Lettre posthume à mon géniteur de « père ».
Tout ce que je n’ai jamais pu te dire,
Je vais enfin pouvoir te l’écrire…
Noir sur blanc
Afin de le gommer de mon subconscient… »
Tout commence avec ta fin pour pouvoir enfin briser ces tristes liens…
Cela fait environ quatre ans que tu as terminé ton funeste voyage sur cette terre…
Je me souviens comme si c’était hier de mon dernier regard sur ton corps inerte, figé par la rigidité de la mort.
Pour la première fois de ma vie j’ai pu te contempler sans dégoût, sans cette peur irraisonnée qui m’a glacée à ton approche durant plus de cinquante ans.
Tu ne pourras plus me faire de mal, tu ne pourras plus m’accuser d’être la responsable de tes vices, tu ne pourras plus m’intimider par tes menaces…
Tu étais là, gisant comme un pantin désarticulé, pauvre corps inanimé ne pouvant même plus demander pardon, juste là devant moi comme un simple chiffon… seul… désespérément seul face à ta responsabilité de père abuseur, ne pouvant plus accuser pour justifier tes horribles forfaits.
Seul pour affronter la JUSTICE DIVINE…
Désormais je n’aurai plus peur, je me sentirai libérée, sans haine et sans crainte mais avec un vide au cœur. Un vide béant d’un amour qui n’a jamais existé, un vide immense que je n’ai jamais pu combler car ne je ne saurai jamais comment c’est fait un père qui aime son enfant… un père qui protège sa petite fille de tous les dangers extérieurs… non, je ne saurai jamais vraiment ce qu’est un papa tout simplement…
Toi tu n’auras été que mon géniteur…
Dis-moi, toi le savais-tu… ?
Cauchemar
Mon premier souvenir de toi s’accroche à mes trois ans et demi. Tu es entré furieux dans la petite cuisine vétuste où nous vivions, tu criais si fort, j’avais si peur que rien que d’y penser j’en tremble encore… Depuis ce jour ma crainte envers toi n’a pas cessé d’augmenter.
Ton ceinturon, tes maltraitances sont les uniques souvenirs de tes manifestations paternelles envers moi.
Non, on ne peut pas décemment appeler cela un père… A mes yeux de petite fille, il n’y avait qu’un monstre, une créature immonde qui prenait plaisir à me terroriser.
Ton épouse, « ma mère en l’occurrence » n’était pas là pour calmer le jeu… bien au contraire elle aimait attiser ta folie furieuse contre moi. Bien trop souvent elle agissait avec la même violence envers moi.
Je ne te parlerai pas de mes frères et sœurs tous plus jeunes que moi car cela est leur vie et c’est avec eux que tu dois t’expliquer.
Un autre souvenir… je devais avoir environ huit ans, j’étais en colonie dans un village de montagne, c’était un dimanche, la journée des parents. Je me suis installée sous un arbre, j’avais le cœur serré car j’étais la seule à ne pas avoir de visite… ma tristesse venait du fait que je me sentais un être à part, une pauvre petite chose abandonnée dont personne ne s’inquiète. Mais finalement j’étais plutôt soulagée de ne pas te voir arriver tellement j’étais terrorisée à ton approche… Je suis persuadée que tu avais déjà dû avoir des gestes déplacés sur ma petite personne pour m’inspirer autant de peur et de dégoût…
Dis-moi le savais-tu qu’un père c’est pour rassurer ses enfants, non pour les terroriser… ?
Thriller
Tout cela n’était rien en comparaison de ce que tu m’as fait subir un peu plus tard entre mes huit et neuf ans. Je me souviens avec une grande précision de ce fatal soir où tu es rentré dans la chambre à coucher dans laquelle je dormais pour assouvir goulûment sur moi tes coupables instincts en faisant fi de mes peurs, de mon dégoût et de mes pleurs.
Ce soir-là ta cruauté a dépassé toutes les bornes, tu as outrageusement souillé ma pudeur enfantine, sans état d’âme, sans retenue et sans remord. Je n’oublierai jamais ce regard glauque qui m’intimait l’ordre de me taire, ta main sur ma bouche pour empêcher mes cris de sortir pendant que tu perpétrais ton ignoble forfait.
Non tu n’étais pas un père… même pas un être humain… rien qu’un rapace qui jubile sur la proie qui attise son désir.
Ensuite repu de ton cynique festin tu t’es relevé, tu t’es rhabillé et tu es parti pour accomplir ton travail de nuit.
Pendant que sans vergogne tu savourais ta proie… Moi pauvre poupée de chiffon, souillée, désarticulée, j’étais tétanisée, je n’osais plus bouger, je retenais ma respiration croyant que j’allais mourir… Mon cœur battait si fort que j’avais peur que tu l’entendes… mais tu étais trop occupé à satisfaire ton vice, pour t’attarder sur mes états d’âme. Ma sœur qui était toute petite dormait dans la chambre à côté et moi j’étais là sans défense livrée à un monstre malfaisant, à ses instincts déchaînés.
