Le viol : de la famille à la cour d’assises par Arnaud Bihel

Mardi, 26 octobre 2010
La réalité judiciaire des viols est très éloignée de la réalité sociale. C’est ce qui ressort d’une étude menée par deux sociologues sur les viols jugés en cour d’assises.
Relation entre auteur et victime, violence, milieu social… Co-auteure de ce travail, Véronique Le Goaziou revient sur ces distorsions.
La judiciarisation du viol n’en est qu’à ses débuts. Selon les enquêtes de victimation, plus de 9 faits sur 10 ne font pas l’objet de dépôt de plainte (1). Mais le viol est le crime le plus couramment jugé en Cour d’assises. Il l’est aussi de plus en plus sévèrement. En 1984, moins de 2 peines sur 10 étaient supérieures à 10 ans. En 2008, plus de 4 sur 10.
« Ce n’est pas un sujet classique en sociologie », reconnaît Véronique Le Goaziou. L’objet de l’étude, commandée par le ministère de la Justice, était de « comprendre ce qu’est le viol, pas uniquement en s’arrêtant aux motivations des auteurs, ou aux conséquences sur les victimes, mais en replaçant l’acte dans un contexte social ». Avec son confrère Laurent Mucchielli, Véronique Le Goaziou a étudié 425 affaires de viols jugés dans trois cours d’assises pour explorer l’ensemble de ces aspects sociaux.
De quoi mettre à mal nombre d’idées reçues. Des idées ancrées parce que le sujet est difficile à aborder. Mais aussi parce qu’« on a un regard assez paresseux sur la violence », juge Véronique Le Goaziou. Un paresse qui empêche trop souvent, déplore-t-elle, de considérer la multiplicité de ce que le terme recouvre. Sur le plan matériel, de la durée, des relations entre auteur et victime… « le mot viol désigne des réalités qui n’ont rien à voir les unes avec les autres ».
Autre exemple des distorsions entre réalité et perception : « On a encore l’image du viol commis dans une rue sombre. Même sur les sites internet consacrés aux victimes, on trouve beaucoup de conseils sur les viols commis par des inconnus. Or, le tout-venant du viol, c’est à l’intérieur des familles ou dans l’entourage proche », interpelle la sociologue.
Pour lire la suite de l’article, cliquez sur le logo

Inceste maternel : l’amour en plus par Caroline Eliacheff

26/07/2004
Caroline Eliacheff, pédopsychiatre, psychanalyste.
Statistiquement, 90 % des actes pédophiles sont commis par des hommes et 10 % seulement par des femmes. Pourtant, faits divers, publicité, livres à succès débordent d’incestes maternels, au pluriel et sans explication.
L’inceste mère-fils est rarement sanctionné et l’inceste mère-fille avec passage à l’acte reste exceptionnel. Or, deux femmes viennent d’être condamnées pour actes pédophiles sur leurs propres enfants et ceux de leurs voisins sans que le caractère exceptionnel de ces faits ait été remarqué.
Plus extraordinaire encore : les deux mères, Myriam Delay et Aurélie Grenon agissaient en groupe avec leurs compagnons et tous leurs enfants réunis. A la lecture des comptes rendus d’audition, il est quasi impossible de savoir si c’est un enfant ou une adulte qui parle.
Myriam Delay ­ la principale accusée Ñ ne parle pas comme une enfant trop bavarde, elle est une enfant. Elle n’a ni grandi et ni enfanté : elle a crû et s’est reproduite. Il n’y a aucune différence générationnelle perceptible entre parents et enfants dans ces familles. Rien ne les sépare, mais rien ne paraît non plus les unir.
En violant l’interdit de l’inceste après avoir elle-même été violée, Myriam Delay accède à la forme de toute-puissance particulière aux enfants de moins de trois ans, qui ­ justement ­ n’ont pas encore intégré l’interdit de l’inceste. Elle accuse, elle absout, elle dicte capricieusement sa loi sans que rien ne l’arrête. Et dire que la France entière s’interroge sur la crédibilité de la parole des enfants…

On ne recense en France que 10 % de femmes pédophiles parce qu’on se focalise sur l’acte sexuel, dont la trace peut valoir preuve en justice. Or l’inceste se définit par une autre caractéristique tout aussi importante : la formation d’un couple par exclusion du tiers.
Une relation mère/­fille (ou mère-fils) dont le père est exclu peut être qualifiée « d’inceste platonique », selon l’expression de Nathalie Heinich. En littérature, Hervé Bazin appelle « maternite » ce basculement d’une jeune épouse en mère absorbée par sa maternité, délaissant son mari et sa propre identité d’épouse, et troquant la sexualité conjugale contre la sensualité maternelle. En psychanalyse, Winnicott l’appelle « préoccupation maternelle primaire ».

A mesure que l’enfant grandit, l’inceste platonique prend la forme d’une emprise grandissante allant jusqu’à ce que la psychanalyste Alice Miller appelle « l’abus narcissique » : les dons de l’enfant sont exploités pour combler les aspirations insatisfaites ou refoulées d’une mère idéalement dévouée. Comme les filles deviennent rapidement parties prenantes de cette relation d’emprise, ce versant négatif de l’amour maternel est difficile à débusquer : comment et à qui se plaindre d’un excès d’amour ?
Quant au deuxième type d’inceste mère-fille, il s’appelle justement l’inceste du deuxième type. L’anthropologue Françoise Héritier l’a défini la première comme la relation sexuelle de deux consanguins avec le même partenaire, par exemple quand une mère et sa fille ont une relation sexuelle avec le même homme. Cette relation introduit « une intimité charnelle entre consanguins inconcevable, indicible autrement que par le sous-entendu des mots ». Ce type d’inceste ne fait pas l’objet d’une prohibition universelle, mais il n’est pas non plus clairement autorisé, puisque sa transgression provoque pour le moins un malaise.
Pour lire la suite de l’article, cliquez sur le logo de Libération.fr