5/ Docteur Aldo Naouri, vous êtes dangereusement irresponsable

Un inceste sans passage à l’acte : la relation mère-enfant
par Aldo Naouri
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L’Œdipe, ce n’est pas en effet ce que laissent croire nombre de discours. Ce n’est pas une histoire de petit garçon qui veut se marier avec sa mère et qui y renonce magiquement parce que son père l’en aurait dissuadé.
Ce n’est pas une histoire de petite fille qui découvre son envie de supplanter sa mère et qui rentre spontanément dans le rang parce qu’elle a découvert les sortilèges de l’identification.
L’Œdipe, c’est avant tout la conséquence de cette propension incestueuse qui revêt les atours d’une histoire d’amour infiniment tragique et dont nul ne se remet jamais tout à fait. L’objet d’amour, pour le petit garçon comme pour la petite fille, c’est cette mère toute-puissante, toute dévouée et elle seule.
Que l’un et l’autre puissent rencontrer un jour la métaphore paternelle, et s’adapter à son incontournable réalité, ils n’en passent pas moins le reste de leur vie à en espérer la disparition. Quant au père, fût-il admirablement doué pour la chose, il ne peut rien faire, à lui seul, pour sortir ses enfants de ce douloureux débat.
Comme dans toute histoire d’amour, c’est à l’objet d’amour et à lui seul, de trancher dans le vif. Autrement dit, c’est à la mère de nettement signifier, à son fils, comme à sa fille, qu’elle a d’autres horizons qu’eux et qu’en particulier, en guise d’objet d’amour, elle a leur père – ce qui a pour mérite de mettre ce père à une place salvatrice pour tout le monde.
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On conçoit que cette condition première requière de la mère, avant toute chose, le renoncement total et délibéré à sa propension incestueuse et pas seulement sa mise en sommeil. Ce qui survient, il faut le dire, de plus en plus rarement de nos jours.
Voilà pourquoi j’ai voulu insister sur les phénomènes biologiques. Ils aident à mieux comprendre la manière dont la relation mère-enfant est agencée par les effets traçants du séjour de chaque individu dans le ventre maternel. Sans rentrer dans les détails, il n’est pas difficile de concevoir que les perceptions du petit âge prennent pour tout sujet, comme je l’ai déjà laissé entendre, valeur d’une vérité difficile à remettre en question.
Une petite fille, satisfaite par sa mère à en être étouffée, agira plus tard de la même manière avec ses propres enfants. Un petit garçon, élevé dans les mêmes conditions, concevra plus tard sans en être heurté un comportement de la mère de ses enfants qui lui rappellera celui de sa propre mère. Quand elles se fixent et qu’elles parviennent à se reproduire à l’identique, ces attitudes finissent au fil des générations par faire glisser imperceptiblement de la propension incestueuse à l’acte incestueux lui-même.
J’en veux pour preuve la fréquence de la complicité des mères dans les incestes du premier type, la non-rareté des incestes homosexuels mère-fille et enfin ces paroles d’un père, jusque-là exemplaire et qui après la naissance de son second enfant, un garçon, s’était livré à des attouchements sur sa fille : « J’sais pas ce qui m’a pris… J’ai cru que ma femme pourrait m’aimer comme j’voulais qu’on m’aime… J’lui ai demandé… J’ai attendu … Elle l’a pas fait… Maintenant, elle a le petit qui va tout prendre… J’ai pas trouvé auprès d’elle… J’ai pas trouvé… J’sais pas ce qui m’a pris… Il a fallu que j’sois fou pour penser que peut-être ma fille … »

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Mais j’irai plus loin encore en ajoutant, qu’à mon sens, le point de départ d’une histoire qui aboutit à un inceste est toujours, et quoi qu’il puisse en paraître, maternel. Autrement dit, un père qui commet l’inceste sur sa fille ne fait que déplacer sur elle l’invitation à l’inceste que lui aura fait plus ou moins ouvertement sa mère (il deviendrait inces-tueur de sa fille pour se venger de sa mère inces-tueuse ?). Ce qui laisse entendre que l’interdit, que son père aura dû en principe lui signifier, n’a pas été suffisamment intériorisé en raison du fait que ce même père avait probablement été désavoué par sa compagne et qu’il aura subi sans rechigner ce désaveu pour avoir eu lui-même une mère à teinture incestueuse et un père pas très net à cet égard, etc. C’est pourquoi j’ai dit tout à l’heure que les glissements successifs au fil des générations finissaient toujours par entrainer tôt ou tard des passages à l’acte. C’est pourquoi aussi j’ai tenu à relever l’importance de la fonction vicariante du corps social.

