10 cm x 15 cm, 126 pages. ISBN : 978-2-923456-07-2.

Réflexion quant à l’impact de l’inceste sur l’orientation sexuelle par Claudia Robert

Homosexualité féminine/inceste : quel lien ?

« Dans la singularité de notre façon d’aimer, nous sommes chacun une œuvre d’art d’un collectif d’artistes »
Stéphane Clerget

Au cours de mes rencontres avec des rescapées de l’inceste, j’ai pu remarquer que le sujet de l’homosexualité était très souvent abordé, tout en restant cependant un sujet encore tabou.

Je me souviens de cette femme rencontrée lors d’un groupe de parole auquel participaient des victimes de l’inceste. Elle se « disait » homosexuelle mais vivait cette orientation sexuelle difficilement, se refusant même toute relation sexuelle homosexuelle. Pour elle, l’unique responsable de son homosexualité était l’inceste qu’elle avait subit dans son enfance. De ce fait, elle vivait son homosexualité comme une intrusion dans sa vie personnelle. Une intrusion, tel un virus transmis par son agresseur.

Je réalisais alors l’amalgame fait autour de l’inceste et de l’homosexualité et comprenais mieux l’existence de certains mythes subsistants concernant l’homosexualité, tout particulièrement celui pour lequel certains tendent à penser que l’on peut devenir homosexuelle parce qu’on a vécu une expérience traumatique comme l’inceste et/ou le viol.

Ce mythe me renvoyait alors à l’éternelle question :
« Devient-on homosexuelle ou naissons-nous homosexuelle ? »

Encore aujourd’hui la question n’a de cesse de faire polémique. Anthropologues, sociologues, psychologues et autres ont tenté et tentent encore de trouver une explication plausible quant à l’origine de l’homosexualité.

Sans toutefois pouvoir y répondre, demandons-nous simplement pourquoi la question se pose ? Probablement du fait que notre éducation occidentale ne nous permet pas d’envisager le choix de la sexualité comme un choix naturel. Les hétéros ne se demandent pas pourquoi ils sont hétéros. Tout comme rien ne les amène à se demander ce qui les a conduits à devenir hétérosexuels.

Le but de ma réflexion est d’entamer une ébauche pour tenter de briser l’amalgame fait tant par la société que par des victimes elles-mêmes qui, trop souvent, viennent à penser qu’elles sont devenues homosexuelles à cause de l’inceste subit dans leur enfance.

Nul doute que l’inceste a des conséquences sur la sexualité. Mais fort heureusement, toutes les homosexuelles ne sont pas des rescapés de l’inceste.

Identité sexcuelle, orientation sexuelle et préférence sexuelle :
a) L’identité sexuelle

Indépendamment de notre sexe biologique, l’identité sexuelle est la reconnaissance par l’individu et les autres, de son appartenance au sexe masculin ou féminin.
C’est au cours des dernières décennies, et tout particulièrement au tournant du mouvement féministe, dans les années 70, que la question sur la formation de l’identité sexuelle a connu son essor. Diverses disciplines se sont alors penchées sur le concept : sociologie, anthropologie, psychologie, psychanalyse, etc.

D’un point de vue social, la construction de l’identité sexuée commence bien avant la naissance même de l’enfant, notamment grâce à l’échographie qui permet aux parents de connaître le sexe de leur enfant avant même sa naissance. Selon que le sexe de l’enfant soit « fille » ou « garçon », ils vont alors, inconsciemment, « fantasmer » l’enfant et de ce fait, lui octroyer d’office une identité sexuée basée uniquement sur des caractéristiques anatomiques. Par la suite, l’environnement social et, notamment, le contexte familial et socioculturel pré-établi pour chaque individu influenceront de manière prépondérante le comportement, l’attitude et les caractéristiques propres à l’enfant selon son sexe biologique.

On peut donc dire que le sexe est une catégorie sociale dans laquelle sont définis des rôles, des tâches, des caractéristiques en fonction de l’appartenance biologique du sexe de l’enfant créant ainsi des stéréotypes sociaux. Stéréotypes renforcés dès le plus jeune âge par notre culture. Prenons l’exemple de la littérature infantile qui met en avant la répartition des rôles en fonction du sexe biologique. Les héros y sont fréquemment des personnages masculins et la femme reste cantonnée à un rôle de mère, docile et dévouée…

Mais l’influence sociale perdure bien au-delà de la frontière familiale. Au niveau scolaire par exemple, pendant très longtemps, la filiale mathématique a été rattachée aux garçons et la filiale littéraire aux filles. Dans les centres aérés, les jeux sportifs vont être d’emblée proposés aux garçons et les activités manuelles aux filles.

D’un point de vue psychologique, selon Freud, c’est au terme de l’organisation oedipienne (vers 5 ans) que l’enfant intègre les valeurs, rôles et attitudes propres à son sexe grâce au processus d’identification l’amenant à adopter un rôle sexué.

Pour Robert Stoller, cette identité serait le résultat de l’ensemble des conduites de l’entourage de l’enfant, différentes selon qu’il soit reconnu comme garçon ou fille. Toutefois, Stoller ajoute que le rôle du père est essentiel dans l’acquisition de l’identité. En effet, l’intervention paternelle dans la symbiose mère-enfant serait la source du noyau de l’identité du genre. Processus qui serait, selon lui, perturbé si le père est absent, indifférent ou inaccessible.

