Lettre posthume à mon géniteur de "père" Par Brigitha Balet

Lettre posthume à mon géniteur de « père ».
Tout ce que je n’ai jamais pu te dire,
Je vais enfin pouvoir te l’écrire…
Noir sur blanc
Afin de le gommer de mon subconscient… »

Tout commence avec ta fin pour pouvoir enfin briser ces tristes liens…
Cela fait environ quatre ans que tu as terminé ton funeste voyage sur cette terre…
Je me souviens comme si c’était hier de mon dernier regard sur ton corps inerte, figé par la rigidité de la mort.
Pour la première fois de ma vie j’ai pu te contempler sans dégoût, sans cette peur irraisonnée qui m’a glacée à ton approche durant plus de cinquante ans.
Tu ne pourras plus me faire de mal, tu ne pourras plus m’accuser d’être la responsable de tes vices, tu ne pourras plus m’intimider par tes menaces…
Tu étais là, gisant comme un pantin désarticulé, pauvre corps inanimé ne pouvant même plus demander pardon, juste là devant moi comme un simple chiffon… seul… désespérément seul face à ta responsabilité de père abuseur, ne pouvant plus accuser pour justifier tes horribles forfaits.
Seul pour affronter la JUSTICE DIVINE…
Désormais je n’aurai plus peur, je me sentirai libérée, sans haine et sans crainte mais avec un vide au cœur. Un vide béant d’un amour qui n’a jamais existé, un vide immense que je n’ai jamais pu combler car ne je ne saurai jamais comment c’est fait un père qui aime son enfant… un père qui protège sa petite fille de tous les dangers extérieurs… non, je ne saurai jamais vraiment ce qu’est un papa tout simplement…
Toi tu n’auras été que mon géniteur…
Dis-moi, toi le savais-tu… ?

Cauchemar

Mon premier souvenir de toi s’accroche à mes trois ans et demi. Tu es entré furieux dans la petite cuisine vétuste où nous vivions, tu criais si fort, j’avais si peur que rien que d’y penser j’en tremble encore… Depuis ce jour ma crainte envers toi n’a pas cessé d’augmenter.
Ton ceinturon, tes maltraitances sont les uniques souvenirs de tes manifestations paternelles envers moi.
Non, on ne peut pas décemment appeler cela un père… A mes yeux de petite fille, il n’y avait qu’un monstre, une créature immonde qui prenait plaisir à me terroriser.
Ton épouse, « ma mère en l’occurrence » n’était pas là pour calmer le jeu… bien au contraire elle aimait attiser ta folie furieuse contre moi. Bien trop souvent elle agissait avec la même violence envers moi.
Je ne te parlerai pas de mes frères et sœurs tous plus jeunes que moi car cela est leur vie et c’est avec eux que tu dois t’expliquer.
Un autre souvenir… je devais avoir environ huit ans, j’étais en colonie dans un village de montagne, c’était un dimanche, la journée des parents. Je me suis installée sous un arbre, j’avais le cœur serré car j’étais la seule à ne pas avoir de visite… ma tristesse venait du fait que je me sentais un être à part, une pauvre petite chose abandonnée dont personne ne s’inquiète. Mais finalement j’étais plutôt soulagée de ne pas te voir arriver tellement j’étais terrorisée à ton approche… Je suis persuadée que tu avais déjà dû avoir des gestes déplacés sur ma petite personne pour m’inspirer autant de peur et de dégoût…
Dis-moi le savais-tu qu’un père c’est pour rassurer ses enfants, non pour les terroriser… ?

