Posté par Serge Tisseron le 25 avril 2014.
En France, les thérapies menées par le canal d’Internet – encore appelées e-thérapies – sont souvent condamnées au nom de trois arguments : elles ne permettent pas le contact en présence concrète avec le patient ; elles n’assurent jamais qu’un tiers n’est pas près du thérapeute… ou du patient ; enfin elles peuvent être espionnées, comme d’ailleurs toutes nos communications transitant par Internet. Mais malgré toutes les critiques qui peuvent leur être faites, les thérapies en ligne progressent, et cela d’autant plus vite que la distance à parcourir pour trouver un thérapeute est plus grande…
Une opportunité pratique
Aux Etats-Unis, elles représentent déjà une part importante des consultations et leur efficacité a été démontrée. En France, elles progresseront inévitablement quand on sait que le taux moyen de psychiatres pour adultes est de 22 pour 100 000 habitants, mais que la Saône et Loire, par exemple, en compte 11, et la Communauté Urbaine du Creusot Monceau seulement 5, la plupart proches de la retraite. La psychiatrie pour enfants et adolescents est encore plus mal lotie, le temps nécessaire pour accéder aux soins étant souvent de plusieurs mois. En outre, avec la montée des nouvelles générations familières des technologies numériques, il est probable qu’un nombre croissant de patients et de thérapeutes aura affaire à la e-thérapie.
Un protocole rigoureux
Mais attention : la thérapie en ligne a besoin d’un protocole aussi rigoureux que la thérapie en cabinet. Les mêmes repères doivent y être posés : repères spatiaux, repères temporels, accord financier et confidentialité.
* Les repères temporels consistent dans le fait de prévoir les séances à horaires réguliers afin d’éviter que le patient soit tenté d’interpeller son analyste à tout moment.
* Les repères spatiaux concernent le fait que patient et thérapeute s’entendent pour que les séances aient lieu toujours de préférence dans le même espace afin d’assurer une ritualisation des échanges. Ils ne se rencontrent pas « en dehors », c’est-à-dire qu’ils ne sont pas en lien sur des réseaux sociaux, et notamment pas « amis » sur Facebook.
* L’accord financier concerne la manière dont les séances seront réglées, soit après chaque séance, soit de façon mensuelle.
* La confidentialité implique que le patient s’engage à être seul dans la pièce d’où il parle à son analyste et de faire en sorte de n’y être pas dérangé, ni par son conjoint, ni par ses enfants. Le thérapeute s’engage évidemment à la même chose. Il faut aussi que le canal utilisé soit le plus sécurisé possible. Mais compte tenu du fait que toutes nos conversations en ligne peuvent faire l’objet de surveillance, la e-thérapie devient pratiquement impossible aussitôt que le patient est dans une contestation dangereuse des pouvoirs établis, ou même, pour certains pays, seulement dans une marginalité par rapport à ces pouvoirs. Cela conduit certains psychanalystes à refuser toute forme de thérapie en ligne, bien que la situation d’un patient évoquant une situation en complète transgression avec la loi soit exceptionnelle. Il est plus raisonnable de proposer une précaution : que le thérapeute évoque ce danger avant d’engager toute thérapie et le rappelle à chaque fois que cela lui parait nécessaire.
Diverses possibilités à explorer
Mais les e-thérapies n’en sont qu’au début, et de nombreuses pistes restent à explorer. Il s’agit notamment du rôle facilitateur ou inhibiteur que peuvent jouer dans ces thérapies à distance la mise en présence des visages ou l’utilisation d’avatars numériques. Le thérapeute et le patient en contact par Internet peuvent en effet se trouver dans quatre situations très différentes ;
1) ne pas se voir, ne pas s’entendre et communiquer par clavier-écran,
2) ne pas se voir, mais se parler par téléphone,
3) voir leur visage, par Skype par exemple,
4) voir les avatars qui les représentent chacun, éventuellement dans un cabinet de consultation virtuel.
Ils visualisent alors chacun le cabinet virtuel du thérapeute, leur propre avatar et celui de leur interlocuteur. Pour avoir eu un cabinet de psychanalyste sur Second Life entre 2006 et 2009, il m’a semblé que la mise en présence des interlocuteurs à travers un dispositif numérique qui permet de visualiser à la fois le cabinet virtuel et les avatars des deux protagonistes constitue plutôt un frein à l’investissement de la thérapie proprement dite. Envisager toutes ces possibilités avec un patient qui demande une e-thérapie est sans doute la meilleure des pratiques, d’autant plus que cela peut commencer à nous en apprendre beaucoup sur lui ! Enfin, n’oublions pas que d’après les travaux disponibles, il semble que ces thérapies sont considérablement facilitées par le fait que le thérapeute et le patient se sont d’abord rencontrés au moins une fois en face à face dans le bureau du thérapeute…