Attentats : accompagner les victimes

Logo France Infojeudi 17 décembre 2015
Accompagner les victimes

La journée annuelle des droits des victimes a réuni un parterre de spécialistes et d’associations, à la Chancellerie. Avec un mot d’ordre : être proactif.

C’est un peu le mot clé de cette journée.  « Soyons proactif à l’égard des victimes » , a enjoint Christiane Taubira, dans son entrée en matière. Ce qui signifie : aller vers elles. Car, a dit, la garde des Sceaux,  « Souvent, les gens ne veulent pas. Ne savent pas. »  Elle parlait, bien évidemment, des attentats de Paris.

Tout a tourné autour de ces évènements, en cette fin d’année 2015, dont on aimerait bien qu’elle se termine. En clair, demande la ministre :  « Il faut identifier les victimes, qui ne sollicitent personne. » Vaste sujet… énorme programme… toujours en cours, plus d’un mois après les attentats. « Oui. Et on est bien face à une situation inédite » , me dit la directrice générale de l’Inavem. « On est face à une étendue, inconnue, de dégâts, et de dommages collatéraux. »

L’Institut national d’aide aux victimes (qui a pris le relais de la cellule de crise, avec 88 associations) se retrouvent face à un nombre incalculable de victimes.
« Il y a les familles endeuillées », m’explique Sabrina Bellucci. « On les a contacté par courrier, assez vite. Des référents ont été désignés, pour que les gens puissent avoir un contact humain. »

Moi : « Mais la grosse difficulté, ce sont tous les autres. Ceux qui ont été touchés, directement ou moins directement. Comment les atteindre ? »

Elle : « C’est le point sensible. Il faut savoir que des rescapés ne se sont pas encore manifestés. Nous devons tenter de les faire rompre, avec cet isolement. Nous devons être proactif. »

« Être proactif », la consigne du jour

Le revoilà, LE mot de la journée. J’avoue que je redécouvre ce terme, emprunté à la neuropsychologie, et désignant le fait « d’agir sur les faits. » Là, cela signifie : aller, vers les victimes. Je me demande alors : comment aller vers elles ? Elles, si nombreuse, car éparpillées, dans l’action, dans des rues, dans des appartements… Une question vient m’envahir d’effroi : sait-on, par exemple, combien sont les rescapés du Bataclan ? Réponse de la directrice de l’Inavem : « On ne le sait pas. » Sa réponse claque et me plonge dans un profond désarroi.

Moi : « Ah bon ? Mais on connait le nombre de spectateurs… » Elle, également plongée dans un certain abime : « Ils n’étaient pas dans un avion, mais a un concert. C’est plus fluctuant, et complexe. »

Au cœur des attentats, surgit le cœur des incertitudes. Elle poursuit : « Beaucoup de personnes ont fui ce soir-là… »

Le film se déroule, à nouveau, sous nos yeux. Je les imagine, affolée dans leur course… les visages paniqués… ou coincés, derrière une porte… la respiration coupée, comme des bêtes traquées…

Mon interlocutrice, elle aussi, voit ces images défiler dans sa tête. Une tête trop pleine, trop lourde… en ce 17 décembre 2015. « On continuera à aller vers les victimes. On sera proactif. Mais, dit-elle… au temps de l’urgence, doit succéder le temps du long terme. On devra respecter leur rythme. Car, sortir de la douleur solitaire, peut prendre beaucoup de temps. »

Après les attentats de novembre, les services psy saturés de victimes qui « pensaient aller bien »

17 décembre 2015Logo Le Monde
Par
 Manon Rescan

Jusqu’à présent, Fabrice (le prénom a été changé) n’avait pas eu envie de revenir à Paris. Reprendre le TGV en gare de Marseille-Saint-Charles, comme ce vendredi 13 novembre au soir où il avait rendez-vous au Bataclan. Monter dans le métro. Affronter ces lieux où il a vécu l’indicible. Les tirs, l’angoisse, le sang et la mort. Presque un mois après les attentats perpétrés à Paris et à Saint-Denis, il l’a finalement fait : il est venu porter plainte au 36, quai des Orfèvres. Puis il s’est rendu à la cellule d’urgence médico-psychologique de l’Hôtel-Dieu pour obtenir une évaluation du préjudice moral subi, lui qui a évité de peu la blessure : la balle n’a fait qu’effleurer son bras.