Thriller

Tout cela n’était rien en comparaison de ce que tu m’as fait subir un peu plus tard entre mes huit et neuf ans. Je me souviens avec une grande précision de ce fatal soir où tu es rentré dans la chambre à coucher dans laquelle je dormais pour assouvir goulûment sur moi tes coupables instincts en faisant fi de mes peurs, de mon dégoût et de mes pleurs.
Ce soir-là ta cruauté a dépassé toutes les bornes, tu as outrageusement souillé ma pudeur enfantine, sans état d’âme, sans retenue et sans remord. Je n’oublierai jamais ce regard glauque qui m’intimait l’ordre de me taire, ta main sur ma bouche pour empêcher mes cris de sortir pendant que tu perpétrais ton ignoble forfait.
Non tu n’étais pas un père… même pas un être humain… rien qu’un rapace qui jubile sur la proie qui attise son désir.
Ensuite repu de ton cynique festin tu t’es relevé, tu t’es rhabillé et tu es parti pour accomplir ton travail de nuit.
Pendant que sans vergogne tu savourais ta proie… Moi pauvre poupée de chiffon, souillée, désarticulée, j’étais tétanisée, je n’osais plus bouger, je retenais ma respiration croyant que j’allais mourir… Mon cœur battait si fort que j’avais peur que tu l’entendes… mais tu étais trop occupé à satisfaire ton vice, pour t’attarder sur mes états d’âme. Ma sœur qui était toute petite dormait dans la chambre à côté et moi j’étais là sans défense livrée à un monstre malfaisant, à ses instincts déchaînés.
Après ton départ, je me suis rendue dans la salle de bain, je me suis lavée et relavée, je me sentais horriblement sale et tellement coupable. Coupable de quoi… ? Je n’en sais rien, mais coupable de n’avoir pas pu me défendre, de n’avoir pas su faire respecter les barrières de l’innocence.
J’étais dans un état second et j’agissais sans réfléchir, les larmes ne voulaient pas s’arrêter de couler comme pour nettoyer la souillure, pour occulter l’immense déchirure…
Ce soir-là tu as tué mon enfance, tu as calciné mes espérances, tu as compromis mon existence…
Hélas, ce ne fut pas ton seul forfait… ce n’était que le début d’une douloureuse suite… tu as continué à abuser de moi… j’étais devenue ton jouet pour satisfaire ton vice en toute impunité.
Bien plus tard, j’ai appris que je n’avais pas été la seule à subir tes outrages, j’ai également su que tu avais osé franchir l’innommable…

Je me sens tellement coupable d’avoir encore eu confiance en toi et ta femme (ma mère)… d’avoir cru à une rémission possible… mais comment peut-on guérir d’un vice librement consenti… d’un appétit allègrement assouvi… ?
Dis-moi, le savais-tu qu’un père c’est pour donner la vie et non pour la détruire… ?
Je n’ai rien osé dire à ton épouse (ma mère) lorsqu’elle est rentrée à la maison… Elle avait déjà si peu fait de cas de ma souffrance en cautionnant pour ainsi dire les abus suivis d’un horrible viol de notre voisin contre ma frêle petite personne d’à peine six ans. 
La terreur, la souffrance et l’incompréhension m’ont fait perdre conscience… tout est devenu si confus, si nébuleux comme pour occulter l’ignoble forfait… comme pour permettre à mon cerveau de ne pas perdre la raison car cela dépasse l’entendement d’une petite fille innocente et ignorante…
Je ne veux plus y penser, je préfère ne pas me souvenir… c’est trop cruel, trop humiliant, trop traumatisant…
L’unique chose qui ressort clairement de ma mémoire c’est l’instant précis où je me suis présentée devant ma mère comme une misérable petite chose aveuglée par les larmes, montrant les terribles souillures sur les parties intimes de mon corps qui attestaient avec certitude la terrible flétrissure que je venais de subir. Dotée d’un sang-froid étonnant elle me demanda de lui expliquer ce qui s’était passé. Avec une détresse infinie je lui ai livré le nom de mon agresseur en lui dévoilant les endroits précis encore tout sanguinolents et mêlés de l’infâme salissure qui démontrait l’ombre d’un doute la brutalité et la gravité des sévices encourus… Sans explication, sans aucun mot de tendresse et d’apaisement, elle me dit sèchement :

– Ce n’est rien, va te laver et te changer.

