En finir avec les traumatismes grâce à la peinture, l’écriture ou la chanson

En finir avec les traumatismes grâce à la peinture, l’écriture ou la chanson
20 novembre 2018

Senior Lecturer in Abnormal/Clinical Psychology, Bath Spa University
Dans l’introduction de son livre Le Corps n’oublie rien, le psychiatre Bessel Van der Kolk écrit :

« Il n’est guère besoin d’être soldat, ni de visiter un camp de réfugiés au Congo ou en Syrie, pour être confronté au traumatisme. Tout un chacun est concerné, ses amis, sa famille, ses voisins. »

Le traumatisme survient lorsque nous sommes confrontés à des situations accablantes qui dépassent notre capacité à faire face ou à traiter les émotions qu’elles génèrent. Habituellement, les souvenirs sont stockés dans ce qu’on appelle la mémoire déclarative.
(la mémoire des choses dont on a conscience de se souvenir, et que l’on peut exprimer par le langage), que l’on pourrait représenter comme une sorte de classeur virtuel dans lequel les événements de la vie sont organisés et classés selon différents types, et par ordre chronologique.
Il est de ce fait facile de se rappeler et de décrire des souvenirs du passé. Ce n’est pas le cas des événements traumatiques : parce qu’ils surviennent en situation de détresse extrême, ils ne peuvent être assemblés correctement et mémorisés comme un récit cohérent, et sont donc stockés dans la mémoire non déclarative, qui fonctionne de façon inconsciente et s’exprime autrement qu’avec des mots.
La mémoire déclarative des événements traumatisants est comme un classeur qui aurait été malmené par un ouragan – il ne subsiste que des enregistrements épars d’images visuelles et de sensations corporelles, sans narration cohérente de ce qui s’est passé. Incapable de mettre en mots la mémoire non verbale et non déclarative du traumatisme, l’individu revit l’événement encore et encore, à mesure que des souvenirs inconscients refont surface, déclenchés par des odeurs, des images ou des sons qui rappellent le trauma originel.
Cette situation maintient la personne dans un état d’hypervigilance, inondant son corps d’hormones de stress longtemps après la fin de l’événement traumatique, avec des effets néfastes sur sa santé mentale et physique. Les symptômes sont multiples : dissociation, colère, engourdissement, souvenirs envahissants, douleurs musculaires (ventre, cou, épaules) et fatigue.

Non traité, le traumatisme peut avoir des effets dévastateurs sur la vie des gens ; il est donc nécessaire de trouver de nouvelles techniques efficaces pour aider les personnes traumatisées à se souvenir des événements qui les ont marquées afin de pouvoir les traiter correctement et en finir avec le traumatisme. Les arts créatifs peuvent aider à y parvenir.

Une alternative aux médicaments

Jusqu’à présent, le modèle médical a joué un rôle clé dans le traitement des traumatismes – peut-être, comme le dit Van der Kolk, parce que les médicaments pour « réparer » les traumatismes sont rentables et que les grandes revues médicales publient rarement des études sur les traitements non médicaux, qu’elles qualifient de thérapies « parallèles ». Le problème est que les médicaments ne peuvent s’attaquer à la racine du traumatisme, et ne peuvent donc pas faire sortir l’individu de la boucle de la reviviscence. Les thérapies basées sur la parole, comme la psychothérapie, sont essentielles, mais des données récentes suggèrent que les arts créatifs peuvent aussi jouer un rôle clé pour aider les individus à se remettre d’un traumatisme.
Que ce soit par le biais d’une image, d’une pièce de théâtre, d’une chanson ou simplement en gribouillant sur une feuille de papier, la créativité procure un espace où le traumatisme peut commencer à prendre un sens. Les événements traumatisants sont codés de façon non verbale ; par le biais d’images, de sons ou de métaphores, le processus créatif pourrait aider à les assimiler dans la mémoire déclarative. La recherche a montré que ce processus d’étiquetage des émotions négatives peut en atténuer l’effet menaçant.

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Guillaume Valette, rescapé du Bataclan, a mis fin à ses jours il y a un an. Sa maman publie cette lettre ouverte :

Guillaume Valette, rescapé du Bataclan, a mis fin à ses jours il y a un an. Sa maman publie cette lettre ouverte :

Aujourd’hui, après une année de silence, je prends la décision de parler, de raconter les trois derniers mois qu’a vécu Guillaume.

Ce 19 novembre 2018, cela fait jour pour jour un an que Guillaume, notre troisième fils chéri, mon bébé, nous a quittés.

Le 19 novembre 2015, comme beaucoup de jeunes, Guillaume s’est rendu à ce concert de rock au Bataclan. Rien ne présageait qu’il vivrait dans ce lieu des scènes de guerre, d’horreur.

Avec sa volonté de fer, sa jeunesse, il a voulu nous montrer qu’il surmontait cette épreuve. Mais les images de cette tuerie, de cette barbarie, et le traumatisme que cela a causé étaient enfouis malgré tout dans sa tête. Il a tenu bon pendant deux ans, se rendant tous les jours à son travail, comme Ingénieur chimiste, malgré les trois heures journalières de trajet.

