13/ L’atteinte narcissique et la culpabilité pour la mère par Questions d’inceste

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La dénonciation représente une atteinte narcissique inimaginable pour la mère. Dénoncer, c’est étaler au grand jour l’intimité d’un fonctionnement familial qui se doit par essence de rester intime et privé. Le déballement public de l’inceste signe l’échec de sa relation conjugale et maternelle, comme si elle était prise en flagrant délit d’incapacité de satisfaire son mari qui lui a préféré sa fille et de protéger son enfant. Dans les deux cas il y a la marque infamante d’une culpabilité qui atteint et blesse profondément son image.

Cela renvoie chez ces mères à la nature et à la qualité de leur narcissisme primaire, seule assise psychologique capable de leur permettre d’aller au-delà de leur honte pour sauver leur fille. S’il a été défaillant et n’a pas permis l’accès à une identification féminine et maternelle « suffisamment bonne », il ne leur permettra pas de s’oublier pour se mettre au service de l’enfant, fût-ce au prix du sacrifice de leur image. Dénoncer, c’est en quelque sorte s’accuser et du coup perdre toute estime de soi. Privées au départ d’une bonne image intériorisée d’elles-mêmes, elles ont un besoin farouche, vital de la retrouver dans le regard de l’autre. Ne se reconnaissant pas de valeur interne, elles ne peuvent la trouver qu’à l’extérieur, dans la confiance de l’autre. Il ne saurait donc être question qu’elles donnent l’occasion de se faire mal voir, ce qui entraînerait leur effondrement dans la honte et la dépression.

La résistance à la découverte de la réalité de l’inceste et à sa dénonciation procède de cette tentative désespérée de survie et de maintien d’un narcissisme de façade qui se craquelle et contient mal les angoisses que ces mères sentent resurgir comme de nouvelles menaces d’anéantissement.

L’intériorisation de la souffrance de l’enfant est-elle pour autant totalement absente ? La honte du narcissisme blessé empêche-t-elle toute réelle culpabilité ? Nous ne le pensons pas. Il est simplement question d’un subtil équilibre instable entre l’intérêt de son image et celui de sa fille. La faille initiale se traduit par une inhibition anxieuse, un laisser-faire et une attente désespérée et infantile pour qu’un autre le fasse à sa place. Cette difficulté à dénoncer est à l’image de l’infantilisme du père séducteur qui a conscience de l’anormalité et de la gravité de ses actes mais qui ne peut s’empêcher de les commettre et qui attend qu’une autorité supérieure vienne l’arrêter.

La victime semble l’avoir compris. Est-ce alors pour protéger sa mère ou au contraire parce qu’elle la méprise et la juge incapable de la croire et de la protéger qu’elle révèle l’inceste à une autre? Ou est-ce la honte et la culpabilité de parler de ça avec elle qui la poussent à dévoiler à l’extérieur ce secret de famille ? Nous sommes là dans cette problématique de la honte, de la culpabilité, de la confiance, du narcissisme blessé et chaque cas est alors singulier dans la façon dont il se traitera, privilégiant telle ou telle inclination selon des lignes de force structurellement déjà établies et toujours différentes les unes des autres.

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Autres billets sur le livre Questions d’inceste
1/ Questions d’inceste de G. Raimbault, P. Ayoun, L. Messardier
2/ L’inceste séducteur, le père avec la fille
3/ La pianiste de Michael Haneke
4/ L’inceste avec violence, le viol incestueux
5/ Une conception réductrice de l’inceste
6/ La rupture du lien de filiation
7/ Les réactions au traumatisme
8/ La sidération et l’impossibilité de dire
9/ Ces mères qui n’ont pas réussi, ou pas voulu, ou pas su éviter l’inceste
10/ L’identité désorganisée des pères séducteurs
11/ Pourquoi les incestueurs en appellent-ils à l’insatisfaction conjugale ?
12/ L’interprétation du consentement par l’incestueur

14/ La valeur de la sanction pour l’agresseur et la victime
15/ La tragédie grecque et la littérature
16/ L’autonomisation
17/ Le devenir des pères agresseurs en prison

18/ Le pardon
19/ Anaïs Nin, un inceste choisi
20/ Deux sœurs dans les viols par inceste
21/ La recherche de sens – La valeur de l’écrit