Alors dans ces conditions, sachant pertinemment que je n’avais aucune aide à attendre d’elle, comment aurais-je pu lui faire part de ce qui venait de se passer… ?
Bien plus tard j’ai appris que toi et ma mère avez été complices pour brûler tous les vestiges de mon passé. Le seul souvenir qui me reste c’est une photo de classe, datant de l’automne 1954. Date qui correspond à la période où mon enfance à été saccagée et définitivement enterrée.
Dis-moi, le savais-tu que des parents c’est fait pour protéger leurs enfants et non pour les asservir ?
Te souviens-tu du début de l’été 1961… ?
Tu étais en prison… oui car n’en pouvant plus… je m’étais résignée à demander de l’aide à la dame chez laquelle j’étais placée depuis quelques mois car elle s’étonnait du fait que je ne voulusse plus rentrer chez moi, même pour quelques jours de vacances et cela avait conduit à ton arrestation.
En effet durant les vacances de noël précédentes, lorsque je suis rentrée à la maison, tu t’es à nouveau délecté avec ton jouet préféré… moi pauvre poupée abandonnée, ficelée dans le silence pour satisfaire une fois de plus tes appétits de perverti…. Tu ne voyais pas que tu m’avais complètement détruite, tu ne t’inquiétais pas de mon ressenti, je n’étais pas un être humain, je n’étais qu’un pitoyable petit pantin…
Je voulais quitter définitivement cette terre, je ne voulais surtout plus rentrer à la maison. Je ne voulais plus subir ces horreurs et être le souffre-douleur de vos turbulences. J’étais si lasse de cette vie qui ne m’apportait rien de bon et dont personne ne se souciait ne serait-ce que de quelques miettes d’affection, quelques petits gestes d’attention…

Quand je tentais de me plaindre à ma mère, elle me traitait de fillette perverse, de sorcière, de menteuse possédée du diable…
Donc revenons à ce jour d’été 1961 où j’ai accepté de venir te rendre visite en prison même si ma mère me répétait souvent que tu allais me tuer. Moi je n’avais plus peur… je me disais sereinement :
– pour moi ce sera enfin le paradis si je meurs…
J’étais convaincue que c’était la seule façon de m’en sortir.

J’étais certaine de pouvoir monter directement au ciel après toutes ces souffrances endurées. Ce serait ma récompense, un cadeau inespéré… non vraiment la mort ne me faisait pas peur.
Mais étonnement… ce jour-là tu t’es excusé en mentionnant que ma mère y était pour beaucoup dans ton comportement. Tu te trouvais encore et toujours des excuses… ce n’était jamais de ta faute…
En quoi étais-je concernée par tes problèmes avec ma mère… ?
De quoi étais-je responsable moi qui ne vous avais jamais rien demandé, sinon un peu d’amour, un brin d’humanité… ?
Toi et ma mère toujours en dispute mais très unis pour diviser, calomnier, pour menacer…
Vous les véritables coupables vous avez eu l’audace d’accuser la personne chez qui j’étais placée…
Menacée de mort pour t’avoir dénoncé…
Vous les abuseurs vous avez porté plainte contre son mari pour abus sur ma sœur.
Vous avez tenté de salir la réputation de ces braves gens pour un crime dont tu étais  l’unique auteur…
Durant des années je fus manipulée de façon perverse,je suis restée sous votre coupe sans pouvoir m’en libérer. Pour toi je n’avais qu’un immense dégoût et je m’en veux de vous avoir quelquefois confié mes enfants pendant que je travaillais. Le jour de ta mort je ne savais pas encore le pire, tout ce que vous avez été capable de détruire… malgré ta condamnation, en dépit de ton séjour en prison.
J’en veux aux institutions qui t’ont relâché sans surveillance, tu as pu récidiver sans être inquiété…
Dis-moi, le savais-tu qu’un enfant c’est tout simplement un être vivant qui souffre dans sa chair et dans ses sentiments… ?

Considérations

En 2002 tu le savais bien pourquoi j’étais tombée gravement en dépression, toutes les atrocités que j’avais voulues enterrer sont remontées à la surface. Et pour pouvoir faire le deuil de toutes ces affaires, j’ai désiré une bonne fois les mettre aux claires et pour ce faire avec mon mari je suis revenue dans ta maison pour te poser quelques questions… Nous t’avons forcé à ouvrir la porte. Tu es devenu livide et tu m’as dit :
– Si tu viens encore pour cette affaire, je ne veux plus en entendre parler car j’ai payé et même trop…

Deux ans de condamnation et à peine une année de prison ferme est-ce vraiment trop cher payé pour une vie entière saccagée…?