Je conclurai enfin en faisant remarquer que si le débat autour de l’inceste ne concernait que la famille, les mécanismes de la reproduction ou les modalités d’élevage des enfants, ce ne serait que demi-mal et je serais prêt à reconnaître que je n’ai prononcé qu’un plaidoyer pro domo. Mais ce problème dépasse, hélas et de loin, ces seuls secteurs. Puisque l’abrasion généralisée des différences qu’il promeut altère notre entendement et menace de la façon la plus insidieuse l’organisation de nos sociétés.

Mais, comment faire pour restaurer, aujourd’hui, ces indispensables différences, sans dénoncer au préalable la fascination exercée par l’effet de miroir et par l’image de l’identique ?

Voilà une question difficile. J’avoue n’y avoir pas même trouvé un début de réponse.

Quelqu’un en a-t-il ?

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Commentaire de l’Auteure obligatoirement Anonyme, parce qu’elle, quand elle a dénoncé, on lui a dit « tais-toi ».
Bien sûr, on va les plaindre les pauvres garçons qui deviennent des adultes irresponsables à cause de leur mère qui elle est responsable. On peut y ajouter un peu de résilience pour les « victimes des agresseurs » avec votre collègue Boris Cyrulnik et on a des hommes infantiles à aider tandis que les femmes sont responsables et doivent s’en sortir toutes seules par la résilience qui est de mise dans notre société.
Et l’enfant incesté, comment se venge t-il du parent incestueur ?
Les dérives dues à ce genre de développement :
Acquitté après avoir violé sa fille de 4 ans pour cause de « sexomnie »
Vous êtes bien aidé par le docteur Massardier qui fait par ailleurs un travail remarquable. Il n’est pas dangereux, lui, les hommes sur lesquels il fait ses études sont en prison.
Pères incestueux par le docteur Luc Messardier de Questions d’inceste

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Autres billets sur le livre De l’inceste par Françoise Héritier, Boris Cyrulnik et Aldo Naouri, Domnique Vrignaud & Margarita Xanthalou

1/ De l’inceste par Françoise Héritier, Boris Cyrulnik et Aldo Naouri
3/ Définition de l’inceste par Aldo Naouri dans De l’inceste
4/ Françoise Héritier et le principe de non-cumul de l’identique
6/ Inceste pas nommer par le législateur par Dominique Vrignaud dans De L’inceste
Autres billets par Françoise Héritier
De l’inceste par Françoise Héritier, Boris Cyrulnik et Aldo Naouri


