Guillaume Valette, rescapé du Bataclan, a mis fin à ses jours il y a un an. Sa maman publie cette lettre ouverte :

Guillaume Valette, rescapé du Bataclan, a mis fin à ses jours il y a un an. Sa maman publie cette lettre ouverte :

Aujourd’hui, après une année de silence, je prends la décision de parler, de raconter les trois derniers mois qu’a vécu Guillaume.

Ce 19 novembre 2018, cela fait jour pour jour un an que Guillaume, notre troisième fils chéri, mon bébé, nous a quittés.

Le 19 novembre 2015, comme beaucoup de jeunes, Guillaume s’est rendu à ce concert de rock au Bataclan. Rien ne présageait qu’il vivrait dans ce lieu des scènes de guerre, d’horreur.

Avec sa volonté de fer, sa jeunesse, il a voulu nous montrer qu’il surmontait cette épreuve. Mais les images de cette tuerie, de cette barbarie, et le traumatisme que cela a causé étaient enfouis malgré tout dans sa tête. Il a tenu bon pendant deux ans, se rendant tous les jours à son travail, comme Ingénieur chimiste, malgré les trois heures journalières de trajet.

En juillet 2017 sont apparus divers troubles physiques : gorge, estomac, respiration… en fait liés aux angoisses car les examens cliniques n’ont rien donné. Guillaume était en bonne santé physique. En août, son état s’est aggravé. Il ne pouvait plus sortir de la maison, même se déplacer en voiture lui était pénible. Ces angoisses redoublant, il a été hospitalisé tout d’abord à l’hôpital Begin où nous venions le voir tous les jours jusqu’au soir en respectant les horaires de visite. Malgré cela, le reproche nous a été fait de venir trop souvent et il nous a été demandé de venir moins souvent, voir tous les 8 jours. Ce reproche a été fait à Guillaume, qui leur répondait avoir besoin de la présence de ses parents et de sa famille. Après un mois de soins et nos efforts quotidiens, il sortait avec nous dans le parc de l’hôpital et nous avons tenté une sortie dans la rue : fiasco complet. Nous en étions revenus au point de départ.

Nous avons pris la décision de le retirer de cet établissement. Il nous a été alors conseillé par le médecin qui le suivait, qu’il ne réintègre pas le domicile familiale, mais de le placer dans une autre structure adaptée. Nous l’avons fait hospitaliser à l’hôpital de Saint-Mandé (ex clinique Jeanne d’Arc). Comme à Begin, nous sommes venus le voir tous les jours et nous avons repris le même travail avec ses frères pour le faire sortir de sa chambre. Mais le Guillaume que nous connaissions changeait au fil du temps.

« Toi qui aimais la vie, la nature, tu appréhendais de sortir à l’extérieur de la clinique.
Toi qui aimais marcher, faire du vélo dans les Landes lors de nos vacances, tes jambes ne te soutenaient plus et tu avais du mal à avancer.
Cela te minait. »

Avec nous, Guillaume s’assombrissait de plus en plus :
« moi qui n’ai jamais manqué en 7 ans, je ne peux plus travailler », « qu’ai-je fait pour mériter ça ? », « ici, on ne me soigne pas. »

« Mon corps me lâche »

a t’il écrit dans la lettre qu’il a laissée.

Le 31 octobre 2017, Guillaume m’a demandé de lui procurer une poche poubelle, du scotch double face et des ciseaux pour faire un déguisement pour Halloween. Cela m’a inquiétée et j’en ai informé l’infirmière. Lors d’une visite, nous avons constaté une blessure à la lèvre.
Nous étions très inquiets et nous avons alerté deux infirmières afin de constater cela. Rien n’avait été vu le matin avant notre arrivée.
Lorsque nous parlions de notre inquiétude, on nous écoutait mais nous avions l’impression de ne pas être pris au sérieux… Moi sa mère, je passais pour une anxieuse et nous n’étions pas crédibles : les parents s’inquiètent, c’est normal.

Guillaume ne dormait plus et se réveillait toutes les nuits. Ces images horribles le hantaient me disait-il, comme lorsqu’il était à la maison. Nous étions impuissants devant son mal être.

Le 19 novembre 2017, à 10h du matin, la clinique nous a informés que Guillaume avait mis fin à ses jours à 7h20 ce même jour. L’horreur, l’incompréhensible, est arrivé malgré tout. Nous qui pensions que notre fils était plus en sécurité à l’hôpital qu’à la maison…

Guillaume est bien décédé à l’hôpital et non à notre domicile, contrairement à ce qu’ont pensé de nombreuses personnes. Contrairement à ce qui a été dit sur les réseaux sociaux, nous nous sommes occupés de Guillaume tous les jours (il vivait chez nous). Il a suivi le parcours de soin prévu. La seule chose qu’il ne voulait pas était de s’inscrire dans une association. Guillaume était quelqu’un de très discret et n’aurait pas aimé cet affichage le concernant. Pour renforcer notre calvaire, 10 jours se sont écoulés pour disposer du corps et pouvoir organiser les obsèques de notre fils. Pourquoi nous infliger autant de temps ? Que s’est-il passé ? Nous n’en n’avons rien su.