Ce que tu ignorais c’est qu’entre-temps j’avais appris que la mise en liberté, sans surveillance, sans mesure de sécurité t’avais permis de tranquillement récidiver. Lorsque je t’ai demandé si tu avais été informé du viol et de l’abus commis par le voisin voici ta réponse digne d’un film d’horreur du plus mauvais goût :
– Non, mais, j’ai entendu dire que je n’étais pas le premier à te passer dessus…
Voilà le bel énergumène repentant que les institutions ont libéré sans état d’âme en banalisant l’affaire et en lui permettant de saccager impunément d’autres vies…

Actuellement j’essaie d’apprivoiser ce passé barbare pour me créer une vie, plus digne avec ma famille actuelle. Mais c’est long, c’est difficile et il y a eu de nombreuses rechutes… Mon salut je le trouve dans l’écriture, le témoignage, dans l’aide aux autres victimes, avec l’amour et le soutien de ma famille actuelle et grâce à ma foi qui a permis que je sois encore en vie aujourd’hui.

Dis-moi, le savais-tu ce que c’est qu’un père… ?
Peut-être…. que toi aussi … tu ne l’as jamais su vraiment… !

A mon père cet antihéros aux mœurs détestables
Toi que je ne peux appeler père
Voici ce qui me reste de toi
De ton passage sur terre.
Tout ce qui me reste de toi
Ce sont tes cris et le ton de ta voix.
Tout ce qui me reste de tes yeux
C’est ton regard globuleux.
Tout ce qui me reste de tes mains
Ce sont tes jeux de vilains.
Tout ce qui me reste de ton cœur
Rien qu’un immense vide dévastateur.
Tout ce qui me reste du passé
Une histoire sordide à oublier.

Libéré des chaînes où tu t’es enfermé
Aujourd’hui peut-être pourras-tu mesurer
Toutes les séquelles que ces blessures ont laissées.
Il m’en a fallu du temps pour apprendre à aimer
Il me faut toute une vie pour pouvoir pardonner.
Le pardon c’est le véritable prix à payer
Pour retrouver ma réelle liberté.
Sans haine, je te renvoie ma souffrance
J’ai payé si cher mon droit à la délivrance.

Pour tourner définitivement la page
Il me restait à effectuer ce dernier virage.
Franchir enfin ce pas
Te rendre ta responsabilité de papa…

C’est dans les errances de mes doutes et de ma foi
Que j’ai pu conquérir cette parcelle de paix qui commence à germer lentement en moi.
Brigitha
Pour lire la lettre cliquez sur la couv du livre : Maman, dis-moi pourquoi ?
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Autres billets de Brigitha Balet

Le numérique, Internet et la relation d’aide – I par Illel Kieser ‘l Baz

Première partie – Internet comme support

L’homogénéisation des modes de vie est en voie d’achèvement et pas un territoire planétaire n’échappe désormais au phénomène « jeans-Coca-cola ». Même si ce phénomène connu sous le terme de mondialisation ne date pas du dernier demi-siècle, il atteint un point de non retour en bouleversant nos repères et nos modes de vie. Il s’accompagne d’un nivellement des cultures et des consciences, étouffant – tout au moins pour l’instant – tous les particularismes et les singularités ethniques qui paraissent comme des objets folkloriques. Sur le plan individuel, il semble même que la singularité individuelle soit noyée dans la masse indistincte des grandes métropoles. Dans ces océans grouillant des bruits de sirènes, l’individu semble ne plus avoir de place. Il cherche aveuglément à préserver une maigre part de volonté d’être simplement soi.
Pour beaucoup les temps d’avant étaient simples, la vie s’écoulait lentement selon un rythme connu d’avance : enfance, adolescence, épousailles, être parent… Chaque ruisseau de vie trouvait une source au village, au bourg ou dans le quartier, chacun reconnaissant, qui un voisin, qui un notable, son médecin, son voisin ou son notaire. On trouvait là un sentiment d’existence, rassurant et confortable. Ces repères ont éclaté et dans les grands centres urbains la solitude et le silence deviennent écrasants. L’individu, entité première de la vie en société, est de plus en plus isolé, anonyme et souvent réduit à une unité de travail. Il ne fait alors pas bon de subir quelques faiblesses.
Il ne s’agit pas ici de discuter du bien fondé de tel ou tel aspect de la mondialisation et des ses avatars, d’autant plus que ce que nous en voyons est encore très probablement éphémère, que des bouleversements plus profonds nous attendent.
Pour l’heure, dans certaines circonstances, nous devons faire avec les outils qui sont à notre portée en les adaptant à nos exigences du moment, au risque, parfois de les détourner de  leur but premier. La mondialisation repose sur l’efficacité, la fluidité et la rapidité des communications qui se font en temps réel.
Communications qui, précisément vont manquer à cet individu perdu dans la grande masse des populations urbaines. Internet, cependant, d’abord boudé par le public français, est devenu l’outil majeur grâce auquel transitent la plupart des flux d’information.