Pour Lacan, l’identité du genre relève du semblant. S’il peut être question du genre chez les enfants, à l’âge adulte « il est du destin des êtres parlants de se répartir entre hommes et femmes » (1). Au-delà de l’anatomie, l’identité sexuelle n’est rien d’autre qu’un langage, un comportement. Dans cette idée, Lacan rejoint Simone de Beauvoir au travers de sa maxime : « On ne naît pas femme, on le devient » (2). Ainsi, en 1949, elle mettait déjà en avant l’idée que la femme est une construction purement sociale pour laquelle son destin est d’emblée dessiné à la naissance et se répétera inlassablement tout au long de sa construction psychique : celui d’aimer les hommes et de lui assurer une descendance ! Tout l’entourage, familial et social, mettra, par conséquent tous les moyens en œuvre et ne laissera paraître aucune échappatoire possible. Ainsi, s’il n’y avait pas cette nécessité absolue de procréation, il n’y aurait d’importance à devenir hétérosexuelle.

Je pourrai citer d’autres théories, d’autres « têtes pensantes », il n’en reste pas moins que l’acquisition de l’identité sexuelle reste un processus complexe. Soulignons également que si notre culture occidentale catégorise les individus en tant qu’hommes et femmes, basée sur un certain stéréotype, d’autres civilisations reconnaissent l’existence d’autres genres sociaux (les eunuques, hijra).

Dans un monde occidental, obsédé par l’attribution d’une sexualité prédéterminée selon le sexe, il me semble opportun de rappeler un point de vue fortement soutenu dans les domaines de la biologie et de la sociologie : « le sexe entre les oreilles est plus important que le sexe entre les jambes », qui implique que notre identité sexuelle est tout simplement notre conviction inébranlable d’être un homme, une femme, les deux, aucun des deux ou une personne intersexuée (3).

b) L’orientation sexuelle

Souvent confondue avec l’identité sexuelle, l’orientation sexuelle se caractérise selon l’attirance érotique éprouvée envers des personnes de l’un ou l’autre sexe.

• asexuelle, s’il y a absence d’inclinaison sexuelle particulière,
• hétérosexuelle, si elle porte sur des personnes de l’autre sexe,
• homosexuelle, si elle porte sur des personnes du même sexe,
• bisexuelle, si elle porte indifféremment sur des personnes des deux sexes,
• pansexuelle, décrite comme la capacité d’aimer quelqu’un sans considération pour son sexe ou son genre
c) Préférence sexuelle

Totalement indépendante de l’identité et de l’orientation, la ou les préférences sexuelles corresponde(nt) au(x) type(s) de pratique qui procure le plus de plaisir, renvoyant finalement à un concept du goût.
Même si nous passons, a fortiori, par des étapes communes, notamment dans le développement psychoaffectif, ces préférences s’élaborent au cours de notre développement psychosexuel, de nos propres expériences physiques et affectives. Les préférences qui en résultent sont en fonction de la propre sensibilité et perception de chacun. Il n’existe pas de typologie type en la matière. Expérimentées, ces préférences sexuelles sont ensuite cultivées, transformées, sublimées, transmises, niées, refoulées voire condamnées selon l’influence de l’environnement social.

L’homosexualité

L’homosexualité n’est ni un crime, ni une maladie, ni une anomalie de soi, l’homosexualité est tout simplement une « normalité différente »
Claudette Savard

Dérivé du grec (homos : semblable), le terme « homosexualité » a été créé vers 1869 par le médecin hongrois Karoly Maria Kertbeny pour désigner toutes les formes d’amour charnel entre des personnes appartenant biologiquement au même sexe.

L’homosexualité, et plus particulièrement, l’homosexualité entre femmes, dont il est question ici, est une attirance sexuelle et émotionnelle entre deux femmes, appelée également « lesbianisme » ou « saphisme » en référence à la poétesse grecque Sappho qui vivait sur l’île de Lesbos au 6e siècle avant J.-C.

Jusqu’en 1974, l’homosexualité était classée comme un désordre mental. DSM-II (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders : catalogue de définitions et de descriptions cliniques diffusé dans le monde entier). En 1985, l’homosexualité est retirée du manuel diagnostique et statistique des maladies mentales (Diagnostic and Statistical Manuel of mental disorder, DSM). En 1991, l’OMS retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales mais c’est seulement en 1992 que l’homosexualité est enfin déclassifiée par tous les états signataires de la charte de l’OMS.

Parmi les diverses théories qui ont tentées de nous éclairer sur le sujet, il subsiste celle partant du principe que l’homosexualité serait innée. Or cette théorie, selon laquelle certains stigmates physiques permettraient de repérer un individu homosexuel (Étude des chromosomes dirigée par Dean Hamer en 1993, étude de l’hypothalamus réalisée par le Dr Le Vay en 1991 etc.), est très largement contestée. En effet, de nombreuses études scientifiques ont été lancées par différents chercheurs et ont abouties à des conclusions très controversées et discutables.

D’un point de vue psychanalytique, dans le concept du complexe d’oedipe féminin (appelé plus tard complexe d’Électre par Carl Gustav Jung), Freud explique que la fille, privée de pénis, ne peut entrerouvertement en conflit avec le père. La castration n’est alors pas ressentie comme la peur de perdre son pénis, mais comme la frustration de ne pas en avoir. Selon Freud, l’enfant fille peut alors réagir de trois façons :

1. Rejet pur et simple de la sexualité ;
2. Rejet de la castration et donc de son destin de future femme ;
3. Choix du père
comme objet.

Aujourd’hui, cette théorie est également disputée dans le sens où Freud prête aux petites filles de son époque une connaissance de l’anatomie humaine qu’elles n’avaient probablement pas. On ne comprend donc guère comment une « envie de pénis » peut se développer chez quelqu’un qui ignore jusqu’à l’existence même du pénis. Par ailleurs, Freud a élaboré sa théorie à partir d’un calque établi à partir du développement psychique du garçon, puisque selon lui, la petite fille se considèrerait comme un «garçon privé de pénis » faisant d’elle une sorte de garçon « à part ». A aucun moment Freud n’amène la féminité égale à la masculinité, mais plutôt comme un défaut par rapport à un garçon supposé meilleur (puisque lui ne « manque » de rien).

