Livre – La cohérence des châtiments

Philippe Conte,  Yves Mayaud,  Valérie Malabat,  Coralie Ambroise-Casterot
Collectif
Date de parution : 13 juin 2012
Editeur : Dalloz-Sirey
Collection : essais de philosophie pénale
ISBN : 978-2-247-11173-2
EAN : 9782247111732
Présentation broché
Nb. de pages : 388 pages
Poids : 0,835 kg
Dimensions : 10,0 cm x 24,0 cm x 2,0 cm

Les travaux de l’année universitaire 2010-2011 dans le cadre de l’Institut de Criminologie de Paris (Université Panthéon-Assas, Paris II) se sont concentrés, sur trois questions fondamentales. 
Punir quoi ? 
Pourquoi châtier ? 
Comment sanctionner ? 
Les articles réunis s’intéressent donc, de manière globale, au thème de la cohérence des châtiments : hiérarchie, contenu et finalité des peines à travers quatre thématiques.
La commémoration du bicentenaire du Code pénal (1810-2010) a naturellement invité à réfléchir à l’évolution du droit « répressif  » au moment où des études tendent à montrer que le droit pénal perd ses repères. Une logique sociologique conduit à suivre l’évolution des moeurs, tandis que les critères de la responsabilité se compliquent et que les peines deviennent de plus en plus hybrides. L’atrocité des crimes commis dans « l’affaire  » d’Outreau n’a échappé à personne.
Mais, le traitement judiciaire et politico-médiatique en a renforcé le caractère dramatique. La faillibilité du témoignage comme mode de preuve est l’un des enjeux centraux de la compréhension de cette affaire. L’analyse psychiatrique et psychologique permet de mieux saisir ce qui rend difficile la prise en compte de la parole, en particulier celle de l’enfant. La certitude de la culpabilité est indispensable à toute condamnation.
Mais, la certitude de la peine n’est pas moins essentielle pour l’effectivité et l’efficacité de l’ordre pénal. Celle-ci peut être analysée selon deux interrogations : en quoi les exigences du système répressif convergent-elles avec celles de l’Etat de droit, et la certitude de la sanction équivaut-elle à une stabilité des normes juridiques ? Enfin, cela fait trente ans que la peine de mort a été abolie en France.
Comment ne pas l’évoquer ? Au-delà des débats récurrents lors de faits divers souvent sordides, il a fallu s’attacher à dépasser l’émotionnel pour analyser les enjeux historiques et doctrinaux d’une sanction longtemps considérée comme structurante. 

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Expression des avancées de la victimologie ? par Frédérique Fiechter-Boulvard et Virginie Scolan

Expression des avancées de la victimologie ? par Frédérique Fiechter-Boulvard et Virginie Scolan

Expertise pénale et réparation du dommage corporel :  confusion des genres ?
Frédérique Fiechter-Boulvard
Maître de conférences à l’Université Pierre Mendès France, (Grenoble II)
Virginie Scolan 

Expert près la Cour d’appel de Grenoble

page 368

8 – Perçue comme un autre regard sur le phénomène criminel, la victimologie apparaît comme source précieuse d’analyse, non seulement dans la perception que l’on peut avoir d’un acte à réprimer mais également dans la perception que l’on doit avoir des conséquences à réparer. Sur ce dernier point, les lois d’indemnisation sont directement d’inspiration victimologique, consistant à substituer l’Etat à des délinquants introuvables ou insolvables 47, Ces lois ont eu le mérite de savoir distinguer les enjeux civils et pénaux quand « l’intérêt naturel des victimes à la réparation côtoie l’intérêt de la société à la répression » 48.

L’ambition est à saluer puisqu’elle tend vers la certitude de la réparation dommage causé à certaines victimes du fait de certaines infractions, les unes les autres étant visées dans l’article 706-3 du Code de procédure pénale instituant une procédure autonome de réparation 49, Alors qu’elle a les caractères d’une juridiction civile 50, la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CVI) qui intervient dans le processus pénal a accès à toutes les pièces de la procédure pénale qui se déroule sans que l’on puisse lui opposer le secret professionnel 51. C’est à ce titre qu’elle a accès aux expertises médicales établissant l’étendue du dommage causé à la victime. Et c’est parce que cette procédure spécifique existe dans la loi que l’on peut comprendre que la mission d’expertise puisse se limiter aux enjeux de la réparation. Pourtant, l’article 706-6 du Code de procédure pénale n’est pas si limitatif; le législateur prévoit un droit de regard de la commission qui s’étend aux procès-verbaux constatant l’infraction ou toutes les pièces de la procédure pénale. C’est dire que l’appréciation du dommage n’est pas toujours dissociable d’un examen de la cause de celui-ci. Ces dispositions du Code de procédure pénale nous confortent en ce sens. À noter cependant que l’analyse peut être sensiblement différente car les avancées de la victimologie n’ont pas toutes été saluées.

