Qui est victime ? Affaire Polanski

On ne parle pas beaucoup de Samantha Geimer. On parle rarement des victimes – quoique je déteste ce nom, je préfère celui de survivante – Où en est Samantha Geimer ? Va-t-on finir par respecter son désir ?
J’ai un sale souvenir de ce que représente le fait de porter plainte ou non, et de la culpabilité que cela représente dans un cas comme dans l’autre. Va-t-on amplifier cette culpabilité en abolissant la prescription ?

Extrait de Viols par inceste de l’Auteure obligatoirement anonyme
Parce qu’elle n’a pas porté plainte et qu’elle savait qu’elle serait responsable pour longtemps.

Pour me souvenir des viols, il me faut entrer dans une sorte de deuxième personnalité. C’est toujours difficile, voire insupportable. Je l’ai souvent remarqué lorsque d’autres me racontent leur histoire. Nous avons, il me semble, une seconde personne en nous. C’est certainement ce dédoublement de personnalité qui nous a permis de survivre. J’ai conscience que la personne violée est toujours présente, prête à faire une apparition, bien que je la maîtrise de mieux en mieux et, qu’avec le temps, elle meure au profit de celle à laquelle je donne naissance quotidiennement. J’en fais le deuil et cela est très réconfortant.

Quelque chose d’effroyable est arrivé :
il est venu et il ne m’a pas tuée.

Je dois parler du pouvoir de mort qu’il s’était octroyé sur moi. Elle m’avait donné la vie, il m’a donné la mort.

J’aurais voulu fuir dans une autre peau que la mienne. Je pensais qu’il n’y avait aucune issue possible ; j’étais perdue, je ne me défendais pas pour ne pas lui donner la possibilité de me briser encore plus. J’étais ensevelie sous un flot d’impuissance dont seule la mort m’aurait délivrée. Lorsque cette impuissance réapparaît régulièrement, les envies de suicide se précipitent.

L’arrangement avec la victime
Outre « le problème de la prescription de l’action publique », l’avocat de Roman Polanski, Hervé Témime, a rappelé que « la victime supposée de l’infraction s’est désistée depuis de très longues années ». Samantha Geimer a publiquement demandé à ce que l’affaire soit classée, même si elle maintient ses accusations de viol. Elle a expliqué que l‘insistance avec laquelle le parquet de la ville exigeait le retour du cinéaste aux Etats-Unis tenait de la « mauvaise blague » dont elle faisait les frais.


La victime elle-même est favorable au classement de l’affaire. La jeune Samantha Geimer avait confié en 2003 au Honolulu Star-Bulletin qu’elle avait accepté de poser pour des photographies que Roman Polanski allait prendre pour Vogue, rappelle l’agence BNOnews : « J’ai eu un peu peur à la fin [de la deuxième séance de photos], et j’ai compris qu’il avait d’autres intentions, (…) mais je ne savais pas comment m’en sortir ». Elle a également accusé Polanski de lui avoir fait boire du champagne et de l’avoir droguée pour pouvoir abuser d’elle.

« Quand je repense à tout ça, il ne fait aucun doute que ce qu’il a fait était horrible. C’était une chose horrible à faire à une petite fille. Mais c’était aussi il y a 26 ans (son témoignage remonte à 2003), et honnêtement, la publicité qui entoure cette affaire m’a tellement traumatisée que ce qu’il [Polanski] m’a fait me semble pâle en comparaison (…). Je n’ai pas de rancoeur envers lui, ni aucune sympathie non plus. C’est un étranger pour moi (…) Mon attitude surprend de nombreuses personnes. C’est parce qu’ils n’ont pas dû affronter tout cela. Ils ne savent pas tout ce que je sais (…). »


Courage : Emission "Médiations" – Interdits ordinaires

Emission « Médiations »

