Lettre ouverte aux Sénateurs de la Commission des lois du Sénat Pour insérer une obligation de signalement au Procureur

Lettre ouverte aux Sénateurs de la Commission des lois du Sénat Pour insérer une obligation de signalement au Procureur
des soupçons de violences sur mineurs et personnes vulnérables par les médecins

Monsieur Gérard Larcher,
Président du Sénat,
Monsieur Philippe Bas,
Président de la Commission des Lois,
Mesdames les Sénatrices,
Messieurs les Sénateurs,

Le 10 mars 2015 le Sénat, en première lecture, a partiellement adopté la proposition de loi n° 517 [1] déposée par 55 des membres de votre haute assemblée ; dans le seul intérêt des enfants maltraités, elle tendait à transformer en obligation l’autorisation actuellement donnée aux médecins tenus au secret de faire part de leurs soupçons de maltraitance à l’autorité judiciaire. En contrepartie ces professionnels, ainsi exposés à l’éventuelle vindicte des auteurs d’actes délictueux ou criminels, devaient bénéficier d’une protection spécifique dès lors qu’ils étaient de bonne foi, de telle sorte que leur responsabilité, qu’elle soit civile, pénale et disciplinaire, ne puisse être engagée à cette occasion. Se refusant à imposer une telle obligation aux médecins, le sénat a pourtant adopté le principe d’une protection particulière, y ajoutant une obligation de formation susceptible d’aider les professionnels concernés à exercer la faculté qui leur était laissée d’informer le procureur de la République de leurs constatations. Le 11 juin 2015 l’Assemblée nationale s’est prononcée dans le même sens.

Vous allez cependant devoir, en seconde lecture, examiner à nouveau cette proposition, avant que la situation des enfants maltraités dans notre pays ne soit examinée par le Comité des Droits de l’Enfant en janvier 2016. Alors il convient d’insister sur la cohérence de la proposition qui avait été initialement soumise au Parlement, la protection accordée aux médecins constituant le corollaire de l’obligation à laquelle ils seraient désormais tenus. Sans doute les contraintes qui peuvent peser sur les médecins, notamment dans le secteur privé, ne sont elles pas négligeables ; l’intérêt des enfants paraît pourtant justifier amplement qu’un dispositif exceptionnel soit adopté pour mieux protéger ceux qui sont exposés à un risque de maltraitance. Or on ne saurait douter que le choix laissé au corps médical ne puisse suffire à y pourvoir.

En effet :

1) Tant que le médecin aura la faculté de choisir entre s’abstenir ou signaler, il restera exposé plus facilement à la contestation de son initiative ; on pourra notamment lui reprocher d’avoir signalé précipitamment, au lieu d’attendre plus d’éléments de conviction. Le choix expose davantage la responsabilité que l’obligation ; il n’est pas de nature à dissuader les plaintes, mais au contraire à les encourager sans que le praticien puisse exciper de l’ordre de la loi ;

2) L’obligation de signaler peut empêcher, outre la récidive, le risque de violences d’un auteur envers d’autres enfants. Sans l’arrêt des violences, les psychothérapies ont peu d’efficacité[2] ;

3) L’obligation de signaler a été recommandée par :
– l’Association Mondiale de Psychiatrie (février 2009)[3],
– le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (18 novembre 2009)[4],
– le Comité des Droits de l’Enfant (17 février 2011)[5],
– deux Rapporteurs Spéciaux de l’ONU (7 mars 2011)[6],
– la Convention d’Istanbul STE n°21 (11 mai 2011)[7] ;

4) Très peu d’enfants prennent l’initiative de signaler les actes dont ils sont victimes (0.5%)[8] , étant précisé que le délai moyen de dévoilement spontané en France est de 16 années[9].

