On ne répond pas aux questions qu’on se pose pas par Maître Eolas

Par Sub lege libertas
le Jeudi 25 mars 2010 à 21:39

Il n’y a pas mieux qu’un prétoire pour fantasmer sur la société et ses maux. D’ailleurs le café du commerce, qui en est le miroir aux suspensions d’audience, se remplit de ces brèves de sociologie judiciaire, de ces « faits » zemmouriens.
N’y voit-on que ce qu’on regarde, comme le demande Maître Eolas ? Importe-il tant d’analyser ce qu’on vient y regarder, même pour dissiper des illusions d’optique qui grossiraient l’importance de la couleur de la peau alors que la faiblesse des ressources serait un critère plus pertinent pour expliquer la présence sur le banc des prévenus de tel ou tel ? Et s’il valait mieux fermer les yeux, sortir des choses vues, pour s’interroger sur ce qu’on n’a pas vu ? Alors les réponses différeraient. Tentons l’expérience, en décentrant le débat des vaguement désignés “trafiquants” vers les agresseurs sexuels sur mineurs au sein de leur famille, les nouveaux monstres actuels, les « pédophiles incestueux ».
Au quotidien dans ma région septentrionale, on ne voit guère dans le prétoire, accusés de ces choses, ni moult bons bourgeois, cadres dynamiques à la peau qui craint le soleil plus rare sous ces latitudes, ni d’ailleurs de nombreux méditerranéens du sud, ni de cohorte de sub-sahariens.
Est-ce un « fait » qu’au Nord, seul le petit blanc inactif, alcoolique et pauvre soulage sa misère sexuelle sur sa progéniture ? On le lisait certes dans les tribunes du Parc des Princes, mais…
Et si la question n’étaient pas : “le maintien de structures familiales traditionnelles et d’interdits religieux forts quant à la sexualité et la consommation d’alcool diminuent fortement la prévalence du risque incestueux dans les familles issues de l’immigration maghrébine ou d’Afrique équatoriale ?” Des sociologues ou démographes ne rappellent-ils pas que le plus souvent, l’émigration vers l’Europe déstructure le tissu familial et s’accompagne aussi rapidement de l’adoption de comportements similaires à ceux des populations du pays d’accueil, à supposer d’ailleurs que cette acculturation n’a pas déjà eu lieu en grande partie dans le pays d’origine, ouvert aux cultures occidentales par l’effet de la mondialisation ?
Et si la question n’étaient pas non plus : “est-ce que la promiscuité, conséquence d’une précarité sociale plus accrue dans les bassins de population septentrionaux, fortement touchés par le chômage structurel de masse, favorise l’inceste dans des familles nombreuses recomposées au sein desquelles le désœuvrement alcoolisé et la déshérence des schémas familiaux traditionnels émoussent le sens moral ? ”.
Si les questions étaient :
— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car dans ce type de milieu, l’enfant abusé sur-couvé dans la famille aurait moins d’interlocuteurs pour l’écouter, contrairement aux familles pauvres ou précaires très suivies par les services sociaux ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car un travailleur social ayant une suspicion se rassurerait plus facilement au sujet la situation de malaise de l’enfant, grâce à l’explication fournie par le parent agresseur sexuel maîtrisant bien l’art de conversation et ayant une image de notable ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car le mal être de l’enfant ferait l’objet par la famille d’une prise en charge par un psychologue, qui pourrait voir dans les dires de l’enfant un récit fantasmatique des relations familiales et conseiller une orientation vers le médecin de famille pour une prise de psychotrope ?
— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car si l’enfant abusé en devient agressif à l’égard d’autrui ou de lui-même, ses parents le feront hospitaliser dans le meilleur service d’une clinique psychiatrique recommandé par relations familiales ?

— Voit-on moins de cadres incestueux issus de la bourgeoisie en correctionnelle, car au fond ces affaires de famille s’y règlent entre soi ?
— Voit-on dès lors moins de maghrébins ou d’africains incestueux en correctionnelle, car au fond ces affaires de famille s’y règlent aussi entre soi, qu’éventuellement la menace d’un « renvoi au pays » de l’enfant qui viendrait à s’en plaindre suffit à maintenir le silence pour cet enfant dont toutes les attaches sont sur notre sol où il est né ?

— Voit-on d’ailleurs un(e) jeune maghrébin(e )ou africain(e) abusé(e) dont les parents sont en situation irrégulière, comme lui /elle le cas échéant, aller porter plainte, alors qu’on a encore récemment vu récemment qu’une jeune adulte scolarisée et battue par son frère a bénéficié en s’en plaignant d’un vol affrèté par le ministère préféré de ce blog ?
— Voit-on aussi moins de maghrébins ou d’africains incestueux en correctionnelle, car le repli sur soi de certaine de ces familles peu insérées quoiqu’acculturées, mais sollicitant donc peu les services sociaux, contribue paradoxalement à enclore l’enfant dans son silence comme un fils ou une fille de la bourgeoisie ?

Et si je pose ces questions, ce n’est pas que la réponse est « c’est un fait ». Ce ne sont qu’hypothèses à vérifier, qui plus est sur des situations rarement observées ou observables par le magistrat, rapportées à la quantité de celles qu’il lui est donné de voir. Mais ces questions, le magistrat du parquet ne se les pose guère quand il traite journellement sa pile de signalement de suspicion de faits incestueux transmis par les services sociaux et concernant d’abord des familles précaires usagers de ce type de structures. Dès lors la question ne pourrait-elle pas devenir cyniquement au sujet de ces pédophiles incestueux potentiels qu’on ne voit pas en correctionnelle :
— Faut-il que je saisisse la Brigade des mineurs du Commissariat du centre ville pour mener d’initiative une enquête du chef de non dénonciation de crime ou délit d’atteinte à l’intégrité corporelle et atteintes sexuelles aggravées, en entendant tous les élèves de l’Institut *** qui ne m’a jamais adressé en cinq ans le moindre signalement concernant ses pensionnaires ?