Après ton départ, je me suis rendue dans la salle de bain, je me suis lavée et relavée, je me sentais horriblement sale et tellement coupable. Coupable de quoi… ? Je n’en sais rien, mais coupable de n’avoir pas pu me défendre, de n’avoir pas su faire respecter les barrières de l’innocence.
J’étais dans un état second et j’agissais sans réfléchir, les larmes ne voulaient pas s’arrêter de couler comme pour nettoyer la souillure, pour occulter l’immense déchirure…
Ce soir-là tu as tué mon enfance, tu as calciné mes espérances, tu as compromis mon existence…
Hélas, ce ne fut pas ton seul forfait… ce n’était que le début d’une douloureuse suite… tu as continué à abuser de moi… j’étais devenue ton jouet pour satisfaire ton vice en toute impunité.
Bien plus tard, j’ai appris que je n’avais pas été la seule à subir tes outrages, j’ai également su que tu avais osé franchir l’innommable…
Je me sens tellement coupable d’avoir encore eu confiance en toi et ta femme (ma mère)… d’avoir cru à une rémission possible… mais comment peut-on guérir d’un vice librement consenti… d’un appétit allègrement assouvi… ?
Dis-moi, le savais-tu qu’un père c’est pour donner la vie et non pour la détruire… ?
Je n’ai rien osé dire à ton épouse (ma mère) lorsqu’elle est rentrée à la maison… Elle avait déjà si peu fait de cas de ma souffrance en cautionnant pour ainsi dire les abus suivis d’un horrible viol de notre voisin contre ma frêle petite personne d’à peine six ans.
La terreur, la souffrance et l’incompréhension m’ont fait perdre conscience… tout est devenu si confus, si nébuleux comme pour occulter l’ignoble forfait… comme pour permettre à mon cerveau de ne pas perdre la raison car cela dépasse l’entendement d’une petite fille innocente et ignorante…
Je ne veux plus y penser, je préfère ne pas me souvenir… c’est trop cruel, trop humiliant, trop traumatisant…
L’unique chose qui ressort clairement de ma mémoire c’est l’instant précis où je me suis présentée devant ma mère comme une misérable petite chose aveuglée par les larmes, montrant les terribles souillures sur les parties intimes de mon corps qui attestaient avec certitude la terrible flétrissure que je venais de subir. Dotée d’un sang-froid étonnant elle me demanda de lui expliquer ce qui s’était passé. Avec une détresse infinie je lui ai livré le nom de mon agresseur en lui dévoilant les endroits précis encore tout sanguinolents et mêlés de l’infâme salissure qui démontrait l’ombre d’un doute la brutalité et la gravité des sévices encourus… Sans explication, sans aucun mot de tendresse et d’apaisement, elle me dit sèchement :
– Ce n’est rien, va te laver et te changer.
Alors dans ces conditions, sachant pertinemment que je n’avais aucune aide à attendre d’elle, comment aurais-je pu lui faire part de ce qui venait de se passer… ?
Bien plus tard j’ai appris que toi et ma mère avez été complices pour brûler tous les vestiges de mon passé. Le seul souvenir qui me reste c’est une photo de classe, datant de l’automne 1954. Date qui correspond à la période où mon enfance à été saccagée et définitivement enterrée.
Dis-moi, le savais-tu que des parents c’est fait pour protéger leurs enfants et non pour les asservir ?
Te souviens-tu du début de l’été 1961… ?
Tu étais en prison… oui car n’en pouvant plus… je m’étais résignée à demander de l’aide à la dame chez laquelle j’étais placée depuis quelques mois car elle s’étonnait du fait que je ne voulusse plus rentrer chez moi, même pour quelques jours de vacances et cela avait conduit à ton arrestation.
En effet durant les vacances de noël précédentes, lorsque je suis rentrée à la maison, tu t’es à nouveau délecté avec ton jouet préféré… moi pauvre poupée abandonnée, ficelée dans le silence pour satisfaire une fois de plus tes appétits de perverti…. Tu ne voyais pas que tu m’avais complètement détruite, tu ne t’inquiétais pas de mon ressenti, je n’étais pas un être humain, je n’étais qu’un pitoyable petit pantin…
Je voulais quitter définitivement cette terre, je ne voulais surtout plus rentrer à la maison. Je ne voulais plus subir ces horreurs et être le souffre-douleur de vos turbulences. J’étais si lasse de cette vie qui ne m’apportait rien de bon et dont personne ne se souciait ne serait-ce que de quelques miettes d’affection, quelques petits gestes d’attention…
Quand je tentais de me plaindre à ma mère, elle me traitait de fillette perverse, de sorcière, de menteuse possédée du diable…
Donc revenons à ce jour d’été 1961 où j’ai accepté de venir te rendre visite en prison même si ma mère me répétait souvent que tu allais me tuer. Moi je n’avais plus peur… je me disais sereinement :
– pour moi ce sera enfin le paradis si je meurs…
J’étais convaincue que c’était la seule façon de m’en sortir.