Depuis, comme un certain nombre de victimes, il pensait que ça allait. Et puis finalement non, ça n’allait pas. Un contrecoup « classique après un tel traumatisme », observe Nicolas Dantchev, responsable du service de psychiatrie de l’Hôtel-Dieu, qui accueille un centre de consultation médico-psychologique d’urgence pour les victimes des attentats de Paris.

Troubles différés

« Certains reprennent leur vie comme avant, retournent au travail, et puis les symptômes de traumatisme – flash-back, troubles du sommeil, scènes choquantes qui tournent en boucle – apparaissent plus tard. On parle alors de troubles différés ». Ces signaux peuvent apparaître jusqu’à trois mois après le choc. Pour Fabrice, cela se soldera par trente jours d’arrêt de travail.

C’est ainsi que les consultations n’ont pas cessé à l’Hôtel-Dieu, depuis le 13 novembre. Elles ont diminué, bien sûr, loin des quatre-vingts rendez-vous des premiers jours. Mais, quotidiennement, les psychiatres reçoivent encore entre dix et quinze nouveaux patients. Et, chaque jour, « on en voit dont c’est la première consultation psychologique », poursuit Nicolas Dantchev.

« Il y a plusieurs profils de personnes que l’on reçoit pour la première fois », explique Thierry Baubet, responsable de la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) de Seine-Saint-Denis (93). Outre les témoins de scènes de fusillades, ou arrivés sur place peu après, atteints de troubles différés, « il y a des blessés, ou les proches de personnes décédées, qui ont été occupés à d’autres choses depuis les attaques… », énumère-t-il.

Évitement

Mais il y a aussi ceux qui ne sont pas allés consulter tout de suite, non pas parce que « ça allait », mais parce qu’ils étaient déjà très atteints, sans forcément le savoir. « Ces personnes ont tout fait depuis les attentats pour éviter d’évoquer les événements traumatisants », explique le médecin.

« C’est ce que l’on appelle l’évitement », détaille M. Dantchev. Les victimes désertent alors les lieux publics très fréquentés comme les transports en commun, ou les lieux qui leur rappellent les traumatismes, territoires où elles se sentent oppressées. « Pour certains, cela devient invalidant au point de ne plus pouvoir sortir de chez eux », explique le psychiatre.

Pour ceux-là, une simple séance de débriefing psychologique ne suffira pas à apaiser les troubles. « Lorsque les symptômes persistent, il faut une vraie prise en charge », note M. Dantchev, qui évoque un suivi du patient dans la durée, comprenant une psychothérapie et, parfois, un traitement médicamenteux.

Ces patients sont d’habitude orientés vers des services de psychiatrie spécialisés en psychotraumatologie. « Le problème, c’est que, en Ile-de-France, toutes les structures sont débordées et saturées, s’inquiète Nicolas Dantchev. En temps normal, on a déjà du mal à trouver des consultations pour les victimes de viols ou de violences, qui ont besoin de ce genre de soin. Dans le contexte actuel, c’est encore plus compliqué. »

Renforcer l’aide

A Paris, l’Hôtel-Dieu comme l’hôpital Tenon (spécialisé en psychotraumatologie) ne sont ainsi plus en mesure d’accueillir de nouveaux patients pour un suivi de longue durée. Ces derniers sont alors orientés vers des psychiatres moins spécialisés. « Des services ont ouvert des consultations supplémentaires, mais ça n’est pas suffisant », poursuit le médecin.

Selon Thierry Baubet, qui a bâti sa consultation en psychotraumatologie à Bobigny « sans moyens publics supplémentaires », « il faut que les pouvoirs publics se posent la question de renforcer l’aide » dans ce domaine de la psychiatrie, « et pas uniquement dans Paris intra-muros », plaide-t-il. Car, d’après M. Dantchev, la demande de soins psychotraumatologiques n’est pas uniquement conjoncturelle. « On voit qu’elle augmente depuis quelques années, mais avec ces attentats, ça va exploser. »

De son côté, la Direction générale de la santé précise que ces questions seront abordées dans le cadre des « retours d’expérience » sur la mise en place du dispositif de prise en charge des victimes des attentats, dont elle promet que « les résultats, attendus mi-janvier, permettront son amélioration ».

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