D’autres théories ont permis de mettre en évidence l’acquisition progressive de l’homosexualité (cf. chapitre sur l’identité sexuelle). En effet, il existe de multiples éléments prouvant que l’orientation sexuelle d’un individu (tant homosexuel qu’hétérosexuel) ne dépend non pas d’un seul et unique facteur, voire de supposées prédispositions, mais principalement de sa construction psycho-sexuelle individuelle, influencée également par son environnement socioculturel tant familial qu’extra familial. Autant d’éléments qui, additionnés les uns aux autres font forger l’identité, le caractère et la sexualité de chacun.

Personnellement, je soutiens cette théorie qui me semble la plus pertinente et tends à penser que notre orientation sexuelle est le fruit d’une évolution personnelle acquise au fil de notre histoire, de son environnement, de ses acteurs et sous l’influence de notre éducation.

À cela je reprendrais simplement l’idée de Joyce Mac Dougall dans « Eros aux milles visages » (4), prônant l’idée que les analystes doivent avant tout assurer la survie psychique, ce qui suppose qu’ils n’aient aucune règle de « normalité » à imposer et qu’ils aient pour objectif de respecter la liberté créatrice de chacun.

Le tabou de l’homosexualité

Dans l’univers abstrait de la sexualité, l’homme a ressenti le besoin de repères, de « normalisation » créant de ce fait des catégories sexuelles dans lesquelles toute orientation autre qu’hétérosexuelle devenait déviante ou pathologique, cataloguant et stigmatisant ainsi l’homosexualité. Benoît XVI nous l’a rappelé il y a peu : « l’Église de Rome considère l’homosexualité comme une dérive, comme un déséquilibre mental, comme un défit à l’ordre établi par Dieu ». À cela, j’aimerais souligner que pendant des années, l’Église a soutenu que le soleil tournait autour de la terre et a condamné les déclarations contraires comme hérésies.

Ainsi dans notre société principalement hétérosexuelle, tout individu homosexuel(le) est catalogué(e) comme « à part », rendant son évolution vers une affirmation de soi difficile, notamment du fait de l’exclusion sociale faite par l’entourage cyniquement ou inconsciemment.

Même si l’homosexualité est mieux acceptée et moins tabou qu’hier, il ne s’agit encore que de tolérance et non d’acceptation. Tolérance d’autant plus permise si l’on reste discret…

En termes de tabou et tout particulièrement de silence, il me paraît également opportun de soulever un autre point fondamental concernant l’homosexualité féminine : il s’agit de l’invisibilité des femmes. En effet, contrairement à son homologue masculin, l’homosexualité entre femmes s’est montrée durant des décennies, plus discrète. Et pour cause… Dans la Grèce antique, du temps des Pharaons mais également dans l’ancien Japon, l’homosexualité masculine était très en vogue et surtout légitimée sous le couvert de rites initiatiques notamment en Grèce. L’homosexualité féminine quant à elle, n’avait aucune reconnaissance sociale. C’est seulement à partir de la fin du 19e siècle, que l’on a pu constater son émergence mais aujourd’hui encore et malgré des combats communs, l’homosexualité féminine souffre d’une invisibilité accrue. Il suffit de se pencher sur la littérature pour constater la pauvreté d’ouvrages en matière d’homosexualité féminine. En 2008, sur France Culture, j’écoutais une émission intitulée « Travaux Publics » dont le sujet était « Maroc : Islam, libertés et minorités sexuelles ». Fort intéressée par le sujet, je me suis attardée sur l’émission pour finir par me rendre compte qu’il ne s’agissait que d’homosexualité masculine et lorsque en fin d’émission une jeune femme posa la question sur l’homosexualité féminine au Maroc, l’invité, de formation anthropologue, répondit : « l’homosexualité féminine au Maroc est inexistante, invisible. Pour les gens, une vraie sexualité implique la présence d’un homme ».

Les mots parlent tout seuls… et pourraient à eux seuls, faire un sujet ultérieur plus complet quant à la divergence entre homosexualité masculine et homosexualité féminine.

Dans le « Dictionnaire de l’homophobie », Sébastien Chauvin (5) souligne que du fait que la sexualité homosexuelle soit considérée comme « non conforme », la vision homophobe réduit ainsi l’identité homosexuelle à une orientation purement « sexuelle » renvoyant à cela l’image d’une identité indécente, pensée en termes de « tendances » et de pulsions « animales ». Leur être tout entier se retrouve identifié à une « pulsion perverse ». C’est pourquoi l’homophobie ne considère pas les homosexuels simplement comme des anormaux, mais en fait aussi et surtout comme des impudiques. Le sentiment d’être réduit à une pulsion, face à une société dans laquelle le « processus de civilisation » tend précisément à refouler l’ordre de l’organique et du pulsionnel dans la sphère de l’intime et du privé, la honte homosexuelle a un rapport privilégié avec le sentiment d’être sale et d’être sale en public, c’est-à-dire dans une situation inappropriée et choquante. La honte est la manifestation d’une forme « d’allégeance corporelle » des homosexuels à l’idée que ce qui est révélé sur eux (ou ce qui menace de l’être) renvoie à quelque chose de fondamental pour la définition de leur caractère, et que ce « quelque chose » devrait ou aurait dû rester caché. Plus radicalement, la honte extorque au sujet homosexuel la croyance au mythe qu’il y a bien, dans les plis de son corps ou dans les profondeurs de sa conscience, un « quelque chose » à cacher ou à révéler ce dont précisément il est invité à avoir honte. »

Cette violence sociale brise des vies (drames personnels, rejet familial, scolaire ou professionnel). Il faut alors faire face à une société qui rejette.