On ne répond pas aux questions qu’on se pose pas par Maître Eolas

Par Sub lege libertas
le Jeudi 25 mars 2010 à 21:39

Il n’y a pas mieux qu’un prétoire pour fantasmer sur la société et ses maux. D’ailleurs le café du commerce, qui en est le miroir aux suspensions d’audience, se remplit de ces brèves de sociologie judiciaire, de ces « faits » zemmouriens.
N’y voit-on que ce qu’on regarde, comme le demande Maître Eolas ? Importe-il tant d’analyser ce qu’on vient y regarder, même pour dissiper des illusions d’optique qui grossiraient l’importance de la couleur de la peau alors que la faiblesse des ressources serait un critère plus pertinent pour expliquer la présence sur le banc des prévenus de tel ou tel ? Et s’il valait mieux fermer les yeux, sortir des choses vues, pour s’interroger sur ce qu’on n’a pas vu ? Alors les réponses différeraient. Tentons l’expérience, en décentrant le débat des vaguement désignés “trafiquants” vers les agresseurs sexuels sur mineurs au sein de leur famille, les nouveaux monstres actuels, les « pédophiles incestueux ».
Au quotidien dans ma région septentrionale, on ne voit guère dans le prétoire, accusés de ces choses, ni moult bons bourgeois, cadres dynamiques à la peau qui craint le soleil plus rare sous ces latitudes, ni d’ailleurs de nombreux méditerranéens du sud, ni de cohorte de sub-sahariens.
Est-ce un « fait » qu’au Nord, seul le petit blanc inactif, alcoolique et pauvre soulage sa misère sexuelle sur sa progéniture ? On le lisait certes dans les tribunes du Parc des Princes, mais…
Et si la question n’étaient pas : “le maintien de structures familiales traditionnelles et d’interdits religieux forts quant à la sexualité et la consommation d’alcool diminuent fortement la prévalence du risque incestueux dans les familles issues de l’immigration maghrébine ou d’Afrique équatoriale ?” Des sociologues ou démographes ne rappellent-ils pas que le plus souvent, l’émigration vers l’Europe déstructure le tissu familial et s’accompagne aussi rapidement de l’adoption de comportements similaires à ceux des populations du pays d’accueil, à supposer d’ailleurs que cette acculturation n’a pas déjà eu lieu en grande partie dans le pays d’origine, ouvert aux cultures occidentales par l’effet de la mondialisation ?
Et si la question n’étaient pas non plus : “est-ce que la promiscuité, conséquence d’une précarité sociale plus accrue dans les bassins de population septentrionaux, fortement touchés par le chômage structurel de masse, favorise l’inceste dans des familles nombreuses recomposées au sein desquelles le désœuvrement alcoolisé et la déshérence des schémas familiaux traditionnels émoussent le sens moral ? ”.
Si les questions étaient :
— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car dans ce type de milieu, l’enfant abusé sur-couvé dans la famille aurait moins d’interlocuteurs pour l’écouter, contrairement aux familles pauvres ou précaires très suivies par les services sociaux ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car un travailleur social ayant une suspicion se rassurerait plus facilement au sujet la situation de malaise de l’enfant, grâce à l’explication fournie par le parent agresseur sexuel maîtrisant bien l’art de conversation et ayant une image de notable ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car le mal être de l’enfant ferait l’objet par la famille d’une prise en charge par un psychologue, qui pourrait voir dans les dires de l’enfant un récit fantasmatique des relations familiales et conseiller une orientation vers le médecin de famille pour une prise de psychotrope ?
— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car si l’enfant abusé en devient agressif à l’égard d’autrui ou de lui-même, ses parents le feront hospitaliser dans le meilleur service d’une clinique psychiatrique recommandé par relations familiales ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car au fond ces affaires de famille s’y règlent entre soi ?
— Voit-on dès lors moins de maghrébins ou d’africains incestueux en correctionnelle, car au fond ces affaires de famille s’y règlent aussi entre soi, qu’éventuellement la menace d’un « renvoi au pays » de l’enfant qui viendrait à s’en plaindre suffit à maintenir le silence pour cet enfant dont toutes les attaches sont sur notre sol où il est né ?

— Voit-on d’ailleurs un(e) jeune maghrébin(e )ou africain(e) abusé(e) dont les parents sont en situation irrégulière, comme lui /elle le cas échéant, aller porter plainte, alors qu’on a encore récemment vu récemment qu’une jeune adulte scolarisée et battue par son frère a bénéficié en s’en plaignant d’un vol affrèté par le ministère préféré de ce blog ?
— Voit-on aussi moins de maghrébins ou d’africains incestueux en correctionnelle, car le repli sur soi de certaine de ces familles peu insérées quoiqu’acculturées, mais sollicitant donc peu les services sociaux, contribue paradoxalement à enclore l’enfant dans son silence comme un fils ou une fille de la bourgeoisie ?

Et si je pose ces questions, ce n’est pas que la réponse est « c’est un fait ». Ce ne sont qu’hypothèses à vérifier, qui plus est sur des situations rarement observées ou observables par le magistrat, rapportées à la quantité de celles qu’il lui est donné de voir. Mais ces questions, le magistrat du parquet ne se les pose guère quand il traite journellement sa pile de signalement de suspicion de faits incestueux transmis par les services sociaux et concernant d’abord des familles précaires usagers de ce type de structures. Dès lors la question ne pourrait-elle pas devenir cyniquement au sujet de ces pédophiles incestueux potentiels qu’on ne voit pas en correctionnelle :
— Faut-il que je saisisse la Brigade des mineurs du Commissariat du centre ville pour mener d’initiative une enquête du chef de non dénonciation de crime ou délit d’atteinte à l’intégrité corporelle et atteintes sexuelles aggravées, en entendant tous les élèves de l’Institut *** qui ne m’a jamais adressé en cinq ans le moindre signalement concernant ses pensionnaires ?

— Si je ne le fais pas alors que la rumeur, c’est-à-dire une personne digne de foi désirant garder l’anonymat comme le noteraient les policiers, ou un courrier anonyme reçu opportunément le rapporte, est-ce parce que « sociologiquement » ce type de faits se déroulent plus souvent dans d’autres milieux ?
— Et si je le fais et que l’enquête ne prouve rien, pourrai-je conclure que la « pédophilie incestueuse » se manifeste essentiellement dans les famille pauvres, « c’est un fait » ?
Ce que traite la justice pénale n’est pas un miroir de la société, c’est une effraction du regard collectif sur… ses marges.
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