5) Extrêmement peu d’auteurs de violences se dénoncent spontanément (0.1%)[10] ;

6) L’obligation de signaler multiplie par quatre le nombre de cas de violences confirmées[11] ;

7) Quand le signalement constitue une obligation, il réduit :
– par trois le risque pour un enfant de mourir sous les coups[12] ;
– les effets nocifs des violences sur le développement du cerveau de l’enfant[13] ainsi que les modifications de son ADN[14] ;
– les effets à long terme sur la santé physique et mentale : suicide, compulsions alimentaires, troubles du sommeil, etc.[15] ;
– les conséquences sur les relations familiales (peur de devenir mère ou père)[16] et sur la vie professionnelle (instabilité d’emploi, chômage et ses coûts)[17];
– le coût de ces symptômes pris en charge par la Sécurité sociale[18].

Vous tenez entre vos mains l’avenir des enfants maltraités, soit un enfant sur quatre victimes de violences physiques, un sur cinq de violences sexuelles, un sur dix de violences psychologiques[19].

Voter en seconde lecture l’obligation pour les médecins de signaler les soupçons de violences physiques, sexuelles et psychologiques éviterait aux enfants bien des souffrances. Cette protection leur est due. Une telle décision serait saluée par le Comité des Droits de l’enfant qui la recommande depuis 2011.

Avec notre considération distinguée

Le 7 septembre 2015

Catherine BONNET Eric de MONTGOLFIER Jean-Louis CHABERNAUD
Psychiatre d’enfants Procureur Général Honoraire Pédiatre hospitalier
Président du S.N.P.E.H.

Emails:
bonnec7@hotmail.com
eric.de-montgolfier@club-internet.fr
jean-louis.chabernaud@abc.aphp.fr

Références

[1] http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl13-531.html
[2] Bonnet C. L’enfant Cassé, l’inceste et la pédophilie. Paris. Albin-Michel. 1999
[3] Donna E.Stewart.Mental Health Policies on reporting child sexual abuse and physician/patients sexual/relationships.WPA February 2009; !8 (1): 45-48)
[4] https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1539245&Site=CM
[5] General comment N°13, Février 2011, alinéa 49 http://www2.ohchr.org/english/bodies/crc/comments.htm!
[6] Rapport conjoint du Dr Najat M’jid et Mme Marta Santos Pais, février 2011, alinéa 54, 55, 60, 65,112. http://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?m=102!
[7] http://www.conventions.coe.int/Treaty/FR/Treaties/Html/210.htm
[8] Mathew B, Bross R. Mandated reporting is still a Policy with!reason: Empirical évidence and philosophical grounds. Child Abuse and Neglect 2008; 32: 511-516.
[9] Sondage sur la santé des victimes d’inceste mai 2010 sur le site : www.AIVI.org
[10] Mathew B, Bross R. Opus Cité. A way to restore British paediatrician’s engagement with child protection. Arch Dis Child. 2009 May; 95 (5): 329-32.
[11] Mathews B, Payne H, Bonnet C, Chadwick D. A way to restore British paediatrician’s engagement with child protection. Arch Dis Child. 2009 May; 95 (5): 329-32.
[12] Mathews B, Payne H, Bonnet C, Chadwick D. Opus cité
[13] http://developingchild.harvard.edu/resources/briefs/inbrief_series/inbrief_the_impact_of_early_adversity/
[14] http://www.nature.com/neuro/journal/v12/n3/full/nn.2270.html

[15] http://www.cdc.gov/violenceprevention/acestudy/
[16] Bonnet C. Geste d’amour, l’accouchement sous X. Paris. Odile Jacob. 1990
[17] http://www.cdc.gov/violenceprevention/acestudy/
[18] http://www.cdc.gov/violenceprevention/acestudy/
[19] http://www.cdc.gov/violenceprevention/acestudy/

Explosion du nombre de viols : la pornographie doit-elle plaider coupable ?

Logo-L'expressPar Jérémie Pham-Lê, publié le 12/08/2015 à 16:08

Les films pornographiques peuvent-ils provoquer des passages à l’acte criminel ?