Pour reprendre l’idée de Stéphane Clerget (6), il conviendrait donc d’admettre que l’interdit de l’homosexualité est une création sociale.

Face au rejet d’une société majoritaire, à la discrimination, à l’exclusion et du prix à payer, l’homosexualité est encore trop souvent vécue comme une honte, comme un tabou condamnant sa «population» au silence.

L’INCESTE
« L’inceste est assimilable à un meurtre sans cadavre »

Nicole Borvo

Nous aurions tendance à croire, qu’à l’aube du 21e siècle, il n’y a plus lieu d’expliquer l’inceste. Or l’inceste reste, pour de nombreuses personnes, un sujet obscur, rempli de préjugés et de mythes.

Définit par le Petit Larousse, l’inceste se limite à « une union illicite entre parents à un degré pour lequel le mariage est interdit ».

Mais l’inceste est bien plus complexe que cela.

En dehors des relations entre adultes consentants, il se traduit le plus couramment, en relations à caractère sexuel imposées à un enfant par l’un des membres de sa famille (père, mère, fratrie, grand père, grand-mère, oncle, tante, etc) ou de toute personne ayant autorité sur lui.

Par relation sexuelle, il est entendu tout comportement sexuel verbal ou physique : attouchement, masturbation imposée, pénétration sous toutes ses formes : vaginale, anale ou buccal, pratiquée par un organe (doigt, pénis) ou un objet.

L’inceste, c’est également celui appelé plus couramment « l’inceste moral ». Il concerne l’exhibitionnisme, l’incitation à la prostitution, tenir des propos à caractère sexuel, visionner des films pornographiques avec un enfant, le photographier nu ou dans des situations érotiques, faire l’amour devant lui, l’utiliser comme confident de ses aventures sexuelles.

Une autre forme d’inceste, moins connue mais tout aussi courante et dévastatrice : l’inceste perpétré sous le couvert de soins d’hygiène abusifs appelé « nursing pathologique ». L’agresseur assouvit ses pulsions en pratiquant des toilettes vulvaires trop fréquentes, des décalottages à répétition, des prises de la température inutiles plusieurs fois par jour, des lavements, etc., et ce jusqu’à un âge avancé de l’enfant.

Présent dans toutes les classes sociales et économiques, l’inceste se caractérise par un abus de pouvoir et de confiance de la part d’un proche sur un enfant. Les auteurs d’abus emploient de nombreuses tactiques pour s’assurer du silence de leur victime (manipulation psychologique, chantage affectif, menaces, force physique, achat du silence sous forme de récompense, configuration de punition…). Les liens qui les unissent sont de l’ordre de la dépendance affective. Ils créent la confusion dans l’esprit de l’enfant entre amour et sexualité et place l’enfant dans une fonction d’objet sexuel.

L’inceste a forcément des répercussions dans la relation intime avec une personne qui a été victime de violence sexuelle lorsqu’elle était enfant ou adolescente car la violence sexuelle a affecté tout le développement émotif de celle ci.

A ce sujet, le Vancouver Incest and Sexual Abuse Centre (VISAC) a édité le « Guide à l’intention des conjoints » dressant une liste des points pour lesquels des problèmes peuvent se poser dans la relation intime. En voici un extrait du guide, repris de la page 2 :
Confiance. Un enfant vit une agression sexuelle comme une trahison de sa confiance, surtout si la personne qui lui a infligé de la violence était quelqu’un qu’il aimait bien. Suite à une telle expérience, il est possible que votre conjointe ait de la difficulté à faire confiance à quelqu’un ou à déterminer à qui elle peut faire confiance.
Pouvoir. Un enfant qui est victime de violence sexuelle se sent impuissant. En tant qu’adulte, votre conjointe peut, à certains moments, se sentir impuissante et incapable de s’affirmer. En revanche, à d’autres moments, elle peut essayer de tout diriger dans les moindres détails, de façon à se sentir en sécurité et à avoir l’impression d’exercer plus de pouvoir.
Intimité. Un enfant victime de violence sexuelle a trop peur de révéler son secret à quelqu’un et a trop honte pour laisser quelqu’un développer des liens étroits avec lui. Il apprend à se comporter comme si tout allait bien, tout en cachant ses vraies pensées et ses vrais sentiments, même à lui-même. Il est donc difficile pour lui, à l’âge adulte, d’établir une relation d’intimité.
Sexualité. La violence sexuelle entrave le développement normal de la sexualité. En grandissant, au lieu de considérer son corps comme une source de plaisir, votre conjointe l’a probablement considéré comme une source de douleur. Elle peut considérer les rapports sexuels comme une façon d’exercer une domination et non pas comme un moyen d’exprimer son amour. Par conséquent, elle peut refuser les rapports sexuels ou, au contraire, s’en servir pour obtenir du pouvoir ou gagner de l’affection.

Le tabou de l’inceste

L’inceste, encore considéré de nos jours comme tabou est scellé par une loi du silence qui semble immuable. Silence accrédité par la loi qui contraint les victimes au silence passé un certain délai.
Parler de l’inceste dérange car il touche à l’interdit mais surtout à ce qu’il y a de plus sacré : la famille. L’inceste est vécu dans la honte et le secret, tant par les victimes que par les témoins. Selon les chiffres constatés, on estime que 90% des cas d’abus faits sur les enfants ne sont pas déclarés aux autorités (7). Par ailleurs, on sait que près de 80 % des abus sexuels commis sur des enfants sont l’œuvre de proches parents ou de connaissances de la famille (SNATEM Bulletin 2000). Selon l’OMS, 150 millions de filles et 73 millions de garçons de moins de 18 ans auraient subi un rapport sexuel imposé ou d’autres formes de violence sexuelle en 2002 (8).

