Deuxième partie – Les aspect techniques, les limites
Qu’en est-il techniquement ?
La nécessité d’utiliser les moyens modernes de communication vient de la mobilité des personnes, même si, en France, celle-ci demeure limitée, le Français étant peu aventureux et attaché à son terroir.
L’outil est adapté à de nombreux protocoles d’aide et de thérapie.
Si la séance classique s’organise à partir d’un protocole parfaitement défini au départ, il en va de même pour toute autre forme de relation.
Confiance et permanence sont deux paramètres de base sur lesquels s’appuyer. Le caractère non physique de la communication par Internet rend plus difficile la mise en place de cette permanence. Il n’y a pas de support physique, les moments d’émission des messages ne sont pas calculés, ils s’imposent de manière opportune, au gré des impératifs de la vie quotidienne. En dehors des rendez-vous de vidéoconférence pour lesquels on doit prévoir un moment et une durée précis, s’agissant des autres protocoles, il peut alors arriver que des impatiences se manifestent, car les réponses ne viennent pas assez vite pour celui/celle qui attend, ce qui peut faciliter la progression d’angoisses déjà latentes. C’est pourquoi, on est amené à partager des conventions destinées à fixer clairement le cadre des communications. Par exemple, pour les mails et les messages déposés, on peut décider que la bonne réception et la lecture des mails (ou SMS) seront signalées à l’émetteur et qu’une réponse circonstanciée sera envoyée plus tard…
En appoint
Techniquement la relation d’aide par internet peut être mise en place en appoint des protocoles classiques. Par mail SMS, ou vidéoconférence. C’est présentement une constante dans mon travail. Pour beaucoup de personnes, une grande partie des informations transitent par Internet. La séance classique prend alors parfois des allures de régulation et de mise au point. Cette solution est parfaitement adaptée pour faire face à des moments critiques et elle permet d’éviter des solutions d’urgence. Parfois une simple réponse à un mail suffit à désamorcer une crise qui commence.
Complète
Elle peut être complète en cas de déplacement professionnel ou autre. C’est un cas fréquent et il peut être commode et rassurant pour les personnes de savoir qu’elles peuvent à tout moment trouver une oreille attentive. La communication par Internet offre un avantage par rapport au téléphone car c’est le récepteur qui gère l’écoute et le retour.
Elle peut enfin être complète avec des personnes éloignées qui tiennent à travailler avec un thérapeute qu’on leur a recommandé. Cela impose à ce dernier d’avoir lui-même préparé des outils souples et confortables afin d’assurer au plus vite une relation de confiance qui pourra s’installer dans la permanence. Cela ne s’invente pas car Internet est un outil jeune auquel nous sommes encore peu accoutumés.
En complément permanent
Internet et les outils annexes – du logiciel de traitement de texte aux logiciels de retouche d’image ou de montage vidéo – apportent une dimension supplémentaire à l’échange, par rapport à la séance classique d’avant les années 90. Auparavant, il était lourd et compliqué de montrer des photos, d’apporter éventuellement des œuvres fabriquées en art-thérapie ou dans tout autre atelier, voire d’apporter des vidéos d’un spectacle… si bien que ces apports externes étaient rares. Désormais, plus personne n’hésite à apporter toutes sortes de documents iconographiques, vocaux ou vidéos.
Je me souviens, par exemple, d’avoir reçu un jour du début des années 80 un jeune adolescent réputé difficile et primo délinquant. L’éducateur qui me l’adressait soupçonnait qu’il ne s’agissait pas d’un simple problème de rébellion adolescente. Il me fallut beaucoup de temps et de semaines pour déceler que ce jeune homme était en fait ce que l’on nomme maintenant – dénomination très approximative – un enfant surdoué. Même l’appoint des tests n’avait pas permis de repérer les raisons des comportements asociaux. Je lui avais déjà proposé de se servir de l’atelier de son père pour créer des objets, des formes, ce qui lui venait à l’esprit. Il s’y était mis mais je n’en voyais rien, jusqu’au jour où, voulant en avoir le cœur net, je me suis déplacé jusqu’à cet atelier. J’ai alors découvert l’univers particulier, puissant et fascinant qui se dégageait de toutes ses œuvres. Certaines démontraient l’existence d’une très grande faculté d’invention. Et il était capable de se servir de tout ce qui lui tombait sous la main pour en faire une œuvre originale. J’en ai fait part à l’équipe de prévention qui s’occupait de lui et j’ai proposé qu’on lui facilite l’inscription dans un collège de pédagogie active. Ce fut fait et, à partir de là, ce gamin en début de dérive s’est totalement épanoui.
Les outils modernes de traitement d’image, associés à Internet permettent maintenant de réagir rapidement face à ce type de problème car les personnes apportent régulièrement les numérisations de leurs œuvres. J’ai même parfois le plaisir de voir la progression complète d’une production et c’est intéressant car on y perçoit la marque des postures et attitudes de la personne.