J’étais certaine de pouvoir monter directement au ciel après toutes ces souffrances endurées. Ce serait ma récompense, un cadeau inespéré… non vraiment la mort ne me faisait pas peur.
Mais étonnement… ce jour-là tu t’es excusé en mentionnant que ma mère y était pour beaucoup dans ton comportement. Tu te trouvais encore et toujours des excuses… ce n’était jamais de ta faute…
En quoi étais-je concernée par tes problèmes avec ma mère… ?
De quoi étais-je responsable moi qui ne vous avais jamais rien demandé, sinon un peu d’amour, un brin d’humanité… ?
Toi et ma mère toujours en dispute mais très unis pour diviser, calomnier, pour menacer…
Vous les véritables coupables vous avez eu l’audace d’accuser la personne chez qui j’étais placée…
Menacée de mort pour t’avoir dénoncé…
Vous les abuseurs vous avez porté plainte contre son mari pour abus sur ma sœur.
Vous avez tenté de salir la réputation de ces braves gens pour un crime dont tu étais l’unique auteur…
Durant des années je fus manipulée de façon perverse,je suis restée sous votre coupe sans pouvoir m’en libérer. Pour toi je n’avais qu’un immense dégoût et je m’en veux de vous avoir quelquefois confié mes enfants pendant que je travaillais. Le jour de ta mort je ne savais pas encore le pire, tout ce que vous avez été capable de détruire… malgré ta condamnation, en dépit de ton séjour en prison.
J’en veux aux institutions qui t’ont relâché sans surveillance, tu as pu récidiver sans être inquiété…
Dis-moi, le savais-tu qu’un enfant c’est tout simplement un être vivant qui souffre dans sa chair et dans ses sentiments… ?
Considérations
En 2002 tu le savais bien pourquoi j’étais tombée gravement en dépression, toutes les atrocités que j’avais voulues enterrer sont remontées à la surface. Et pour pouvoir faire le deuil de toutes ces affaires, j’ai désiré une bonne fois les mettre aux claires et pour ce faire avec mon mari je suis revenue dans ta maison pour te poser quelques questions… Nous t’avons forcé à ouvrir la porte. Tu es devenu livide et tu m’as dit :
– Si tu viens encore pour cette affaire, je ne veux plus en entendre parler car j’ai payé et même trop…
Deux ans de condamnation et à peine une année de prison ferme est-ce vraiment trop cher payé pour une vie entière saccagée…?
Ce que tu ignorais c’est qu’entre-temps j’avais appris que la mise en liberté, sans surveillance, sans mesure de sécurité t’avais permis de tranquillement récidiver. Lorsque je t’ai demandé si tu avais été informé du viol et de l’abus commis par le voisin voici ta réponse digne d’un film d’horreur du plus mauvais goût :
– Non, mais, j’ai entendu dire que je n’étais pas le premier à te passer dessus…
Voilà le bel énergumène repentant que les institutions ont libéré sans état d’âme en banalisant l’affaire et en lui permettant de saccager impunément d’autres vies…
Actuellement j’essaie d’apprivoiser ce passé barbare pour me créer une vie, plus digne avec ma famille actuelle. Mais c’est long, c’est difficile et il y a eu de nombreuses rechutes… Mon salut je le trouve dans l’écriture, le témoignage, dans l’aide aux autres victimes, avec l’amour et le soutien de ma famille actuelle et grâce à ma foi qui a permis que je sois encore en vie aujourd’hui.
Dis-moi, le savais-tu ce que c’est qu’un père… ?
Peut-être…. que toi aussi … tu ne l’as jamais su vraiment… !
A mon père cet antihéros aux mœurs détestables
Toi que je ne peux appeler père
Voici ce qui me reste de toi
De ton passage sur terre.
Tout ce qui me reste de toi
Ce sont tes cris et le ton de ta voix.
Tout ce qui me reste de tes yeux
C’est ton regard globuleux.
Tout ce qui me reste de tes mains
Ce sont tes jeux de vilains.
Tout ce qui me reste de ton cœur
Rien qu’un immense vide dévastateur.
Tout ce qui me reste du passé
Une histoire sordide à oublier.
Libéré des chaînes où tu t’es enfermé
Aujourd’hui peut-être pourras-tu mesurer
Toutes les séquelles que ces blessures ont laissées.
Il m’en a fallu du temps pour apprendre à aimer
Il me faut toute une vie pour pouvoir pardonner.
Le pardon c’est le véritable prix à payer
Pour retrouver ma réelle liberté.
Sans haine, je te renvoie ma souffrance
J’ai payé si cher mon droit à la délivrance.
Pour tourner définitivement la page
Il me restait à effectuer ce dernier virage.
Franchir enfin ce pas
Te rendre ta responsabilité de papa…
C’est dans les errances de mes doutes et de ma foi
Que j’ai pu conquérir cette parcelle de paix qui commence à germer lentement en moi.
Brigitha
Pour lire la lettre cliquez sur la couv du livre : Maman, dis-moi pourquoi ?
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