1984 – Le dernier viol

Toute seule, elle ne pouvait se sortir de ces chantages. Elle se souvenait du dernier viol : à la promesse d’un beau petit matin sur le port du Havre pour aller ramasser les tendelets pleins d’écrevisses, elle était partie avec son père. Au Havre, Sartre y avait écrit La Nausée. Sur le chemin, elle avait réussi à lui dire qu’elle reviendrait moins souvent parce que Bertrand était entré dans sa vie. Il avait ralenti, ses mains tremblaient sur le volant. Il avait arrêté la voiture au milieu de centaines de conteneurs. Au rythme de son halètement, il avait rabattu le siège du passager et s’était glissé entre ses cuisses en la tenant plaquée allongée d’un bras gauche métallique. Il n’avait pas son regard laineux et elle avait entrepris de soutenir ce regard plein de peur. « « Je n’y arrive pas ! » avait dit son père et elle riait pendant qu’il pleurait.
Elle était debout à côté d’elle, mais pas très loin cette fois : elle observait cette inoubliable scène d’un homme coincée sous le tableau de bord de la voiture et elle qui le toisait. Elle avait pu se dégager pour se caler dans le fond de la banquette arrière les genoux repliés sous son menton. C’était fini.
Elle descendit de la voiture et tendit l’oreille à son hurlement de rire qui roulait d’écho en écho métallique sur les conteneurs. L’air du large lui fouettait le sang. Elle venait d’avoir vingt-quatre ans et émergeait de quinze ans d’anesthésie.
Extrait d’un tapuscrit en cours : Interdits ordinaires.

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