En juillet 2017 sont apparus divers troubles physiques : gorge, estomac, respiration… en fait liés aux angoisses car les examens cliniques n’ont rien donné. Guillaume était en bonne santé physique. En août, son état s’est aggravé. Il ne pouvait plus sortir de la maison, même se déplacer en voiture lui était pénible. Ces angoisses redoublant, il a été hospitalisé tout d’abord à l’hôpital Begin où nous venions le voir tous les jours jusqu’au soir en respectant les horaires de visite. Malgré cela, le reproche nous a été fait de venir trop souvent et il nous a été demandé de venir moins souvent, voir tous les 8 jours. Ce reproche a été fait à Guillaume, qui leur répondait avoir besoin de la présence de ses parents et de sa famille. Après un mois de soins et nos efforts quotidiens, il sortait avec nous dans le parc de l’hôpital et nous avons tenté une sortie dans la rue : fiasco complet. Nous en étions revenus au point de départ.

Nous avons pris la décision de le retirer de cet établissement. Il nous a été alors conseillé par le médecin qui le suivait, qu’il ne réintègre pas le domicile familiale, mais de le placer dans une autre structure adaptée. Nous l’avons fait hospitaliser à l’hôpital de Saint-Mandé (ex clinique Jeanne d’Arc). Comme à Begin, nous sommes venus le voir tous les jours et nous avons repris le même travail avec ses frères pour le faire sortir de sa chambre. Mais le Guillaume que nous connaissions changeait au fil du temps.

« Toi qui aimais la vie, la nature, tu appréhendais de sortir à l’extérieur de la clinique.
Toi qui aimais marcher, faire du vélo dans les Landes lors de nos vacances, tes jambes ne te soutenaient plus et tu avais du mal à avancer.
Cela te minait. »

Avec nous, Guillaume s’assombrissait de plus en plus :
« moi qui n’ai jamais manqué en 7 ans, je ne peux plus travailler », « qu’ai-je fait pour mériter ça ? », « ici, on ne me soigne pas. »

« Mon corps me lâche »

a t’il écrit dans la lettre qu’il a laissée.

Le 31 octobre 2017, Guillaume m’a demandé de lui procurer une poche poubelle, du scotch double face et des ciseaux pour faire un déguisement pour Halloween. Cela m’a inquiétée et j’en ai informé l’infirmière. Lors d’une visite, nous avons constaté une blessure à la lèvre.
Nous étions très inquiets et nous avons alerté deux infirmières afin de constater cela. Rien n’avait été vu le matin avant notre arrivée.
Lorsque nous parlions de notre inquiétude, on nous écoutait mais nous avions l’impression de ne pas être pris au sérieux… Moi sa mère, je passais pour une anxieuse et nous n’étions pas crédibles : les parents s’inquiètent, c’est normal.

Guillaume ne dormait plus et se réveillait toutes les nuits. Ces images horribles le hantaient me disait-il, comme lorsqu’il était à la maison. Nous étions impuissants devant son mal être.

Le 19 novembre 2017, à 10h du matin, la clinique nous a informés que Guillaume avait mis fin à ses jours à 7h20 ce même jour. L’horreur, l’incompréhensible, est arrivé malgré tout. Nous qui pensions que notre fils était plus en sécurité à l’hôpital qu’à la maison…

Guillaume est bien décédé à l’hôpital et non à notre domicile, contrairement à ce qu’ont pensé de nombreuses personnes. Contrairement à ce qui a été dit sur les réseaux sociaux, nous nous sommes occupés de Guillaume tous les jours (il vivait chez nous). Il a suivi le parcours de soin prévu. La seule chose qu’il ne voulait pas était de s’inscrire dans une association. Guillaume était quelqu’un de très discret et n’aurait pas aimé cet affichage le concernant. Pour renforcer notre calvaire, 10 jours se sont écoulés pour disposer du corps et pouvoir organiser les obsèques de notre fils. Pourquoi nous infliger autant de temps ? Que s’est-il passé ? Nous n’en n’avons rien su.

Malgré notre désarroi et notre douleur, nous avons essayé d’avancer afin d’organiser les obsèques religieuses dans le Béarn où se trouve le caveau familial. Nous souhaitons que ce moment reflète la personnalité de Guillaume, son parcours sans faute : un jeune homme de 31 ans, intelligent, aimant et passionné d’écologie.
Aujourd’hui, Guillaume me manque tellement, ainsi qu’à son père, ses frères et à sa famille. Ma plaie reste ouverte et je me sens amputée d’un membre. Notre douleur est intense, indescriptible.


Pour Guillaume, je veux, nous voulons, avoir des réponses sur ce qui s’est passé. Il y a tellement de zones d’ombre sur son dossier. Guillaume aimait la vie et pour en arriver là, c’est qu’il souffrait terriblement, dans sa tête, dans son corps. Suite à cet attentat du Bataclan, il a subi un choc post-traumatique et n’a pas été aidé à la hauteur de sa souffrance. Guillaume était un « cas lourd » nous a dit le médecin. Mais nous pensons que le suivi a été insuffisant.

Guillaume est la 131e victime du 13 novembre, même s’il n’est pas reconnu à ce jour.

« Guillaume, mon fils adoré, je t’aime, nous t’aimons et tu resteras à jamais dans mon cœur, dans nos cœurs.
Tu me manques, tu manques à ton père, à tes frères, à ta famille et à tes nombreux amis.
Ta Maman. »

P.S. Cette lettre est destinée à ses amis du rock, de la faculté, à ses collègues, à sa famille, à ses amis et à tous ceux qui seront intéressés de savoir ce qu’a vécu Guillaume.