REUTERS/Eric Gaillard
Selon Le Figaro, le nombre de viols dénoncés ont augmenté de plus de 18% en cinq ans. S’il est difficile d’interpréter ces chiffres, le libre accès à la pornographie sur Internet est déjà pointé du doigt. Un membre du gouvernement, une féministe et un psychiatre analysent cette accusation pour L’Express.
Soit la parole des victimes se libère, soit la criminalité est en forte progression. Voilà les deux interprétations possibles, et très différentes, de l’enquête publiée mardi par Le Figaro sur le nombre de viols dénoncés aux autorités en France. Entre 2010 et 2015, le taux de plaintes a bondi de 18%. Il dépasse même les 20% si l’on ne prend en compte que les atteintes sur les mineurs.
Impossible de dire s’il s’agit d’un progrès (plus de dénonciations) ou d’un recul (plus d’agressions) étant donné que ces chiffres ne recoupent qu’une infime partie de la réalité. La majorité des viols ne sont pas déclarés, rendant difficile l’observation. Mais pour un procureur anonyme cité par le quotidien, le nombre de cas toujours élevé est imputable en partie à « l’influence de la pornographie en libre accès sur Internet ».
Une accusation, récurrente ces dernières années, que partage la secrétaire d’Etat chargée des Droits des femmes, Pascale Boistard. « Est-ce que c’est la seule cause ? Je l’ignore. Mais c’est un facteur qui y participe », souligne-t-elle à L’Express. « L’apprentissage de la sexualité et le respect de l’autre ne doivent pas se faire sur ces sites qui offrent une représentation violente dans laquelle l’autre est considéré comme mis à disposition. » La secrétaire d’Etat cite toutefois d’autres fléaux parmi lesquels l’alcool et la drogue.

« Le porno biaise l’éducation sexuelle »

Depuis l’apparition des sites de vidéo pornographiques en « streaming », la consommation de film X a explosé. Ils sont en théorie interdits aux moins de 18 ans, mais l’entrée se fait sur une simple déclaration sur l’honneur. L’identité du visiteur n’est pas vérifiée. Selon un sondage Ifop commandé par l’un d’entre eux en mars 2014, 60% des Français disent avoir déjà consulté un site pornographique. Ils n’étaient que 17% en 2005, même s’il faut prendre en compte le fait qu’Internet était moins répandu.
Mais un jeune qui consomme du porno développe-t-il forcément une sexualité plus brutale ? Oui, à en croire Claire Serre-Combe, porte-parole de l’association Osez le féminisme !. « Quand vous n’êtes pas matures sexuellement et que le porno est votre seule porte d’entrée, cela impacte l’image que vous vous faites des femmes et biaise votre éducation. » Et la militante de citer un récent fait-divers pour appuyer ses propos, les agressions au collège Montaigne, « un milieu pourtant favorisé ».
Une enquête a en effet été ouverte en mars dernier à la suite de plusieurs plaintes déposées par des parents d’élèves de ce prestigieux établissement. Des enfants de 10 et 11 ans auraient commis des attouchements sur des camarades et visionné des films X sur leurs smartphones. La ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, avait alors plaidé pour une éducation « loin des stéréotypes et loin des images pornographiques ».

« Il faut une potentialité violente chez l’individu »

Quatre ans plus tôt, une autre affaire crapuleuse avait défrayé la chronique, celle d’un viol collectif filmé par quatre ados à Lyon. Là encore, les responsables politiques avaient fustigé Internet et sa représentation présumée dégradante de la sexualité.
Le pédopsychiatre Serge Hefez, lui, préfère se montrer plus nuancé. Si le visionnage de porno peut « matérialiser un passage à l’acte », il ne suffit pas à transformer un consommateur en criminel. « Il faut une potentialité violente de base chez l’individu. Chez une petite frange de jeunes borderline et un peu mal ficelés, il peut y avoir un effet incitatif. Mais la plupart du temps, la pornographie n’a aucune incidence sur le développement. La majorité des jeunes en visionnent et le considèrent comme un univers à part », observe le spécialiste.
Sur le plateau d’Itélé mardi soir, Cyril Rizk, responsable des statistiques à l’ONDRP, a d’ailleurs rappelé qu’une étude dédouanait à tout le moins Internet. Datée de 2011 à l’initiative d’un économiste américain et relayée notamment par GQ, celle-ci était arrivée à la conclusion que plus le web est accessible, plus le nombre de viols diminue. Or Internet est le premier canal de diffusion de la pornographie.
Aucun producteur de l’industrie pornographique n’était disponible dans l’immédiat pour réagir.
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