Certaines féministes ont beau avoir brûlé des soutiens-gorge en place publique et milité contre le port de cette pièce vestimentaire, nous ne voulons pas instruire son procès mais juste souligner en quoi son nom est singulier. Nous avons déjà évoqué l’anomalie orthographique de soutien-gorge*, qui devrait s’écrire soutient-gorge, comme on écrit réveille-matin ou appuie-tête, le premier terme de ces mots composés étant un verbe à la troisième personne du singulier de l’indicatif présent (cf. soutien-gorge, ou la chute du “t”).
Nous avions provisoirement laissé de côté le second terme, gorge, qui pour désigner les seins a de quoi surprendre. Certes, gorge (ou gorjon), par extension “géographique” de sens, a pu désigner les seins dès le Moyen Age, comme le montre cette citation du XIVe siècle : “Li gorge et li gorjons sont dehors la gonnelle” (la gorge et les seins sont hors de la robe ; Dictionnaire de l’ancien français, ou “Greimas”), mais cette acception, restée marginale, était devenue résiduelle, concurrencée par les nombreux mots qui nomment sans détour la poitrine féminine. Le Robert la donne comme “vieille” et “littéraire”, une sorte de relique linguistique (une relique pour les seins !) : et l’on peut d’autant plus le croire qu’il est expert en matière mammaire.
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La statuette minoenne que nous avons choisie en illustration, trouvée à Cnossos, en Crète, et vieille d’environ 3 600 ans, représente une jeune et gironde dame qui se passe allègrement de soutien-gorge. Pour elle aussi, li gorge et li gorjons sont dehors la gonnelle ! Et aucun tartuffe pour lui dire Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Un chat est juché sur sa tête. Le chat et les serpents indiquent sa proximité certaine avec les puissances chtoniennes. On la nomme, faute de connaissances plus précises, “la prêtresse aux serpents” ou “la déesse aux serpents”.
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* Soutien-gorge a été inventé à la “Belle Epoque” : le mot est baptisé par Larousse en 1904.
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