Un mot revenait sur toutes les lèvres : courage. Impression lointaine pour Camille… mauvais terme plutôt sens du devoir alors qu’elle restait convaincue du silence de sa famille parce que l’armée, la « grande muette », avait appris à son père que pour demeurer inconnu, il était préférable de rester dans l’anonymat sans se manifester, justement celui qui protège et permet aussi toutes les exactions. En prenant la parole, elle ne savait pas comment faire pour éviter de dire le contraire de ce qu’elle avait en elle ? Elle était très tentée par une abstention parce que le mieux, était encore de se taire. Au moins, quand elle se taisait, elle ne disait pas le contraire de ce qu’elle pensait. Elle luttait contre ses quinze ans durant lesquels se taire était la meilleure façon qui lui avait été donnée de s’exprimer. Que risquait-elle ? Le danger lui paraissait plutôt moral. Avait-elle le droit de dire l’indicible, l’insupportable de médiocrité ? Camille avait l’avantage d’avoir été élevée dans une famille, juste assez cultivée pour comprendre de quoi il retournait, et assez peu influente pour avoir des intérêts à défendre. D’aucuns, dans sa famille n’avaient nié les faits et les implications. Le silence servait de refuge à chacun. Impensable de traiter publiquement Camille de folle qui risquait moins que les autres. À ce point de son engagement, elle ne pouvait plus rester dans cette sorte d’omertà qui servait les violeurs et donner des leçons de probité à la terre entière. Tout en gardant l’humilité pour seul orgueil, elle allait mouiller sa chemise. À ce moment-là, elle avait un sentiment d’assentiment. Son devoir restait de se dépêtrer avec les faiblesses et les vengeances dans le respect des âmes de tout un chacun.
…/…

Il était vingt-deux heures trente et une larme trop tard pour Georg. Lorsque Camille apparut à l’écran, il ronflait en s’affalant sur la moquette.

Camille put lancer un regard triste à Jean resté attentif et ne dirait rien concernant l’émission. Sûrement que ça n’avait aucune gravité, mais elle perdait courage et la notion de ce qui était important ou non. C’était son petit problème de rien du tout. Plus qu’une déception, si fait qu’elle restait là, assise, bien droite. L’attitude de Georg marquait son refus d’écouter, comme un jugement de non-lieu. Ne rien dire… ne rien laisser paraître, garder son cri, comme une note qui corne, cette note coincée pour les organistes, cette note intemporelle, inachevée. Sa prise de parole restait plutôt insignifiante, trop inconvenante pour qu’il l’écoute. Alors qu’elle lui avait lancé, à travers l’émission, toutes sortes de perches afin de lui dire qu’elle gardait tout espoir à travers lui et c’était justement ce qu’il ne voulait pas entendre. Camille, elle, comprenait que la fille que Georg connaissait n’existait plus.

Le lendemain de l’émission, elle avait endossé le rôle de la victime solide devant six millions de spectateurs, mais elle savait que son tuteur de résilience s’était défilé et qu’elle devait faire avec les six millions et sans le tuteur. Elle prenait conscience de la trace plus menteuse. Elle n’était pas encore en mesure de vivre avec l’existence du viol, même si elle affirmait le contraire, mais elle ne serait plus obligée d’oublier. Cette émission avait eu lieu, elle était transcrite : Camille n’était plus une affabulatrice.

Le fait que le père de Camille soit officier supérieur faisait peur aux journalistes, comme si en exerçant une autorité par les armes il devait être plus méchant que les autres. Salutaire, pour Camille, de rester persuadée qu’il avait plus de facultés à exercer son autorité et jouer de la permissivité de la société. Ni plus féroce, ni plus calculateur, mais il était pleutre. Camille soutenait que le système du viol par inceste, d’où qu’il vienne, restait intéressant à étudier pour qu’il cesse de se reproduire. Une méthode totalitaire universelle dans laquelle chacun pouvait se trouver impliqué. Un procédé par lequel les bourreaux s’assurent de la complicité de leur victime et de leur entourage par leur silence, non par mesure de commodité, mais par idéologie dominatrice. Une domination accessible aux plus ou moins influents dans notre société.

Extraits d’un tapuscrit en cours : Interdits ordinaires.