Psychiquement et physiquement, l’enfant se retrouve pris en étau entre l’amour pour les siens et le silence qui lui est imposé par l’agresseur, l’enfermant dans la culpabilité.

Seulement 30 % des enfants victimes des abus sexuels divulguent l’abus durant leur enfance (Robins, S. L. Protégeons nos élèves : Examen visant à identifier et à prévenir les cas d’inconduite sexuelle dans les écoles de l’Ontario – sommaire et recommandations, Toronto, ministère du Procureur général de l’Ontario, 2000, p. 15.)

Et même si certaines victimes parviennent malgré tout à envisager de parler publiquement de ce qu’elles ont subis ou subissent encore, elles restent paralysées par la peur. Tant de l’agresseur lui-même que celle de ne pas être crues, d’être pointées du doigt, d’être jugées, d’être responsable de la fracture familiale mais également par peur de rejet et de l’exclusion familiale. L’inceste fait partie de l’ordre d’une violence impensable poussant parfois consciemment ou inconsciemment les témoins directs à ne pas voir, ou pire, à exclure la victime au nom de la cohésion familiale, comme pour sauvegarder « l’honneur de la famille », renvoyant sur elle toute la culpabilité qui s’y rattache. Dans les dictatures familiales, il y a souvent le rejet de l’enfant par la mère (9).

Au sentiment de peur vient se greffer la honte. Honte de la pseudo complicité instaurée par l’agresseur, honte de l’humiliation subit, honte de ne pas avoir su dire non, honte d’avoir fait des choses sales.

L’inceste laisse des marques indélébiles sur ses victimes.

Il s’alimente du secret, génère la culpabilité puis la honte condamnant ses victimes au silence.

l’impact de l’inceste sur la sexualité

Catherine Cabanis dans le Manuel de Sexologie (10) nous indique que « la capacité à exprimer son désir sexuel et à ressentir du plaisir érotique dépend de la capacité de la personne à intégrer certaines perceptions et émotions, à les coder comme érotiques tout en étant capable de les diffuser à l’ensemble du corps mais aussi à les canaliser vers l’espace érotique interne permettant la possibilité d’atteindre un épanouissement et un plaisir sexuel. Ceci s’appuie sur la capacité de percevoir son corps. Ces perceptions et codifications érotiques dépendent d’une multitude de facteurs cognitifs, affectifs, symboliques et imaginaires eux-mêmes liés à l’apprentissage, la personnalité, la relation ».

Or, l’inceste, comme toute autre forme d’abus sexuel commis sur un enfant, provoque une rupture dans le développement psycho-sexuel.

Très fréquemment les victimes à l’âge adulte, continuent de subir leur sexualité plutôt que de la vivre. Le traumatisme s’enracine dans le corps et plus encore s’il est répété, donnant naissance à différents symptômes tels que la frigidité (pas de plaisir pendant les rapports), anaphrodisie (qui n’a pas d’envie sexuelle), anorgasmie (pas d’orgasme), vaginisme (resserrement vaginale), dyspareunie (pénétration difficile, douloureuse), sans parler des mycoses, herpes, eczéma, brûlures vulvaires, etc… Autant de symptômes comme des cris de révolte silencieux repoussant toute intrusion au corps.

Selon une publication réalisée par le Conseil du statut de la femme (organisme de consultation et d’étude créé en1973) intitulé « L’inceste envers les filles : état de la situation » paru en mars 1995, il semblerait que les effets sur la sexualité des femmes adultes agressées sexuellement durant l’enfance soient de ceux les plus souvent rapportés.

En effet, l’abus sexuel brise tout accès au désir et au plaisir conduisant de nombreuses victimes d’inceste à ne pouvoir parvenir à voir leur corps autrement qu’en tant qu’objet sexuel. Le corps sali devient objet de dégoût et de honte. Il est alors perçu comme un danger dans la relation avec l’autre générant alors différents symptômes en tentatives de soustraction au regard de l’autre.

La sexualité est alors réduite uniquement à la sexualité de l’autre où le désir de l’autre devient alors danger. Affection et sexualité se confondent, amenant un grand nombre de victimes de l’inceste à ne pas faire de différence entre sexe et amour. Sous l’emprise de la dépendance affective (conséquence chronique de l’inceste), elles vivent alors au travers de l’autre et perpétuent leur faible estime de soi. Tout ce qu’elles ressentent est perçu comme sans importance. Seule l’estime de l’autre, sa considération, son amour et son respect apaise leur angoisse. Ainsi, au travers de leur soumission et de leur abnégation, elles espèrent ainsi gagner l’affection, l’amour et l’estime. Tiraillée entre la peur de décevoir, d’être abandonnées, voire la culpabilité de rendre son partenaire malheureux ou de ne pas remplir son devoir conjugal, certaines de ces femmes, aveuglées par cette vision totalement erronée, finissent par accepter des relations sexuelles même si elles n’en ont pas envie.

Dès lors, elles subissent la sexualité de l’autre, vécue de ce fait comme une contrainte et transformant inconsciemment le partenaire en « agresseur ».

Nina : « Je vois l’homme, même mon mari qui me désirait, tellement comme un prédateur, je me sentais objet de leur plaisir » (11)

La spirale infernale de la re-victimisation est ainsi perpétuellement alimentée, entretenant les sentiments de peur, de culpabilité et de honte.

L’inceste stérilise les zones érogènes et ne permet pas d’envisager son corps devenu adulte comme « érotique ».

