Serge Tisseron : « L’urgence va être de recréer du lien »


Le confinement a entraîné un état de sidération et un choc traumatique sans comparaison. Le déconfinement aussi fait peur. Outre l’incertitude du moment, il va falloir reconstruire le collectif, recréer du lien, nous explique le psychiatre Serge Tisseron
07.05.2020
PROPOS RECUEILLIS PAR BRIGITTE BÈGUE
Serge Tisseron : Le déconfinement ne signifie ni la fin des risques encourus, ni la fin des gestes de protection. Nous aurons l’obligation de travailler, mais pas la liberté de nous déplacer, d’aller au cinéma ou au restaurant. Bref, les inconvénients d’aller au travail avec un masque et un flacon de gel hydroalcoolique, mais pas les avantages des loisirs ! Cela va continuer à être non seulement pénible, mais aussi terriblement anxiogène.
Enfin, n’oublions pas les difficultés financières pour un grand nombre de professions. Les inégalités sociales vont s’imposer avec une violence jamais atteinte. Le temps du confinement a été vécu très diversement. Il y a ceux qui ont pu se promener à la campagne et ceux qui ont vécu dans un appartement exigu, ceux qui ont bronzé et ceux qui auront regardé la télévision toute la journée, ceux qui ont connu des deuils, ceux qui ont souffert de maltraitance, etc.

Recréer du lien

Au-delà de la diversité de ces vécus, chacun s’est focalisé sur lui et sur ses proches. L’urgence va être de recréer du lien entre toutes ces personnes. Mais cela va être très difficile car c’est inséparable de la possibilité de nous toucher, de boire un café ensemble, de nous embrasser. La seule forme de sociabilité qui nous sera encore longtemps accessible sera la possibilité de partager des vidéos humoristiques sur la situation que nous vivons, afin d’en rire ensemble. Et aussi la possibilité de manifester notre solidarité, par exemple en faisant les courses des personnes seules ou qui hésitent à sortir de chez elles.

En quoi le choc provoqué par cette crise est-il différent d’une autre catastrophe ?

S. T. : L’ensemble de la population a été concerné mais ce choc traumatique a frappé très inégalement, selon la possibilité ou non de partir à la campagne, de bénéficier d’un jardin, d’un salaire régulier sans risque d’être ruiné par la crise.
Néanmoins, l’effet de sidération inégal que le confinement a provoqué ne se réduit pas à une logique de disparités sociales. Des gens ont  renoncé à un projet important comme un mariage, un divorce, un anniversaire, ou tout simplement le projet d’aller voir un parent âgé dont on craint la mort.
Et ensuite il y a eu le stress du confinement au jour le jour. Alors que chacun devient une menace possible pour ses proches et que, en même temps, il peut voir ses proches comme une menace pour lui-même.

Recréer du lien

Une telle pandémie est la plus grave des catastrophes imaginables pour le lien social. Et le plus difficile aujourd’hui est que nous ne voyons pas très bien quand cela pourra finir.
A la différence d’un attentat ou d’une catastrophe naturelle, il n’existe pas un « avant » et un « après ». Autrement dit, le déconfinement ne sera pas forcément la « fin du confinement ». On nous annonce un déconfinement partiel et, peut-être, l’obligation de revenir à des moments de confinement semblables à ceux que nous venons de vivre.

Cette situation peut-elle laisser des empreintes psychiques durables ?

S. T. : Oui, car elle confronte au risque d’une quadruple mort. D’abord, l’angoisse de la mort physique, pour soi et ses proches, mais aussi l’angoisse de la mort sociale, notamment pour ceux qui avaient avant le confinement une grande sociabilité de proximité et/ou ceux qui craignent la mort de leur entreprise.

L’angoisse du vide

L’obligation de ne pas sortir de chez soi ou de garder ses distances suscite aussi un sentiment de monotonie. Ce sentiment débouche rapidement sur l’angoisse du vide.
Nous manquons de nos stimulations sociales habituelles pour nous sentir en vie, d’autant que certains discours médiatiques présentent cette pandémie non seulement comme la fin d’un monde, ce qu’elle est indiscutablement, mais comme le signe avant-coureur de la fin du monde.

On a pensé, la lutte contre la pandémie en termes de traitement

On a pas suffisamment considérés, hélas, les facteurs psychologiques. La façon dont les enterrements ont été gérés a été une immense catastrophe humaine.

Il n’y a pas de psychiatre dans le conseil scientifique qui guide le gouvernement. Et aucune femme non plus, dont on sait combien elles sont plus sensibles que les hommes à la nécessité de prendre soin.

