Ruel me soufflait son plan pour la suite, un plan sans fioritures qui consistait en un silence définitif – je dis bien : dé-fi-ni-tif, tandis que je composais le message que j’allais t’adresser aussitôt rentrée, « Luc, ce n’est pas de sexe que je suis demandeuse, c’est de désir. Mais tu ignores ce que c’est: tu n’as pas de désir, ni de moi ni de rien. Tu as des rêves, ou des besoins, ce n’est pas pareil. Tu t’ennuies, c’est tout. Rien ne tient longtemps, et tu démolis tout ce qui pourrait tenir.
Il y a eu quelques moments, malgré tout, entre toi et moi : je cherche à les retrouver, admettons, mais je ne suis pas de taille à lutter contre l’incommensurable ennui que t’inspire le monde assez vite. C’est ce qui m’angoisse – l’impuissance où je suis envers toi. Un jour, j’ai eu un enfant mort entre les bras, alors je sais ce qu’est l’impuissance, je ne ressuscite pas les morts.
Restons-en là, donc.
J’ignore pourquoi tu agis ainsi, pourquoi tu te fais haïr, pourquoi tu repousses ce que tu attires. Mais quoi que ce soit, on devrait avoir honte de se rendre si malheureux. Camille », Ruel trouvait ça long, inadapté, grotesque, je l’écrivais en écoutant sa chanson, tu sais j’suis pas un mec sympa et j’merde tout ça tout ça, tu sais j’ai pas confiance j’ai pas confiance en moi, tu sais j’ai pas d’espérances, je surlignais « restons-en là », suppr, je le remettais, je l’enlevais, j’appuyais sur Envoyer, tu me répondais presque aussitôt : « Je t’en prie, ne me lâche pas, car c’est en tombant que je mourrai », j’avais peur que ton ivresse te pousse au drame, que tu te supprimes comme on presse une touche, « Je ne peux pas te lâcher, c’est bien le problème », tapais je, tu ne veux pas, corrigeait Ruel, tu es une sombre gourde avec un QI de shampouineuse à Villard-de-Lans, j’envoyais d’un clic, il est malheureux, répliquais je, j’éprouvais son malheur dans mon corps, il m’étreignait comme s’il était mien, j’étais solidaire d’une souffrance intime qu’aucune avanie n’effaçait, la bête à mes yeux ne masquait pas l’ange, j’argumentais ainsi dans le vide, Ruel se taisait, il était très tard, elle en avait assez d’être mon esprit, quelle humiliation, assez de traîner le boulet de ma sentimentalité bouchée à l’émeri, je faisais honte à toutes les femmes, tu allumais une cigarette, « merci, mon amour, à demain, dors bien », concluais-tu,
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Autres billes sur le livre Romance nerveuse de Camille Laurens
1/ Romance nerveuse
2/ Dissociation
3/ Camille Laurens avait neuf ou dix ans
4/ La jumelle insensible
Il y a eu quelques moments, malgré tout, entre toi et moi : je cherche à les retrouver, admettons, mais je ne suis pas de taille à lutter contre l’incommensurable ennui que t’inspire le monde assez vite. C’est ce qui m’angoisse – l’impuissance où je suis envers toi. Un jour, j’ai eu un enfant mort entre les bras, alors je sais ce qu’est l’impuissance, je ne ressuscite pas les morts.
Restons-en là, donc.
J’ignore pourquoi tu agis ainsi, pourquoi tu te fais haïr, pourquoi tu repousses ce que tu attires. Mais quoi que ce soit, on devrait avoir honte de se rendre si malheureux. Camille », Ruel trouvait ça long, inadapté, grotesque, je l’écrivais en écoutant sa chanson, tu sais j’suis pas un mec sympa et j’merde tout ça tout ça, tu sais j’ai pas confiance j’ai pas confiance en moi, tu sais j’ai pas d’espérances, je surlignais « restons-en là », suppr, je le remettais, je l’enlevais, j’appuyais sur Envoyer, tu me répondais presque aussitôt : « Je t’en prie, ne me lâche pas, car c’est en tombant que je mourrai », j’avais peur que ton ivresse te pousse au drame, que tu te supprimes comme on presse une touche, « Je ne peux pas te lâcher, c’est bien le problème », tapais je, tu ne veux pas, corrigeait Ruel, tu es une sombre gourde avec un QI de shampouineuse à Villard-de-Lans, j’envoyais d’un clic, il est malheureux, répliquais je, j’éprouvais son malheur dans mon corps, il m’étreignait comme s’il était mien, j’étais solidaire d’une souffrance intime qu’aucune avanie n’effaçait, la bête à mes yeux ne masquait pas l’ange, j’argumentais ainsi dans le vide, Ruel se taisait, il était très tard, elle en avait assez d’être mon esprit, quelle humiliation, assez de traîner le boulet de ma sentimentalité bouchée à l’émeri, je faisais honte à toutes les femmes, tu allumais une cigarette, « merci, mon amour, à demain, dors bien », concluais-tu,
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