Catherine le traduit très bien dans ses mots : « …ne pas se sentir femme, aucune envie d’être touchée, peur de mes réactions si je me laisse aller au plaisir d’être touchée, aimer, caresser, tout simplement d’aimer, faire l’amour, de donner et recevoir en retour, cela me fait peur. » (11)

Son corps dont elle se méfie ne lui autorise aucun accès au plaisir ni à l’abandon. Or l’expression du désir sexuel et l’abandon au plaisir érotique sont à l’intégration qu’une personne a constituée au cours de sa personnalité psycho-sexuelle.

De l’inceste et de l’homosexualité

Nul doute que l’inceste a des conséquences sur la sexualité pouvant entraîner de la confusion, des troubles dans l’identité.

Mais on ne devient pas homosexuelle parce que l’on a vécu une expérience traumatique comme l’inceste et le viol, tout comme on ne le devient pas non plus parce qu’on a été insatisfait d’une relation hétérosexuelle. Toutes les homosexuelles ne sont pas des rescapées de l’inceste et toutes les victimes d’abus sexuels ne sont pas homosexuelles. Il est toutefois difficile de donner des chiffres du fait notamment du silence autour de l’inceste tout comme autour de l’homosexualité féminine (cf. Chapitre sur le tabou de l’homosexualité).
Quoiqu’il en soit, il suffit de naviguer sur les différents forums lesbiens ou d’interroger autour de soi pour se rendre compte que toutes les femmes homosexuelles ne sont pas, fort heureusement, des rescapées d’inceste et/ou d’abus sexuels. Nombreuses d’entre elles ont d’ailleurs eu une enfance heureuse et choyée.

Pourtant, il n’est pas rare de trouver différents articles, voir même certains livres, amenant l’idée que l’homosexualité serait, pour une victime d’inceste un moyen de fuir son ou ses agresseurs. Dans un collectif intitulé, Maternité et traumatismes sexuels de l’enfance (12), il est amené l’idée que «l’homosexualité féminine peut être une forme de sexualité réparatrice». Sur le site de l’association inter-hospitalo Universitaire de sexologie, dans un article déposé par le Dr Marie Hélène Colson, intitulé « Traumatismes sexuels, incestes, pédophilie, et sexualité à l’âge adulte, quelles conséquences ? » (13) l’homosexualité est présentée comme « un moyen, pour certaines victimes, d’éviter de se confronter au sexe de leur abuseur et de construire une relation dans la confiance ». On retrouve cet article de manière diffuse sur la toile internet. Cet argument sera également repris dans son livre « la sexualité féminine » (14).

Ce genre de discours stigmatise une fois encore l’homosexualité entre femmes et perpétue de faux mythes comme celui déjà évoqué, laissant à croire que l’on devient homosexuelle par insatisfaction d’une relation hétérosexuelle, mais également celui que l’homosexualité féminine serait un inceste avec la mère par personne interposée, ou bien encore, celui que nous traitons ici, l’idée que l’homosexualité résulterait d’un traumatisme lié à l’abus sexuel.

On ne peut cependant, nier le fait que l’image masculine de l’homme puisse parfois raviver vivement la douleur de l’inceste subit. De nombreux témoignages en attestent la véracité.

Nina : « Quand on a subi, on n’a plus confiance en l’homme. Notre corps est une mémoire qui n’oublie jamais. J’ai essayé de trouver du plaisir, d’être comme les autres mais je fus malade de tout ça. A chaque rapport avec l’homme on revit notre histoire. Je me suis tournée vers les femmes où là, j’ai enfin connu la jouissance et la sécurité. Seules les femmes me sécurisent. Je me sens bien dans leur bras et elles me font oublier mon passé. Je suis enfin heureuse» (11)

À travers le témoignage de Nina, la psychanalyse viendrait à parler d’« homosexualité réactionnelle » faisant écho au traumatisme vécu. Mais une fois de plus, il serait alors question de critère discriminant, constitué uniquement par le désir et le besoin de satisfaire une pulsion sexuelle, renforçant plus encore les préjugés liés à l’homosexualité entre femmes. Aussi, il me paraît totalement injustifié de parler d’homosexualité en tant que parade à cette douleur car non seulement ce discours est infondé mais surtout, il transmet des idées fausses et particulièrement néfastes aux victimes de l’inceste, les amenant à se persuader elles mêmes que l’inceste les a conduit à l’homosexualité.

Or, l’homosexualité n’est en rien une orientation purement sexuelle !

En matière de sexualité, le vécu de l’inceste engendre une construction psychique totalement déformée avec des mécanismes de défense destructeurs, d’où certains refus parfois conscients mais aussi et surtout, très souvent inconscients. Inévitablement, les victimes d’inceste font le lien entre l’agression dont elles ont été victimes et leur sexualité. Ainsi, pour ces femmes ayant été victimes d’inceste et ayant une attirance dirigée vers les femmes, leur homosexualité est parfois perçue à tort comme un refuge, un moyen de palier au rejet de l’homme, à l’image que l’agresseur a pu laisser sur sa victime.

Je dis bien « à tort » et persiste à le dire car comment envisager une sexualité épanouie si elle est contre notre nature profonde ? Comment peut-on envisager qu’une femme puisse concevoir sa sexualité avec une autre femme si cela n’est pas en harmonie avec ses désirs intimes ? Cette idée serait alors ramener la femme à l’unique visée purement sexuelle sans tenir compte de son désir. Or le désir naît dans la recherche du plaisir et requiert un investissement personnel actif sur le plan émotionnel. En l’absence de désir comment atteindre le plaisir ? Que dire alors de ce plaisir dont nous font part les femmes homosexuelles dans leurs nombreux témoignages autobiographiques.