Malgré notre désarroi et notre douleur, nous avons essayé d’avancer afin d’organiser les obsèques religieuses dans le Béarn où se trouve le caveau familial. Nous souhaitons que ce moment reflète la personnalité de Guillaume, son parcours sans faute : un jeune homme de 31 ans, intelligent, aimant et passionné d’écologie.
Aujourd’hui, Guillaume me manque tellement, ainsi qu’à son père, ses frères et à sa famille. Ma plaie reste ouverte et je me sens amputée d’un membre. Notre douleur est intense, indescriptible.


Pour Guillaume, je veux, nous voulons, avoir des réponses sur ce qui s’est passé. Il y a tellement de zones d’ombre sur son dossier. Guillaume aimait la vie et pour en arriver là, c’est qu’il souffrait terriblement, dans sa tête, dans son corps. Suite à cet attentat du Bataclan, il a subi un choc post-traumatique et n’a pas été aidé à la hauteur de sa souffrance. Guillaume était un « cas lourd » nous a dit le médecin. Mais nous pensons que le suivi a été insuffisant.

Guillaume est la 131e victime du 13 novembre, même s’il n’est pas reconnu à ce jour.

« Guillaume, mon fils adoré, je t’aime, nous t’aimons et tu resteras à jamais dans mon cœur, dans nos cœurs.
Tu me manques, tu manques à ton père, à tes frères, à ta famille et à tes nombreux amis.
Ta Maman. »

P.S. Cette lettre est destinée à ses amis du rock, de la faculté, à ses collègues, à sa famille, à ses amis et à tous ceux qui seront intéressés de savoir ce qu’a vécu Guillaume.

Les traumatismes des attentats de 2015 au fil des sons

Sur Europe 1, les traumatismes des attentats de 2015 au fil des sons

Elise Racque
Publié le 05/01/2018.
Sébastien Guyot a recueilli les témoignages de rescapés et de proches de victimes des attentats de janvier et novembre 2015. Europe 1 diffuse ce samedi 6 janvier ces confidences chargées en émotions.
Chaque année, depuis 2015, la France commémore ses morts : ceux de Charlie Hebdo, de l’Hyper Casher, du Bataclan, des terrasses parisiennes, sans oublier les policiers qui ont eux aussi été assassinés par les terroristes. Pour les rescapés et les proches des victimes, ces dates sont autant de cicatrices que la mémoire et l’absence déchirent à nouveau. Comment se reconstruire après l’horreur ? La résilience est-elle possible ?
Europe 1 pose la question ce samedi dans une émission spéciale de Tout Terrain, en allant à la rencontre des traumatisés, ceux qui restent. Parmi eux, la chroniqueuse judiciaire de Charlie Hebdo Sigolène Vinson, la mère et la sœur de Gilles, jeune fleuriste tué au Bataclan, ou encore l’artiste José Munoz qui a perdu son fils Victor, fauché sur la terrasse de La Belle Equipe. « J’ai voulu que toutes les couches sociales ou presque soient représentées, car ces évènements ont touché l’ensemble de la société française », explique Sébastien Guyot, qui a recueilli les témoignages.
A chacun son rythme et sa méthode pour survivre à l’après. Alexandra, la sœur de Gilles, se force à aller dans les concerts, même s’ils la font pleurer. José écoute Satie en boucle et se réfugie dans le silence, tandis que sa femme a besoin de mouvement, de voir du monde. Sigolène alterne lecture, écriture et virées sans but en moto. Peut-on vraiment se reconstruire face à l’absence ?

« Nous sommes lézardés, oppose le père endeuillé. Se reconstruire n’est pas un objectif. Il faut simplement tenir. »