9 – À l’heure où l’on débat d’un droit de recours de la victime contre une décision pénale ayant prononcé la relaxe ou l’acquittement 52, on ne peut que constater la progression galopante de ce que nombre d’auteurs dénoncent régulièrement afin de sauvegarder à la fois la nature originaire de la procédure pénale et celle de la procédure civile : la place trop conséquente de la victime dans la procédure pénale. Dans l’esprit de l’opinion la scission ne s’opère plus entre enjeu civil et enjeu pénal. Le dommage à réparer semble chasser la faute à punir : l’importance du premier a pris le pas sur la seconde. Ou peut-être est-ce la sanction qui serait envisagée comme la plus efficace des réparations 53 

Si les victimes sont parfois frustrées d’apprendre qu’elles n’ont pas leur mot à dire sur les intérêts pénaux, c’est peut-être parce qu’il est des signes apparents qui leur font croire qu’elles pourraient en disposer. Pensons par exemple à la sanction-réparation qui consiste en une obligation de procéder à l’indemnisation du préjudice de la victime, obligation susceptible de se substituer à l’emprisonnement ou à l’amende 54. Dans cet exemple, c’est la sanction pénale qui s’efface derrière la sanction civile 55. Pensons également au concept non juridique de vulnérabilité pourtant introduit dans le droit pénal, opérant comme condition préalable ou circonstance aggravante d’une infraction selon les cas 56. Tout cela ne participe-t-il pas à une confusion des genres ? Certains n’hésitent pas à parler d’un déséquilibre entre l’intérêt général et les intérêts de la victime, déséquilibre qui s’opère au détriment du premier et à l’avantage du second 57.
Nous pensons que s’il est souhaitable de saluer la justice restaurative dont la finalité consiste à atteindre « l’harmonie sociale » qui s’inscrit dans la continuité des fonctions de la peine 58, intérêt général et intérêt particulier méritent d’être soigneusement dissociés 59, Et il en est certainement de même dans le cadre de l’expertise car, à cantonner l’expertise médicale à l’évaluation du dommage corporel en négligeant l’aspect pénal de la situation, la pratique risque d’entretenir cette confusion.


10 – Pourtant, les professionnels médecins experts ou juristes ne s’en satisfont pas, les premiers ayant le sentiment d’être dépossédés d’une partie de leur tâche qui revient naturellement à la médecine légale ; les seconds assistant à une illustration supplémentaire de l’importance grandissante de la place de la victime dans le procès pénal notamment par les abus de constitution de partie civile aux seules fins de profiter des avantages d’une procédure peu coûteuse et plus rapide 60. Ce n’est pas du mépris envers les intérêts de la victime que de le dire et l’on s’associe à ceux qui ont « de la compassion pour elle (qui en effet peut être « contre » la victime ?) » mais qui estiment « qu’il y a d’autres instances que le procès pénal et la juste peine pour la prendre en charge » 61. La Cour de cassation en est consciente lorsqu’elle rappelle que l’action civile portée devant les juridictions pénales est un droit exceptionnel 62. Daniel Soulez Larivière rappelle que « depuis 1906, la Cour de cassation française oblige le parquet à ouvrir une information pénale dès lors qu’une partie civile, s’estimant victime d’un préjudice, allègue que celui-ci est causé par la commission d’une infraction. Cette ouverture, petite à l’origine, est devenue béante cent ans après. Au point de menacer l’équilibre du système pénal tout entier » 63. Les auteurs ont beau le regretter, ce mouvement d’ouverture se poursuit ayant pour principal moteur l’esprit de victimisation qui ne se limite pas au champ pénal mais occupe désormais la scène sociale tout entière 64.
Et l’expert est placé là, entre l’auteur et la victime. Il en va pourtant d’une compréhension réciproque entre médecine légale et enjeux juridiques passant par la pratique judiciaire. Assisterait-on à une négligence dans l’appréciation portée sur le comportement infractionnel ? L’évolution des régimes de responsabilité civile aurait-il influencé le contenu de la mission d’expertise au point de ne plus se soucier de ce qui a provoqué le dommage ? Faut-il rappeler que dans le cadre de la procédure pénale, le fait infractionnel à l’origine du dommage est nécessairement fautif, soit qu’il ait été intentionnel, soit qu’il ait été non intentionnel mais témoin d’une négligence ? À noter que la plupart du temps, l’expert est requis dans des affaires où l’acte commis était intentionnel. 