— Si je ne le fais pas alors que la rumeur, c’est-à-dire une personne digne de foi désirant garder l’anonymat comme le noteraient les policiers, ou un courrier anonyme reçu opportunément le rapporte, est-ce parce que « sociologiquement » ce type de faits se déroulent plus souvent dans d’autres milieux ?
— Et si je le fais et que l’enquête ne prouve rien, pourrai-je conclure que la « pédophilie incestueuse » se manifeste essentiellement dans les famille pauvres, « c’est un fait » ?
Ce que traite la justice pénale n’est pas un miroir de la société, c’est une effraction du regard collectif sur… ses marges.
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Les commentaires sur l’article de Maître Eolas : Un nouvel exemple de malfaçon législative

4. Le Lundi 8 février 2010 à 12:57 par Suzanne

Édifiant !

Je suppose que la qualité juridique d’un texte voté au Parlement (Assemblée et Sénat) est inversement proportionnelle à la quantité de texte à examiner ?
Serait-il possible d’améliorer cette qualité sans diminuer l’effet politique d’une loi pour chaque fait divers ou combat personnel? Parce que si on commence à ne plus respecter la règle un fait divers = 1 loi, où allons-nous, je vous le demande? (“Vers un traitement des citoyens comme personnes intelligentes” me dit-on à l’oreille. ;))

5. Le Lundi 8 février 2010 à 13:00 par L’optimiste

Voici un excellent exemple de la qualité de la législature “sarkoziste”.(365 députés UMP , un par jour)
A force de légiférer en fonction du fait divers et sur un coin de table de bistrot…on fait n’importe quoi.
Si en plus “ce monument législatif” découle d’un raport de l’ex député Estrosi,o n pouvait effectivement craindre le pire.
Nous y sommes !

8. Le Lundi 8 février 2010 à 13:22 par Paul
Mais comment distingue-t-on la circonstance aggravante de l’infraction qualifiée ? Rien dans la rédaction des articles ne permet de faire la différence.

9. Le Lundi 8 février 2010 à 13:34 par Araignée

Je trouve idiot de vouloir absolument inscrire le mot “inceste” dans la loi.

L’interdit de l’inceste constitue la loi fondamentale qui fait de nous des êtres humains. Il est partagé par absolument toutes les cultures humaines, sous différentes modalités.
En ce sens, il est inscrit profondément dans nos sociétés, puisqu’il les fonde (pour aller vite, c’est lui qui nous oblige à “aller voir ailleurs”, donc à sortir de la cellule familiale/tribale, donc à échanger avec l’autre). L’inscrire dans la loi veut dire qu’il n’est plus un absolu, qu’il y a besoin de l’écrire pour qu’il soit respecté.

10. Le Lundi 8 février 2010 à 13:39 par Rataxès
Et pour chipoter davantage, on pourrait se demander ce que l’on entend par des faits commis “au sein de la famille”. Est-ce au domicile de la famille, ce qui exclurait des faits commis par un ascendant chez des amis… ? Je pousse peut-être le raisonnement à l’absurde, mais il me semble que cette notion, dont je pense du reste qu’elle n’est pas définie dans le code civil, peut être très ambiguë.

11. Le Lundi 8 février 2010 à 13:41 par Diab
On a quand même échappé au pire !

Dans le rapport de Mme FORT, il était prévu d’évacuer la notion de consentement (et donc la nécessité de caractériser violence, menace, contrainte ou surprise) et de considérer que là où il y a inceste, il y aurait viol.

Appliqué tel quel, ça aurait eu un effet secondaire assez cocasse pour une loi prétendant protéger les victimes : dans le cas (malheureusement pas rare) d’un jeune garçon mineur qui violerait sa petite sœur, l’acte étant alors répréhensible en lui-même et en dehors de toute question de consentement, la petite sœur aurait été aussi coupable que son agresseur aux yeux de la loi.

Sauf à prouver n’avoir commis ces faits que sous l’emprise d’une contrainte à laquelle elle ne pouvait résister.

Ironie : en voulant dispenser la victime de prouver la contrainte pour être reconnue victime, on l’aurait obligé à prouver une contrainte irrésistible pour établir qu’elle n’est pas aussi coupable que son agresseur.

L’enfer est pavé de bonnes intention (et nappé de démagogie et de médiocrité juridique, aussi)

12. Le Lundi 8 février 2010 à 13:43 par bleu horizon

Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis au sein de la famille …
Je penche pour l’analyse de maitre eolas du fait ces infractions sont qualifiées, et ne constituent pas une nouvelle infraction
En effet, cela aurait été plus difficile si « Les viols et les agressions sexuelles constituent un inceste ou une agression incestueuse lorsqu’ils sont commis au sein de la famille… » une sorte de sur-spécialisation ou d’un etiquettage spécifique de l’infraction et non pas une infraction autonome mais bon…

14. Le Lundi 8 février 2010 à 13:46 par wackselwease

“A force de réfléchir avant de légiférer on reste immobile” – Frédéric Lefebvre et bien voilà, on a légiférer sans réfléchir, ça va faire plaisir au taulier…

J’avoue mon ignorance sur les démarches législatives, mais, nos très chers (dans tous les sens du terme) députés n’ont ils point de conseillers, voire d’avocat, peut être même de stagiaire en 4e année de droit, aptent à leur indiquer que : ”définitivement non, ce n’est pas une bonne idée Mme la députée ?”
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