La mondialisation et Internet

Internet, ange ou diable

Internet a déjà une histoire et, dans le contexte actuel de nivellement massique, celle-ci est tout à la fois paradoxale et intéressante.
Pour paraphraser Auguste Comte on ne peut pas connaître Internet si l’on n’en connaît pas l’histoire.
En pleine Guerre froide, Internet a été créé pour compenser la trop grande concentration des centres de commandements de l’armée américaine.
Il eut suffi d’une bombe nucléaire soigneusement placée pour geler toutes les communications de l’armée, bloquer les transmissions et, ainsi, paralyser les mouvements militaires. Il fallait inventer un mode de communication moins fragile, moins concentré. L’architecture répartie, fondée sur l’existence de plusieurs noyaux autonomes fut mise au point. C’est en 1961 que fut exposé le modèle type de technologie qui servira plus tard à l’Internet présent. 1969 signe la naissance de la communication complète au sein d’un réseau constitué de noyaux indépendants les uns des autres et autonomes.
Dans le même temps, en France, un chercheur invente le datagramme et rend opérationnel le premier réseau français « Cyclades » en 1973 et en 1975 le prototype fonctionnait en milieu universitaire, il n’a pas survécu.
En 1972, Arpanet, cela se nommait ainsi, devient public et ce sont d’abord les scientifiques qui vont s’en servir, les militaires développant leur projet à part. La mise en communication de tous les réseaux par l’harmonisation des différents protocoles signe la naissance de l’Internet actuel, cela date de 1983. C’est évidemment très proche !

Les protocoles de communication, les outils, les matériels

Sous le nom générique Internet on trouve, en fait, différents protocoles de communication. Quand vous vous connectez sur une URL grâce à votre navigateur, votre machine utilise un protocole différent de celui de l’envoi de mail et s’il s’agit d’envoyer un fichier lourd, c’est un autre protocole qui sera mis en œuvre…
Désormais les différents protocoles fonctionnent en toute transparence pour l’usager, si bien que celui-ci  doit juste mettre sa machine en marche pour être en relation avec le réseau global. Le matériel nécessaire, coûteux au départ  est maintenant accessible à tous et partout. Les lieux publics sont dotés de terminaux de communication auxquels il suffit de se connecter.
La notion de protocole est importante car c’est elle qui règle, quelque soit la technique, le ballet de la communication entre les individus, les groupes, etc. entre un émetteur et un récepteur et symétriquement… Pour l’usage d’internet dans la relation d’aide, cette sorte d’harmonisation protocolaire est importante. Les codes de communication induiront un type particulier d’échange dont Internet est le modèle.
En fait, non ! Internet n’est pas le modèle premier, les inventeurs d’Internet n’on fait que reproduire, sans le savoir, le modèle spécifique du cerveau et des neurones. Et celui-ci a une très longue histoire…
Quant aux outils, ils sont de plus en plus accessibles financièrement. On trouve, grâce aux passionnés qui changent de matériel régulièrement, des machines d’occasion en excellent état pour environ  150 € auxquels on ajoutera un bon casque/micro audio, les caméras étant maintenant intégrées aux machines. Sans parler des multiples I-phones et autres téléphones portables qui assurent les mêmes services. Cependant, compte tenu du temps probable que durera un échange, il vaut mieux opter pour des solutions confortables.
L’outil Internet est universel et accessible sur presque toute la planète en quelque lieu où l’on se trouve, après un demi-siècle d’existence, les changements qu’il a permis se sont produits souvent à l’insu des usagers qui ne sont pas forcément formés à un usage pertinent et au maximum de ses possibilités, ni véritablement informés de la multiplicité de ses potentialités dans notre vie quotidienne.
Par Internet transitent la plupart des données nécessaires à la communication humaine, sauf les odeurs, le toucher et le goût mais des ingénieurs y travaillent et la technologie existe pour les odeurs. (S’agissant du toucher, ce sera plus compliqué mais il existe des palliatifs connus depuis des siècles, nous y reviendrons.) On se contentera donc, pour l’instant des transmissions vocales, de textes, des images en différé ou en direct. Pour assurer confortablement une relation d’aide par Internet ces outils suffiront pour l’instant.
Les remarques qui s’adressent ici pourraient s’appliquer à toutes formes de psychothérapie. Ce n’est qu’en partie vrai car chaque situation et les techniques associées appellent leurs propres opportunités. D’autre part, la relation d’aide par Internet est nouvelle et elle fait appel à des protocoles qui, encore mal maîtrisés, font l’objet de nombreux préjugés.

