Libération – 13 novembre vivre avec

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Célian Macé

Ce besoin de collectif, après des moments d’horreur parfois vécus de façon solitaire, est si prégnant que, pour nombre de rescapés, il est devenu central dans le processus de reconstruction. Cédric Rey était à la terrasse du café du Bataclan le 13 novembre, pour boire une bière avec deux amis. Il a tout vu. Quand il raconte, il parle d’abord du bruit des coups de feu. « Ça ne ressemble pas à des pétards, comme on l’a beaucoup dit. C’est beaucoup plus sec, comme un bruit de caisse claire, se rappelle-t-il en tapotant sur une table basse le rythme des tirs. J’étais en train d’appuyer sur la plaie d’un blessé qui s’était effondré sur le boulevard quand j’ai relevé la tête. J’ai vu un type devant l’entrée du Bataclan se retourner. Il avait sa kalachnikov en bandoulière, elle était pointée vers moi. Au même moment, une femme est passée entre nous en courant : elle a pris les balles. » Quelques instants plus tard, devant les victimes qui agonisent près de la sortie de secours de la salle de concerts, Cédric « a commencé à buguer : mon cerveau s’est mis à déconner ».

Trois mois après le Bataclan, revoir ou pas les Eagles 0f Death Metal – EODM

Logo-AFP1er février 2016
revoir les Eagles 0f Death Metal – EODM

Hélène et Clotilde, deux rescapées du Bataclan, restent des inconditionnelles de rock rugueux et des Eagles of Death Metal. Mais si l’une a « hâte » de retrouver le groupe à l’Olympia en février, l’autre trouve que « c’est trop tôt ».

Quand elle a appris que « EODM » reprenait sa tournée européenne et serait de retour à Paris le 16 février, « je n’étais pas franchement contente », confie à l’AFP Clotilde, 35 ans.

« Je comprends, c’est leur métier, mais c’est trop tôt », ajoute cette Francilienne aux cheveux courts, venue au rendez-vous avec aux pieds les bottes qui lui ont permis de s’extirper du Bataclan pendant la tuerie le 13 novembre. Présente dans la fosse avec une amie, elle n’a pas reçu de balle mais reste choquée et évite encore de venir à Paris.

« On n’a pas tous la même façon de réagir : certains rescapés sont tout de suite retournés à des concerts mais on est à mon avis très nombreux à rester encore un peu dans notre coquille. Clairement, je ne me sens pas prête à me retrouver dans une salle de spectacle », confie cette scientifique, mère de deux enfants.

Elle n’a aucune envie d’aller à l’Olympia « parce que je sais que je ne vais pas être bien, que je ne vais pas m’amuser ». « Si j’y vais, je vais passer mon temps à regarder autour de moi, à contrôler les sorties de secours », dit cette grande fan du Bataclan, la salle où elle a vu le tout premier concert de sa vie, celui de Blur en 1994.

‘Juste insupportable’

Elle a pourtant demandé les invitations mises à disposition des rescapés du Bataclan pour « se laisser la possibilité de changer d’avis jusqu’au dernier moment » et aussi pour éviter que « quelqu’un d’autre y aille à sa place ».

« Il va y avoir des curieux, la presse, des personnalités politiques… Pour moi c’est juste insupportable. Finir le concert, OK, mais dans ce cas-là il fallait faire le truc jusqu’au bout : retourner au Bataclan, inviter seulement ceux qui y étaient et les familles des victimes, et même s’il n’y avait que 500 personnes, jouer seulement pour eux », regrette-t-elle.

Pour autant, elle redoute, si elle n’y va pas, la frustration de ne vivre le concert de l’Olympia qu’à travers la télévision. « Donc soit je vais au front, à l’Olympia, et je sais que je vais passer une mauvaise soirée, soit je n’y vais pas mais j’aurai un sentiment d’injustice… Je me sens coincée », conclut Clotilde.

Au premier rang

Hélène attend au contraire le concert de l’Olympia « sans appréhension » et espère même « un moment émouvant » : « C’est pour finir le concert et en commencer un autre… », dit-elle.

« J’ai été très contente quand ils l’ont annoncé », souligne cette hôtesse-standardiste de 42 ans qui compte bien s’installer au premier rang, là où elle aime prendre place pour éviter de perdre ses lunettes quand « ça se met à bouger ». C’est là qu’elle était quand les tueurs sont entrés dans le Bataclan.

Sérieusement touchée au niveau de l’omoplate, elle estime paradoxalement avoir « réussi à évacuer » assez vite : « J’ai entendu des trucs, mais je n’ai rien vu, je me suis protégée psychologiquement ». Elle montre le « selfie » pris ce soir-là, avant le concert devant la salle, avec à ses côtés le leader des Eagles of Death Metal, Jesse Hughes.

Sitôt sortie de dix jours d’hospitalisation, Hélène est retournée en concert, voir le duo très rock Andreas & Nicolas sur une péniche parisienne. Depuis, elle a vu trois ou quatre autres concerts et a déjà ses billets pour plusieurs à venir, comme Dionysos, l’un de ses groupes préférés, The Cure et « bien sûr le Hellfest », le célèbre festival de métal.

Il lui a, en revanche, fallu attendre plus longtemps avant de réécouter le dernier album de EODM acheté en octobre à New York. « J’ai commencé par mettre une chanson au hasard, sans doute un peu trop fort, et ça m’a fait un choc parce que je crois que c’était la première chanson qu’ils avaient jouée au Bataclan. J’ai baissé un peu le volume », dit-elle.

« L’autre chose que je n’ai pas faite encore, c’est de retourner au Bataclan, mais ça, je n’ai pas eu le courage. »

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