Comme outil dans le cas d’expertise
Voici un cas particulier dont j’ai appris à me servir au Canada : il est fréquent que j’aie à intervenir comme expert indépendant en faveur d’un enfant ou d’un parent. Mon travail consiste à enquêter, le plus scrupuleusement possible, afin de pouvoir répondre aux objections et attaques de la partie adverse. C’est un travail long et minutieux. Internet et la numérisation des documents facilitent grandement cette tâche. Pour mon travail d’enquête, je demande tous les documents photographiques de la famille – les albums photos – mais aussi tous les documents qui ont été produits durant la vie commune avec le prédateur, bref, tout ce qui peut permettre de cerner les ambiances familiales. On imagine le temps nécessaire au dépouillement de cet amas de documents, volumineux et lourds à transporter. Leur numérisation supprime cette part de travail et permet de consulter les documents à tête reposée à un moment choisi.
Par ailleurs, au Canada, les psychologues ou les travailleurs sociaux préparent les victimes aux confrontations avec les personnes contre lesquelles elles ont porté plainte. Cette préparation s’étend à la scène du tribunal. Il s’agit en fait, à partir des documents d’enquête, de permettre à la victime de réagir à tous les cas de figure possibles et d’éviter d’être prise de court. J’ai adapté cette méthode au contexte de l’Hexagone et je me sers d’internet afin de créer au mieux les conditions réelles de confrontation dans le cabinet d’un juge d’instruction ou devant un tribunal. En suscitant la concentration de la personne sur les points essentiels de la procédure et sur ses arguments elle se met en condition comme un sportif avant une compétition. Les communications par Internet vont grandement faciliter cette concentration et entretenir la vigilance de la personne plaignante. Auparavant il fallait se limiter à de longues séances entrecoupées de moments qui facilitaient la perte de concentration. Internet et les autres outils modernes de communication permettent, jusqu’au dernier moment, de rester concentré.
L’architecture en réseau
Il n’y a pas de protocole d’aide qui serait à lui seul salvateur, toute intervention thérapeutique aux personnes imposera des modalités différenciées selon les moments et les cycles traversés. C’est la base de l’architecture répartie. Il n’y aura pas de centre à partir duquel tout se répartit.
L’individu demeure autonome ; libre et affranchi. Encore faut-il qu’il ait les moyens de cette liberté, c’est au thérapeute de lui permettre de trouver/retrouver cette autonomie.
Il y a des temps pour la parole, des temps pour le travail corporel, d’autres pour l’écoute attentive des viscères, des émotions et des affects, pour l’expression émotionnelle – de l’Art-Thérapie à des abréactions, enfin l’écoute attentive des rêves et des images intérieures qui balisent l’itinéraire…
Cela impose à l’accompagnateur d’avoir une grande capacité d’écoute, la vérification permanente qu’il ne projette pas et la possibilité d’entretenir un réseau de relation avec d’autres spécialités.
Rappelons que les demandeurs/es sont aussi des internautes et désormais, toute demande de rendez-vous, même sur recommandation est précédée par un examen minutieux et attentif de résultats de recherche sur Internet par les futurs interlocuteurs. Ils peuvent, même, avant un premier rendez-vous, poser différentes questions par mail, ce qui était rare au téléphone. Certains s’appliquent même à suivre régulièrement la vie de leur psy à partir d’internet – moteur de recherche, réseaux sociaux, généalogie. Ils n’en parlent pas toujours et ils lâchent leurs informations au gré des circonstances et selon leurs propres exigences qui peuvent, d’ailleurs, être discutées ou non. Ce n’est pas rare et je veux dire par là qu’Internet met à portée de regard des informations que l’on ne serait pas aller chercher en d’autres temps. Rien de malicieux en cela, à moins de décider que nous sommes très nombreux à être contaminés par ce malicieux virus.
Cela exige du thérapeute une très grande prudence et beaucoup de circonspection dans la manière de gérer les blogs et autres pages des réseaux sociaux. S’il apparaît des contradictions entre ces informations et ce que l’on prône en séance cela n’échappera pas à l’internaute demandeur/et peut risquer de mettre la confiance en défaut.
De même, il peut paraître innocent de mettre en ligne des textes théoriques ou une littérature personnelle. Ces textes, qu’on en est conscience ou pas font référence à notre propre vie ou à notre expérience personnelle. Il pourrait être fâcheux de mettre en ligne, par exemple, des textes qui font référence à des « cas » nouvellement rencontrés. La ou les personnes concernées ne manqueront pas de se reconnaître et il est toujours surprenant, voire choquant de se reconnaître comme un « cas ». Cela pourrait mettre fin à cette tendance narcissique de certains thérapeutes qui s’enorgueillissent en congrès ou dans des conférences tout public de leur sagacité dans la résolution de telle ou tel « cas ». J’ai toujours été choqué par le caractère impersonnel et le contenu des discussions entre collègues quand il était question de discuter d’un « cas ».