Le public dont il est question ici, les victimes de viols et d’inceste dans les premiers temps de la vie présente des particularités qui le distinguent  de bien d’autres. Il relève autant de la psychothérapie que de la justice. À la fois victime et « patient » – qui demande, selon le latin – cette particularité n’est pas sans soulever des questions dont les réponses induisent des actions sur deux niveaux, ceux, classiques de la psychothérapie et d’autres qui relèvent d’une responsabilité sociale. Ceci n’est pas sans influence sur le rôle que le thérapeute devra tenir.
D’autre part, la qualité même de victime a déclenché, en France, des débats faussés par des manipulations politiques. De nombreux juristes et des personnalités se sont engagés, souvent piégés par les objectifs  sous-jacents du politique, oubliant que, derrière la terminologie, il y avait des vies. Si bien que « la victime » est devenue une sorte de parangon d’une lutte idéologique. La relation d’aide à ces personnes, sans avoir à participer aux arguties idéologiques devra intégrer ces éléments d’un débat de société dont elle est l’otage et, une nouvelle fois, la victime.

Dans un article précédent, Nouvelles perspectives cliniques pour l’approche et la thérapie des rescapés de traumatismes sexuels précoces j’ai montré que, pour ces personnes le lieu de la psychothérapie devenait l’épicentre d’un réseau étendu de liens, de relations à des techniques et à des moyens d’extériorisation de l’émotion. Cela peut aller de l’Art-Thérapie à la consultation des médecines dites alternatives en passant par des exercices spirituels – ceux que Michel Foucault évoquait à la fin de sa vie comme support du « souci de soi ».

La relation d’aide par internet pour les personnes qui ont subi des violences sexuelles dans l’enfance

Récapitulons le modèle Internet

• Une architecture « répartie », c’est-à-dire qu’il n’y a pas de centre névralgique ;
• Chaque nœud de communication est autonome. Mais capable selon ses propres impératifs d’établir une communication avec un nœud ou un autre 
• Une transmission par commutation de paquets, c’est-à-dire qu’ici la technique consiste à envoyer un document en plusieurs petits paquets autonomes, chacun connaît l’adresse du destinataire et peut ainsi emprunter divers nœuds.
Bien sûr, on peut se demander ce que ce vocabulaire technique vient faire ici. Au mieux, comment en faire un modèle opérationnel pour une communication d’aide par Internet ?

En quoi ce modèle peut-il nous être utile ?

• Une architecture répartie, il n’y a donc pas de centre ! Cela revient à dire que le thérapeute ne se présente pas, implicitement ou explicitement, comme au centre du processus de restructuration ni comme unique interlocuteur du/de la demandeur/e. Seule la personne est au centre, cela repose sur une évidence, pourtant souvent oubliée. Ce qui introduit le deuxième item.
• Chaque nœud est autonome. Cette personne en quête d’unité, en recherche d’une volonté renouvelée de se retrouver doit demeurer autonome, donc libre. Elle seule peut, au fur et à mesure de la cautérisation des blessures, penser en conscience ce que ses propres impératifs de vie lui imposent comme attitudes, comportements et recherche de valeurs personnelles. C’est au thérapeute, encore une fois d’être le médiateur des paroles manquantes. Il est là, attentif, à l’écoute, en complète vigilance pour « réfléchir » la parole manquante. Elle ne lui appartient pas, il ne la retient pas ! S’il s’implique c’est pour renvoyer, pas à pas, au demandeur ce que ses témoignages induisent et qui paraissent relever d’un dévoilement progressif de la tension intérieure vers une réhabilitation de la vie. Ainsi, chaque pas, chaque « paquet » d’émotions et de sentiments conduit vers un but, la redécouverte de soi après des années d’emprise. (Cela repose sur un impératif neural qu’A. Damasio a parfaitement mis en valeur).
• Le « sentiment de soi » révèle son but, par petits morceaux, chacun comme pièces singulières d’un puzzle dont on ne connaît pas la représentation finale. Et celle-ci n’est pas connue a priori, chaque être porte en lui sa propre réparation. Il n’y a pas de modèle normal d’une harmonie de vie. Il faut en finir avec ces fadaises. Cherchant à sortir de plusieurs années d’emprise du prédateur, l’individu ne peut retomber dans une autre, fut elle consacrée socialement. C’est en cela que la capacité d’écoute vigilante du thérapeute devient primordiale.