3/ Le film Festen pour en parler par Questions d’inceste

Mais qui ou qu’est-ce qui empêche d’en parler ?
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Impossible de le savoir. Pour répondre sont convoquées l’hostilité des autres institutions, la violence des enfants, les transgressions de tout le monde. Mais chacun sent bien qu’il s’agit aussi d’autre chose.
C’est dans ces occasions que le film Festen a été évoqué pour décrire l’état émotionnel du groupe. Nous serions donc, comme cette famille, réunis dans une sorte de salle à manger remplie d’invités au moment précis où Christian, le fils aîné se lève et s’adresse dans un discours solennel à son père. Tous attendent un compliment pour les 60 ans d’un père unanimement aimé et respecté, Christian affirme tranquillement, le verre à la main que ce père l’a violé quand il était enfant, et que cette mère, témoin de l’acte, a fait comme si rien ne s’était passé.
La réaction première de la majorité des présents est de maintenir la cohésion du groupe et d’expulser, punir et battre celui qui a parlé. Puis tous se dispersent après l’aveu du père. Le groupe de supervision pourrait être uni par une sorte de pacte collectif implicite de déni. Les paroles échangées auraient alors pour fonction de préserver à tout prix le groupe.
Le dévoilement d’inceste, au lieu d’être salvateur, peut être traumatique par ses effets de scandale public : désorganisant, insécurisant et culpabilisant. Ce fait a longtemps été une idée reçue servant à renforcer la loi du silence. Puis on a, avec raison, imputé la plupart des effets négatifs de cette traumatisation secondaire à l’inadaptation de nos dispositifs. Les appareils policier, judiciaire, social et thérapeutique n’étaient pas formés pour parer à la crise profonde affectant l’enfant et l’ensemble de sa famille. Pour qu’on cesse d’accuser l’enfant d’avoir, par la puissance de sa parole, détruit une famille, gommant ainsi l’agression dont il se plaint légitimement, il a fallu des années d’évolution des pratiques et de la législation.

C’est ce qu’on fait de la parole de l’enfant qui peut lui donner la puissance sacrée maléfique qu’on lui prête après coup. À travers l’évocation de Festen, les attaques du cadre de la supervision et des collègues présents ou non, c’est l’éthique de la prise de parole qui est interrogée. Celle-ci fut doublement abîmée chez les enfants, une première fois en famille, une seconde fois dans les maladresses institutionnelles, et c’est lors de ces séances de supervision si particulières que ce deuxième traumatisme trouve sa représentation.
Là aussi, c’est l’accueil fait par l’analyste de la dénonciation d’un ou plusieurs adultes dans le groupe qui va être décisif pour le travail avec l’enfant. S’il s’agit de sa hiérarchie, a-t-on le droit de parler ? Quelles sont la limite et l’éthique de l’analyste ? Que fait-il des paroles entendues ? Les répète-t-il ? Les utilise-t-il ? À son tour, l’analyste doit faire ses preuves, tenir une place loyale du côté de la parole, écouter l’inconscient et parier que les traumatismes ne résument pas le destin d’une personne.
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Autres billets sur le film Festen
1/ Festen de Thomas Vintergerg – 1998
2/ Notes sur Festen de Thomas Vinterberg – 1997
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Autres billets sur le livre Questions d’inceste
1/ Questions d’inceste de G. Raimbault, P. Ayoun, L. Messardier
2/ L’inceste séducteur, le père avec la fille
3/ La pianiste de Michael Haneke
4/ L’inceste avec violence, le viol incestueux
5/ Une conception réductrice de l’inceste
6/ La rupture du lien de filiation
7/ Les réactions au traumatisme
8/ La sidération et l’impossibilité de dire
9/ Ces mères qui n’ont pas réussi, ou pas voulu, ou pas su éviter l’inceste
10/ L’identité désorganisée des pères séducteurs
11/ Pourquoi les incestueurs en appellent-ils à l’insatisfaction conjugale ?

12/ L’interprétation du consentement par l’incestueur

13/ L’atteinte narcissique et la culpabilité pour la mère

14/ La valeur de la sanction pour l’agresseur et la victime
15/ La tragédie grecque et la littérature
16/ L’autonomisation
17/ Le devenir des pères agresseurs en prison

18/ Le pardon
19/ Anaïs Nin, un inceste choisi
20/ Deux sœurs dans les viols par inceste
21/ La recherche de sens – La valeur de l’écrit