La liberté de s’identifier comme femme, indépendamment du trauma dépend en grande partie des assises narcissiques présentes dès le départ chez la jeune fille, gages de ses ressources internes capables ou non de l’amener à cicatriser les blessures du traumatisme.
L’histoire clinique de ces deux sœurs permet de voir l’importance de l’identification au féminin et au maternel pour sortir ou non du trauma. Caro et Béa sont toutes deux d’anciennes victimes de violences sexuelles du père. Très unies et soudées pendant l’enfance et l’adolescence, elles vont se séparer et se fâcher à l’occasion de leurs maternités pour suivre des chemins radicalement différents.
Pour Caro, l’aînée, l’accès au maternel lui permettra de quitter la délinquance et la prostitution pour se consacrer durablement à l’éducation de ses deux enfants, loin des errances du passé, alors que pour Béa, sa cadette, ce passage du statut de victime à celui de femme puis à celui de mère sera impossible.
Caro a pu s’en sortir grâce à une adultisation précoce qui, dès sa petite enfance, l’avait mise en position maternelle pour protéger et sa petite sœur et sa mère de la folie du père, alors que sa cadette, abusée avec barbarie par le père, n’a pu réussir à s’identifier à autre chose qu’à la fonction qu’il lui avait attribuée : être son objet sexuel. Objet sexuel du père, objet ignoré par la mère, objet protégé par sa grande sœur, elle deviendra à l’adolescence objet maltraité par les hommes dans la prostitution, incapable comme sa sœur aînée d’accéder à un nouveau statut de femme libre capable de refuser la soumission sexiste et de s’investir positivement dans sa dignité de femme libre.
Son corps ne lui appartient pas comme un élément constitutif de sa valeur humaine. Il n’est qu’un outil au service d’une fonction qui prend toute la place et qui lui sert d’identité. L’enfant qu’elle porte en elle ne sera aussi qu’un avatar de ses aventures sexuelles sans amour, qu’un objet qu’elle déposera chez sa grande sœur jusqu’à son mariage trois ans plus tard avec un homme en tout point identique à son père. Et quand cet homme exigera que la petite fille de 5 ans participe à leurs ébats sexuels, elle n’y verra rien de plus, que la continuation de ce qu’elle a toujours vécu. Sa fille est comme elle, soumise sans condition au plaisir de l’homme. Elle ne l’offre pas à son mari comme un objet différencié, elle continue simplement de s’offrir elle-même à travers sa fille. Elle se donne à lui avec sa duplication. Elle n’est plus un objet unique, mais elle s’est scindée en deux et c’est la réunion des deux qui participe à l’inceste du beau-père.
Le trauma de l’inceste a bloqué son développement psycho affectif au stade où elle était encore victime du père. Elle n’a pu décoller de ce statut et continuera d’être cette fille tout juste bonne à satisfaire la libido des mâles.
Sa grande sœur, en prenant dès le départ la place maternelle laissée vacante par la vraie mère absente, ne lui a pas permis de s’appuyer sur un lien de solidarité fraternelle et, pour la défendre, a concouru à ce qu’elle demeure toujours une enfant à protéger comme si elle ne pouvait être autre chose que cette victime.
Le traumatisme a eu chez Béa un effet de sidération bloquant ses investissements libidinaux sur la répétition masochiste des conduites victimaires. Le bébé qu’elle a fait, elle l’aime d’un amour éperdu, mais sans véritable préoccpation maternelle. Elle l’aime comme la plus jolie de ses poupées mais elle est incapable d’intérioriser ses besoins et son identité propres de sujet humain en devenir, différent d’elle et en même temps dépendant de ses soins. Elle ne peut l’investir que comme un objet identique à elle-même, indifférencié de sa propre identité de victime éternelle à disposition du plaisir des autres.
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