Rôle et fonction du thérapeute

Ces conditions vont introduire une définition renouvelée de la place du thérapeute À bien y réfléchir, ces propositions induisent aussi des questions sur le positionnement de ce dernier, sur sa gestion du transfert et du contre-transfert. La relation se trouvera fondée sur un cycle que l’on peut schématiser ainsi :

Écoute, reformulation, transmission/réverbération, ajustement, réévaluation et retour.

L’écoute

Avec Internet, les moyens de communication ne permettent pas l’accès à ces signes multiples qui enrichissent et complètent toute communication physique. Le problème de l’écoute est donc complexe, comme s’il fallait activer un organe sensoriel nouveau. Néanmoins la pleine disposition, la vigilance du thérapeute doivent permettre la reformulation… C’est un savoir faire à acquérir, nouveau mais impératif.

La reformulation

« Ai-je bien compris ce que vous voulez dire ? » Les psychologues sont connus pour reprendre les derniers mots de leurs interlocuteurs afin de relancer la parole de l’autre. Ici, il s’agit d’autre chose. La reformulation par le thérapeute engage deux niveaux : le thérapeute est attentif mais ses mots introduisent une « réflexion » culturelle. Je veux dire : le thérapeute est d’abord un interlocuteur inconnu, il participe d’une autre niche culturelle que celle de son vis-à-vis. Cette altérité introduit alors une dynamique réflexive qui est porteuse d’ouverture. Le/la rescapé/e de sévices sexuels précoces est resté/e longtemps sous l’emprise de son prédateur et pour échapper parfois à cet étau, il lui a fallu accepter les schémas personnels de ce dernier. C’est la culture du mimétisme mais qui laisse des traces profondes. Voir s’exposer une autre culture dans une ambiance sécurisée ne manquera donc pas de résonner.
La reformulation est aussi le premier instant ou s’entend dire quelque chose qui est directement lié au fond émotionnel et instinctif primaire, celui qui signe l’existence même de l’être, de son corps et de son esprit, dans l’instant et dans son histoire. (Damasio 2011) Pour ceux et celles qui ont subi une longue emprise, ce moment est crucial. « J’existe par moi-même, par mes mots ! »

La transmission et la réverbération

Une fois acquise la certitude que ce qui a été dit a bien été compris c’est le moment pour la personne d’intégrer de nouvelles vérités dans sa vie quotidienne. Ce qui ne manquera pas d’avoir des implications profondes et durables. Apparaissent de nouvelles manières et de nouveaux moyens de gérer la vie en voie de réharmonisation. Moment délicat car ce qui surgit à partir des émotions primaires et de leur ressenti ne s’établit pas sur un socle stable, fiable. C’est à construire et à s’approprier. D’où la nécessité de vérifier : « c’est bien moi ! ».

L’ajustement

Le thérapeute participe de cet ajustement des valeurs et des attitudes. J’ai dit, dans d’autres articles que le moyen le plus fiable pour contrôler que ces nouvelles actions et attitudes sont justes est d’écouter consciencieusement les rêves et les images intérieures qui sont une partie de l’expression de cette tendance de l’organisme à chercher l’équilibre. En effet, « le moteur de ces nouveaux développements est l’impulsion homéostasique » (A. Damasio, p. 334) Les nouvelles attitudes et les comportements induits par l’écoute attentive des émotions et de leur ressenti réagissent à la détection de toutes formes de déséquilibre dans le processus vital de restructuration de la personnalité. Ils cherchent ainsi à corriger les attitudes antérieures dans un constant équilibre entre les contraintes intérieures et les exigences du milieu. Cette correction ne va pas de soi et il faut régulièrement revenir à cette dynamique interne, en déceler les messages et les traduire au quotidien.

