Les béatriciennes

Aujourd’hui Béatrice me demande « quel sera notre nouveau défi ? ». Elle a constaté en effet que lorsqu’elle est mobilisée sur une consigne, une tâche créative à réaliser, elle parvient un peu à s’apaiser. Je réfléchis, j’ai envie de lui proposer un thème positif, quelque chose qui ne soit pas en lien avec cette souffrance quotidienne, qui la conduise à sortir de ses ruminations habituelles. Qu’elle découvre peut-être autre chose d’elle-même ? L’idée farfelue surgit de la mare de mon imaginaire : « Aujourd’hui Béatrice fait le portrait de Muriel selon l’idée qu’elle s’en fait et Muriel fait le portrait de Béatrice telle qu’elle l’imagine ».

Quelques heures plus tard émergeaient sur le papier Les Béatriciennes. Ce jeu de mot est né de la rencontre dans mon imaginaire de deux réalités : les différentes personnalités de Béatrice sont presque toutes des variations de son prénom et souvent elle parle d’elle-même comme d’une grenouille sautillante. De ce point de vue, les personnalités de Béatrice qui font irruption n’importe où et n’importe quand comme des petites grenouilles, ce sont des Béatriciennes.
béatriciennes
Cette peinture montre les Béatriciennes sur le point de passer la porte de la maison hantée où elles habitent. Derrière elles se tiennent les méchantes ombres du passé, on peut imaginer qu’elles n’approuvent pas le saut qui s’amorce et que les commentaires désobligeants doivent fuser ! Mais la curiosité capte l’attention des Béatriciennes, malgré les hésitations. D’accord elles doutent parce qu’elles ont peur de se ramasser si elles ne sautent pas assez loin ou de se confronter à l’inconnu, mais d’un autre côté le monde semble si joli…

Et puis une grenouille c’est fait pour vivre en liberté, mais quand on l’a élevée en captivité, non ?

Voilà comment moi je perçois Béatrice et ce que j’imagine d’elle.

Unica Zürn – Exposition Centre d’Étude de l’expression – du 29 mai au 28 juillet 2015 au Musée Singer-Polignac.

Deux œuvres d’Unica Zürn seront présentées lors de l’exposition L’art pour l’art, La Collection Sainte-Anne du 29 mai au 28 juillet 2015 au Musée Singer-Polignac.
inv.-n°0273-300x218Berlin, juillet 1916 – Paris, octobre 1970
Unica Zürn
Sans titre
9 novembre 1961
Encre noire sur papier
50 x 67 cm
© crédit photographique
Collection Sainte-Anne
inv. n°0273
Pour aller sur le site du Centre d’Étude de l’expression, cliquez sur le dessin
La dédicace de la page de garde.
« Son père est le premier homme dont elle fait la connaissance… »
page 36
Elle décrit ce qui s’est passé avec son frère.
« En ce mois de juillet tranquille et brûlant, par un après-midi où l’orage menace, son frère se faufile dans sa chambre et la jette sur le lit. Le visage comme pétrifié et gardant un silence inquiétant, il déboutonne son pantalon et lui montre entre ses jambes l’objet qui s’est allongé. Elle est tourmentée par la curiosité et l’angoisse. Elle sait ce qu’il veut faire. Mais elle le méprise. A ses yeux il n’est qu’un jeune sot de seize ans. Elle se défend de toute son énergie, mais il est plus fort qu’elle et elle ne peut plus se dégager. Elle le méprise parce qu’il est trop jeune. Il se jette sur elle et il lui plante son « couteau » (comme elle l’appelle) dans sa « blessure ». Haletant il pèse de tout son poids sur son petit corps. Il s’agite sur elle en un rythme accéléré. Elle sent une douleur cuisante et rien d’autre. Elle est honteuse et déçue. De s’abandonner la nuit au cercle sombre des hommes autour de son lit est suffisamment excitant et voluptueux pour renoncer à cette misérable réalité que lui offre son frère. Après un moment qui lui paraît un siècle, son frère roule du lit et sort sans un mot. Il revient quelque temps après, rouge de colère. « Si tu en parles à mère, je te tuerai. » Elle le regarde, muette et méprisante. Elle est indignée et furieuse. Cet événement fait du frère et de la sœur des ennemis mortels. Elle a envie d’assassiner son frère. C’est seulement parce qu’il est plus fort qu’elle qu’il a réussi ce qu’il voulait. Elle lui souhaite tout le mal possible. Elle va songer à la manière de le faire mourir à petit feu. »