Tenir grâce aux sons apaisants, contre les sons angoissants. Les entretiens suivent un fil rouge original : quelles sonorités accompagnent au quotidiens ces survivants ? Pour beaucoup, la musique fait office d’art-thérapie et libère les larmes, la nostalgie. Au contraire, les sirènes des ambulances et des pompiers font ressurgir le cauchemar, et le simple fracas d’une ardoise de restaurant tombant au sol rappelle celui des tirs de Kalachnikov.
Tous ont des mots d’un courage et d’une poésie surréalistes, entrecoupés de silences pudiques. Leurs confidences sont chargées en émotions, peut-être parce que celui qui leur a tendu le micro les suivaient, pour beaucoup, depuis les attentats. Sébastien Guyot a par exemple appris le décès de Gilles avec sa famille. « Dans de telles circonstances, la carapace de journaliste est difficile à garder », confesse-t-il.
Pourtant, son commentaire, très sobre, semble presque froid, comme transplanté depuis un journal radio lambda. Il hache les témoignages, nous arrache à l’étreinte d’un sanglot, et brouille un peu le partage sensible de ses interviewés. « Pourquoi pas un tout sonore ? », se lamente-t-on en pestant contre ce découpage un peu sec. « C’était le projet initial, mais on n’a pas eu les moyens », se désole tout autant le journaliste. Quant au ton, il l’avait d’abord voulu plus subjectif, avant de se raviser : « J’étais trop dans l’empathie, trop dans la tristesse. On a finalement opté pour une écriture qui se voulait neutre à dessein. »
Trouver le ton juste pour accompagner ces témoignages si peu ordinaires est certes un défi difficile, peut-être précisément parce que ces paroles, mêmes dites, demeurent inaccessibles.

« C’est toujours moi, avec une cassure. On continue à respirer et à vivre, mais à vivre différemment, coupé des autres. Nous, on avance un peu comme des fantômes », articule la chroniqueuse de Charlie Hebdo. Un psy avait prédit : « Vous verrez, vous deviendrez des personnes extraordinaires… »

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Loin de Paris, en musique, mais avec une « cassure » : la lente reconstruction d’une rescapée de Charlie

La chroniqueuse de « Charlie Hebdo » Sigolène Vinson participe toujours à la rédaction du journal, mais loin de Paris. Elle doit encore affronter certaines peurs.
Le 7 janvier 2015 à 11h30 en pleine conférence de rédaction, les frères Kouachi surgissaient dans les locaux de Charlie Hebdo et abattaient douze personnes dont huit collaborateurs du journal. Trois ans après, 61% des Français se sentent toujours « Charlie », selon le sondage que nous publions vendredi matin avec l’IFOP. Les survivants, eux, tentent de se reconstruire. La dessinatrice Sigolène Vinson, qui travaille toujours pour Charlie, même si elle a préféré s’éloigner de Paris, a accepté de se confier.

« C’est parce que je suis très polie que je réponds ‘ça va' ».

Elle vit désormais dans le sud de la France. C’est chez elle qu’elle nous accueille, souriante. Mais à l’image de sa nouvelle vie depuis trois ans, Sigolène Vinson se protège. « Ça va à peu près, mais c’est parce que je suis très polie que je réponds ‘ça va' », explique-t-elle au micro d’Europe 1. Après l’attentat, la journaliste a d’abord connu la paranoïa, les premiers mois, puis les pleurs récurrents et aujourd’hui encore quelques peurs incontrôlées. « Les sirènes des secours que ce soit police, pompier ou ambulance, le bruit des cartes ou des ardoises des restaurants sur les trottoirs quand un coup de vent les font tomber au sol, c’est pour moi ce qui se rapproche du bruit d’un coup de feu, c’est très sec », dit-elle.

La lecture et la musique pour penser à autre chose.

Autant de peurs qui sont exacerbées à Paris, où elle ne se rend plus qu’une tous les quinze jours pour la conférence de rédaction de Charlie Hebdo. Un rituel auquel elle tient beaucoup, mais si l’inconscience a disparu car la peur est désormais toujours là. Les menaces de mort se sont même multipliées ces derniers mois. « Moi qui ai pu avoir l’âme militante, ce que je ne suis plus du tout aujourd’hui, peut-être à cause de l’attentat, je me dis que je fais peut-être acte de participation à la vie de la cité en continuant à écrire dans le journal », confie-t-elle. En plus de Charlie Hebdo, Sigolène Vinson écrit aussi des romans et lit et écoute beaucoup de musique. Chez elle, on retrouve des dizaines de vinyles : Bob Dylan, Bruce Springsteen ou encore Georges Moustaki.

« C’est moi, avec une cassure ».

En écoutant Le temps de vivre, Sigolène Vinson, l’admet, « le goût de vivre c’est un peu long, mais vivre, on vit à partir de l’instant où on n’a pas été tué, dès qu’on se relève, dès qu’on a vu dans les yeux du tueur qu’on allait rester en vie, on continue à respirer et à vivre. Mais vivre pendant un certain temps différemment, coupé du monde ». « On avance comme si on était derrière un vitrage. On voit les autres eux vraiment vivre et surement avoir le goût de vivre. Nous on avance un peu comme des fantômes, comme un spectre dans la ville », poursuit-elle. « Je sais que j’ai vécu un événement particulier et d’une violence inouïe, mais ça n’a pas changé qui j’étais, il y a juste quelque chose de cassé à l’intérieur, une fêlure, un chagrin qui ne part pas. C’est moi avec une cassure », résume-t-elle.