On a pensé la lutte contre la pandémie en termes de traitement. Le fait qu’un traitement est bien mieux accepté quand les personnes ont le sentiment que l’on se soucie de leurs difficultés a été sous-estimé gravement. Ce que chacun d’entre nous a tenté de compenser avec la fameuse formule « Prenez soin de vous ».

Les conseils qui nous ont été donnés pour passer le cap ont-ils été utiles ?

S. T. : Des injonctions se sont effectivement succédées. Il y a d’abord eu celle du confinement productif. Il fallait profiter de ce temps pour réaliser ce que nous n’avions pas eu le temps de faire jusqu’ici. Par exemple il fallait lire certains livres, regarder certains films, faire du tri…
Mais l’angoisse du vide n’est pas soluble dans l’hyperactivité consommatoire.

Prendre soin de soi

Dans un second temps, chacun a été invité à « prendre soin de lui » en faisant du yoga, par exemple, puis à « prendre soin des autres », comme applaudir chaque soir à 20 h et aider ses voisins.
Certains se sont donné pour tâche d’inventer le « monde d’après ». Mais cette façon de lutter contre l’angoisse a aussi engendré chez beaucoup une culpabilité. Celle de ne pas utiliser son temps comme il le devrait. A vouloir trop convaincre les gens qu’ils sont maîtres de leur destin, on risque de les rendre responsables de leur échec et d’aggraver leur dépression.

Les outils numériques

Chacun a essentiellement utilisé les outils numériques  pour interagir avec ses proches. Cela nous a incités à nous replier un peu plus sur ceux qui nous ressemblent, avec le risque d’oublier ceux qui sont différents. Au moment du retour au travail ou à l’école, la confrontation aux disparités qui nous auront échappé pendant ce confinement n’en sera que plus brutale.

Pour joindre l’article, cliquez sur le logo des ASH

L’OMS recommande de jouer aux jeux vidéo, le temps de l’épidémie

L'OMS recommande de jouer aux jeux vidéo, le temps de l'épidémie
jeux vidéo, le temps de l’épidémie
30/03/2020
L’Organisation mondiale de la santé et de grands éditeurs de jeux lancent une campagne mondiale. Baptisée « Play Apart Together », elle promeut la distanciation sociale.
L’Organisation mondiale de la santé et les plus grands éditeurs de jeux vidéo trouvent un terrain d’entente. Depuis le 28 mars, les plus grands acteurs du secteur, dont Activision Blizzard et Zynga, ont lancé une vaste campagne de promotion. Ils rappelent les mesures de distanciation sociale recommandées pour endiguer l’épidémie de coronavirus. Le tout par le biais de messages, récompenses ou événements intégrés directement à leurs jeux respectifs, relève USA Today.

L’OMS soutient cette initiative

Elle y voit un moyen de sensibiliser « des millions de personnes », a fait savoir Ray Chambers, l’un de ses plus hauts représentants. « Les éditeurs de jeux encourageront les joueurs à rester à distance . Ils doivent observer d’autres mesures de sécurité, dont l’hygiène des mains », a-t-il complété dans un communiqué.

« Nous sommes à un moment crucial pour évaluer les retombées de cette pandémie », a-t-il fait savoir sur Twitter. « Les entreprises de l’industrie des jeux ont une audience mondiale – et nous encourageons tout le monde à #PlayApartTogether (jouer chacun de son côté, mais ensemble, ndlr). Plus de distanciation physique + d’autres mesures aideront à aplanir la courbe + à sauver des vies. »

Un tournant pour l’OMS

L’appui de l’OMS apporté à l’industrie des jeux vidéo a de quoi surprendre. Par ailleurs, en juin 2018, et malgré les protestations des éditeurs de jeux, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a officiellement reconnu l’addiction aux jeux vidéo comme maladie mentale.
Les troubles liés au « gaming » ont ainsi été ajoutés à la classification internationale des maladies (CIM-11), où sont référencées un très grand nombre de pathologies, par différents codes.
jeux vidéo le temps de l’épidémie
En l’occurrence, l’OMS définit l’addiction aux jeux vidéo par une perte de contrôle, une priorité progressive accordée au jeu par rapport à d’autres activités et par la poursuite de l’activité malgré le constat évident de conséquences négatives sur sa vie. Il suffit de présenter ces trois caractéristiques pendant au moins un an pour soit disant devenir dépendant. Selon une estimation de l’OMS, 2 à 3% des joueurs sont concernés.

Pour joindre l’article, cliquez sur l’image