Comment expliquer l’épanouissement de Nina dans sa relation avec les femmes, si ce n’est dans l’explication qu’elle donne elle-même plus tard dans son témoignage « je pense que j’étais prédestinée aussi à être homo, même sil n’y avait pas eu cette histoire, je pense que c’était en moi… ».

Connaître les causes de l’homosexualité et tout particulièrement celles du l’homosexualité entre femmes est tout bonnement impossible. Parmi les nombreuses lesbiennes que j’ai pu rencontrer, aucune n’est réellement capable de se l’expliquer. Certaines d’entre elles répondent simplement que c’était là, à l’intérieur… D’autres se refusent d’ailleurs à chercher une explication, partant du principe même qu’il s’agit de quelque chose d’immuable à leur personnalité.

Ce qui est certain, c’est que face à l’éducation de notre société patriarcale, il faut alors un sacré travail de déconstruction pour bâtir son identité lesbienne, car c’est se confronter à l’inconnu, à la marge, à l’exclusion. Aussi, pour celles qui n’acceptent pas et par conséquent, qui n’assument pas leur homosexualité, des problèmes peuvent alors surgir telle qu’une piètre estime de soi pouvant aller jusqu’au dégoût.

Michelle Larivey dans Le guide des émotions (15) nous dit: « On n’éprouve jamais de la honte seul face à soi-même. La honte est un sentiment qui est toujours vécu « devant » les autres et « par rapport » à leur jugement. La honte est composée d’une réaction d’humiliation devant le jugement de l’autre et du jugement négatif qu’on porte soi-même sur cet aspect. Elle permet de constater que nous n’assumons pas ce qui nous fait honte. Elle permet aussi d’identifier le jugement que nous portons nous-même sur le sujet. (C’est justement ce jugement qui rend difficile de l’assumer) »

Mais celle qui m’interpelle particulièrement dans le cadre de ma réflexion est celle directement liée à l’inceste. Celle qui maintes fois répétée engendre alors une honte excessive, véritable source de souffrance individuelle. Dans certains cas, toutefois plus rares, la honte s’exprime sous une forme de domination c’est-à-dire défensive, et se manifeste par un excès d’ambition, d’orgueil et d’agressivité. Néanmoins, d’une manière générale, sous cet aspect négatif, la honte engendre une mauvaise estime de soi, des sentiments d’humiliation, de déchéance, voire même parfois une haine de soi et amène à des conduites d’évitement, de phobie sociale, d’anxiété et d’inhibition entraînant parfois un isolement social.

Nina : «… comme je n’ai dévoilé ce viol seulement 23 ans après, tellement j’avais honte et me sentais coupable, sale, pute… » (11)

Catherine : « …J’ai honte de moi, de mon corps et de tout ce que cela représente pour moi. Trop de souffrance et de colère (11).

On l’aura compris, la honte n’existe qu’au contact des autres et nous renseigne sur la valeur que nous nous accordons au regard d’autrui et de nous-mêmes (suis-je digne d’être aimé tel que je suis ?), ainsi que de notre place dans la société.

La honte stigmatise et pousse à se cacher et à rester invisible.

Assumer son homosexualité, c’est donc faire face au rejet de la société, à la discrimination, au mépris et à l’exclusion. Or devant ces difficultés, l’homosexualité est encore trop souvent vécue dans le secret générant des sentiments de honte, de peur et de culpabilité. Pour une victime de l’inceste, ces sentiments qui s’additionnent alors à ceux déjà existants, amplifient plus encore leur enracinement et leurs conséquences. La peur d’être mis à l’écart, voire d’être rejeté peut alors parfois les pousser à vouloir se conformer à la normalité au détriment de la santé psychique. (En effet, il n’est pas difficile d’imaginer la souffrance psychique ressentie face au rejet même de sa propre nature).

Construire une identité lesbienne devient alors un véritable défi, un authentique parcours du combattant. Il faut alors une sacrée dose de courage, de volonté et d’acharnement pour faire face non seulement au rejet social auquel sont déjà confrontées toutes les lesbiennes, mais plus encore de par ce passé qui les accable lourd de conséquences psychiques innombrables.

Je ne remets en aucun cas en question de force et de volonté des victimes de l’inceste. Bien au contraire, cela n’est plus à prouver. Le fait même d’y survivre reste la plus grande preuve de courage, de ténacité et d’instinct de survie. Cependant, doublement accablée par la honte, la peur et la culpabilité, il est aisé de comprendre qu’il puisse être psychologiquement impossible pour elles de supporter cette surcharge émotionnelle, les poussant inconsciemment à rejeter leur l’homosexualité ou tout du moins, à refuser d’accepter que cela soit un acheminement de leur construction identitaire et de leur orientation sexuelle.

L’inceste devient alors le responsable de cette orientation vécue comme déviante par le mal être qu’elle génère. L’homosexualité est alors de ce fait, vécue comme une obligation de survie. Or nommer l’inceste responsable de son homosexualité est peut être une façon inconsciente de se déculpabiliser de ce que l’on est face au regard de la société : « Je suis homosexuelle mais ce n’est pas de ma faute ! ».

Pourtant, en reprenant le schéma de la construction de l’orientation sexuelle, il apparaît évident que l’agression sexuelle n’est qu’un facteur parmi d’autres, et ce, quelque soit le sexe de l’agresseur, ne change rien à la situation. Ce n’est ni l’identité sexuelle de l’agresseur, ni ce qu’il ou elle a fait, qui peut déterminer à elle seule l’orientation sexuelle d’un individu.