Il paraît alors d’autant plus important de sauvegarder tous les aspects de l’examen expertal.
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47. C’est ainsi que le doyen Carbonnier salue les lois victimologiques qui traduisent le réalisme de la Ve République qui s’est intéressée aux victimes d’infractions ; l’auteur insiste sur la distinction qu’il importe de faire entre cette forme de victimologie et celle des origines dans les pays anglo-saxons : « les regards qu’elle portait sur certaines victimes, pour être scientifiques, n’étaient pas plus affectueux que l’observation à laquelle les criminologues soumettaient les criminels. Selon une des hypothèses de cette science, il est des victimes qui semblent attirer sur elles le délit, pathologiquement, d’où sur elles un vague soupçon de complicité inconsciente », J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, Champs essais, 1996, Les victimologies, p. 146. 
48. X. Pin, « Les victimes d’infractions définitions et enjeux », Archives de politique criminelle, 2006/1 n° 28, p. 49, voir p. 52. 
49. L’article 706-3 du Code de procédure pénale consacre la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, actes commis intentionnellement ou non, dès lors qu’elle échappe aux lois indemnitaires déjà existantes telles que la loi de 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation. Voir M. Le Roy, Responsabilité L’évaluation du préjudice corporel, Litec, 2004, n° 285 et s. 
50. C. pro pén., art. 706-4 
51. C. pro pén., art. 706-6. Malgré ce texte, en pratique, les médecins experts demandent l’autorisation écrite de la victime leur donnant accès aux pièces médicales consultées. 
52. Proposition de loi n° 3057, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 décembre 2010, visant à permettre aux parties civiles d’interjeter appel, en matière pénale, des décisions de relaxe et d’acquittement, présentée par les députés E. Blanc, l-F. Garraud et l-Ph. Maurern ; également, à propos de la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, voir notamment G. Maugain, « La participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale », Dr. pénal. n° 10,. octobre 2011, étude 21. 
53. Certains praticiens experts constatent que la victime qui se présente à eux a souvent pour souci premier l’état d’avancement de la poursuite pénale à l’encontre de l’auteur de l’infraction ; leur indemnisation passe en second plan. Egalement, C. Michaud et M. Tinel, « L’emprise de la victime sur l’application de la peine privative de liberté », Revue pénit. n » 1, janvier-mars 2011, p. 9 ; R Zauberman, « Punir le délinquant ? La réponse des victimes », Informations sociales 200517, n° 127, p. 54. 
54. C. pén., art. 131-8-1 et 131-15-1. 
55. X. Pin, « Politique criminelle et frontières du droit pénal : enjeux et perspectives », Revue pénit. n° 1, janvier-mars 2011, p. 83, voir n° 29. 
56. X. Pin, article précité, n° 22. 
57. C. Michaud et M. Tinel, article précité, p. 22. 
58. Définition proposée par R. Cario, « Les rencontres restauratives en matière pénale : de la théorie à l’expérimentation des RDV », AJ Pénal, juin 2011, p. 294, voir p. 295. 
59. C’est à propos de l’expérience menée, consistant à faire se rencontrer victimes et condamnés que R. Cario précise la prudence nécessaire de la rencontre à défaut de laquelle « les risques de victimisation secondaire, voire d’aggravation de l’état psychologique des participants, sont réels », article précité, p. 295. 
60. Certains auteurs visent alors « l’instrumentalisation de la voie pénale » : en ce sens, E. Fortis, « Ambiguïtés de la place de la victime dans la procédure pénale », Archives de politique criminelle 2006/1, n° 28, p. 42. 
61. N. Languin, E. Widmer, J. Kellerhals, C. Robert, « Les représentations sociales de la justice pénale : une trilogie », Déviance et Société 2004/2, Vol. 28, p. 159 : voir p. 165 à propos du prospectivisme ; p. 168 à propos du contractualisme, deux conceptions selon lesquelles la victime n’a pas à être prise en compte dans la détermination de la peine. 
62. Crim. 9 novembre 1992, Bull. crim. n » 361; E. Fortis, « Ambigtütés de la place de la victime dans la procédure pénale », Archives de politique criminelle 2006/1, n° 28, p. 41. 
63. D. Soulez Larivière, « La victimisation et de nombreuses autres causes », Pouvoirs 2009/1, n° 128, p. 27, voir p. 29 ; égaiement, D. Rebut, « Justice pénale et justice civile évolution, instrumentalisation, effets pervers », Pouvoirs 2009/1, n » 128, p. 49.
64. En ce sens, D. Soulez Larivière, précité p. 31; ]. Arènes, « Tous victimes ? », Études 200517, Tome 403, p. 43. 
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