La réévaluation

La personne fait l’apprentissage de nouvelles références comportementales, elle se découvre et tout à la fois se dévoile à elle un nouveau champ d’expérience, d’attitudes dont elle est certaine qu’elles « vont de soi ». Ces choses nouvelles lui appartiennent et s’ensuit une réévaluation continue de l’image de soi. La personne apprend peu à peu à percevoir ce processus instinctif d’homéostasie et surtout à faire l’apprentissage de sa formidable pertinence. Découverte pleine de réjouissances !

Le retour du cycle

Et le cycle recommence jusqu’à ce que soit définitivement consolidée la relation dynamique entre les instances profondes, personnelles et celle qui sont issues du génome, confrontées aux impératifs du milieu.
Le psychothérapeute devient désormais un médiateur, épicentre d’un noyau situé lui-même au sein d’un réseau plus vaste. Il apporte au/à la demandeur/e l’appoint dont il/elle manque dans l’instant.
Question qui surgit immédiatement : comment être sûr qu’il ne s’agit pas d’une projection par le thérapeute de ses propres valeurs ? Au mieux, une sorte de direction de conscience, au pire, une autre forme d’emprise. 
 La question vaut pour toute relation d’aide et l’on sait trop combien dans une relation dissymétrique – une personne fragilisée face à une autre censée détenir une sagesse – il est fréquent de voir s’installer une relation de pouvoir, même si cette dernière est parfois consentie – transfert positif. La question souvent posée pose le problème de l’efficacité des thérapies d’inspiration psychanalytique fondées sur la parole. Plusieurs précisions s’imposent ! Les protocoles thérapeutiques que je vais évoquer ici ne relèvent en rien d’un processus qui trouverait son modèle dans la psychanalyse. D’ailleurs les psychanalystes qui liront ces lignes émettront de nombreuses critiques, tant sur le fond que sur la forme, notamment sur la question du transfert. Le fait même d’évoquer les ethnomédecines, de s’en inspirer parfois fera se hérisser le poil de beaucoup.
Il s’agit en fait d’installer le lieu du travail de part et d’autre d’un écran, sans lien physique. À partir de ce lieu virtuel, il sera question pour la personne de retrouver progressivement la voie de son propre corps, à partir de ses émotions et de ses instincts puis de les passer enfin au filtre de la conscience réflexive. Or, ces personnes victimes d’inceste dans l’enfance se trouvent aux prises avec les plus grandes difficultés à reconnaître ce qui vient d’elle, du fond d’elle-même et ce qui résulte d’un long travail d’emprise au cours duquel s’est trouvé fabriquée une personnalité à la mesure du prédateur. Syndrome de Stockholm puissance dix. Le travail est donc extrêmement délicat pour des personnes toujours aux aguets qui peuvent se retrouver à tout moment prises par le doute ou la peur.

Cela imposera donc une plus grande vigilance au thérapeute car les repères implicites qui s’imposent dans toute relation physique – expression du visage, maintien corporel, regard, etc. – viendront à manquer. Le thérapeute devra donc se former progressivement à cette absence et affûter d’autres récepteurs.

Dans L’autre moi-même, A. Damasio souligne que la question qui sera posée à la plupart des cliniciens est celle de la relation de la conscience aux émotions. Et, selon lui, « toute discussion sur le thème de l’émotion nous ramène au problème de la vie et de la valeur ». (Ibid, p. 135) « Le produit des émotions, à savoir les sentiments d’émotions qui colorent toute notre vie du berceau à la tombe, pèse sur l’humanité et ne peut être ignoré. » (p. 135) Puis, dans les derniers chapitres, définissant quelques lignes directrices pour les avancées de recherche sur le cerveau humain, il affirme : « La conscience réflexive a non seulement amélioré la révélation de l’existence, mais a permis aussi aux individus conscients de commencer d’interpréter leur condition et d’agir ». (p. 353-354)
La parole ne sera donc, dans notre cas, qu’un outil parmi d’autres car il s’agit avant tout de permettre aux personnes que nous avons en relation de retrouver une intégrité perdue, étouffée, aliénée par des années d’emprise et de silence. Et c’est dans cette intégrité que pourront se forger leurs valeurs ainsi que les représentations à travers lesquelles elles parviendront enfin à se reconnaître.