Barbara : « J’ai subi l’inceste aussi bien par des hommes que par des femmes, et pourtant, je n’ai jamais ressenti de rejet aussi bien physiquement que psychologiquement quant aux femmes. Bien au contraire. Je n’ai pas eu un seul rapport sexuel avec un homme sans imaginer avoir une femme à la place dans mes bras » (11).

Croire que se réfugier dans l’homosexualité permet de fuir ses démons est totalement utopique car les conséquences de l’inceste sur la vie sexuelle du couple ont de fortes chances de rester les mêmes.

De nombreux témoignages attestent de la difficulté pour une rescapée de l’inceste d’obtenir une vie sexuelle épanouie. Mais quoique encore très rares du fait du tabou sur l’homosexualité féminine, certains de ces témoignages démontrent que les difficultés demeurent, quelque soit le type d’orientation sexuelle.

Isabelle : « Quand j’ai connu l’amour au féminin, ce fut un bonheur extrême de plus avoir toutes ces images qui me hantaient à chaque fois que je faisais l’amour avec un homme. J’ai cru être « guérie » de l’inceste. Mais j’ai continué à faire régulièrement des cauchemars et à avoir des terreurs nocturnes. Puis, j’ai recommencé à faire des infections urinaires et à faire certains « blocages » vis-à-vis de ma copine. Je vivais en fait assez mal la pénétration et selon mon état d’esprit au moment, je savais d’avance comment mon corps allait y réagir.

J’ai fini par tout raconter à ma copine. Mon passé, ce que j’avais vécu, mes peurs, les séquelles. Nous en avons longuement discuté et j’ai fini par admettre qu’en la laissant faire ce que mon corps refusait, je retombais dans le schéma classique de l’agression. Nous avons donc décidé que si jamais au moment « x », pour une quelconque raison, je ressentais une gêne ou autre, je devais lui dire immédiatement ou lui faire comprendre » (11).
CONCLUSION

De mon point de vue, aucun facteur dans le vécu d’un individu, ne peut à lui seul expliquer l’orientation sexuelle d’un individu.

De notre culture sociale est née l’hétérosexualité, unique voie de conformisme.

De cette culture sociale sont nés les stéréotypes sociaux faisant place alors aux différents préjugés auxquels est confronté chaque individu et plus encore s’il fait partie d’une classe « hors normes ». Qu’on le veuille ou non, ces stéréotypes sociaux sont une violence à part entière conduisant certaines personnes, plus encore si elles sont déjà affaiblies par un traumatisme, à renier leur homosexualité pour ne pas subir une fois de plus cette autre violence.

L’homosexualité n’est pas un ricochet de l’inceste. Nous ne devenons pas homosexuelles en raison du traumatisme vécu car l’homosexualité résulte d’une construction complexe prenant naissance dès le plus jeune âge et qui s’acquière au fil de notre histoire. Certains disent qu’elle est immuable d’autres affirment le contraire. Quoiqu’il en soit, l’homosexualité n’est pas un choix impulsif et encore moins un choix en « désespoir de cause ».

Comme le démontre l’ensemble des points abordés dans la présente réflexion, nous naissons totalement dénué d’identité sexuée. L’homosexualité répond à un cheminement issu de conduites, d’identifications et de préférences, largement influencés par le contexte socio culturel et familial.

Aussi, même s’il reste l’un des plus assassin des traumatismes, l’inceste vécu dans l’enfance ne peut donc en aucun cas être imputé a lui seul à l’homosexualité d’un individu.

Juin 2009 par Claudia ROBERT

Remerciements :

Vanessa Watremez – Présidente et fondatrice de l’association Air Libre (Association contre la violence dans les relations lesbiennes et la violence à l’égard des lesbiennes – www.air-libre.org) Ainsi que toutes les personnes ayant témoignées pour cette réflexion.

Bibliographie :

(1) Lacan Jacques (Séminaire 1971-1972) – D’un discours qui ne serait pas du semblant
(2) De Beauvoir Simone (1949) Le deuxième sexe 1 – Réédition Ed. Gallimard 1986
(3) http://www.vrais-visages.net/spip.php?article56
(4) Mac Dougall Joyce (1996) Eros aux milles visages – Ed. Gallimard
(5) Chauvin Sébastien (2003) Dictionnaire de l’homophobie – Ed. Presses Universitaires de France
(6) Clerget Stéphane (2006) Comment devient-on homosexuel ou hétérosexuel ? – Ed. Jean-Claude Lattès
(7) Fondation Marie Vincent Québec, Canada, site « L’inceste : parlons en» – http://inceste.marievincent.org/

(8) Global Estimates of Health Consequences due to Violence against Children, op.cit., note 8, sur la base des estimations faites par G. Andrews et al., Child sexual abuse, chap. 23, in M. Ezzati et al., (2004) Comparative Quantification of Health Risks: Global and regional burden of disease attributable to selected major risk factors (Genève, Organisation mondiale de la santé, 2004), vol. 2, p. 1851 à 1940, et des données de la Division de la population du Département des affaires économiques et sociales s’agissant de la population âgée de moins de 18 ans.

(9) Foucault P. (1990) L’abus sexuel. Montréal – Ed. Logiques
(10) Cabanis Catherine (2006) Manuel de sexologie – Ed. Masson
(11) Témoignages recueillis anonymement auprès de femmes lesbiennes ayant vécu l’inceste et/ou l’abus sexuel
(12) Bayle Benoît (2006) Maternité et traumatismes sexuels de l’enfance – Ed. L’Harmattan
(13) http://www.aihus.fr/prod/system/main/main.asp?page=/prod/data/publications/couple/traumatismes.asp
(14) Colson Marie Hélène (2007) La sexualité féminine – Ed. Le Cavalier Bleu
(15) Larivey Michelle (2002) La puissance des émotions – Ed. DE L’Homme