Vivre avec le terrorisme (1/4) – Les mots des survivants

Les mots des survivants

Deux personnes rendent hommage aux victimes des attentats, près du Bataclan le 14 novembre 2015
Deux personnes rendent hommage aux victimes des attentats, près du Bataclan le 14 novembre 2015• Crédits : FRANCK FIFE – AFP
06/01/2020
Vivre avec le terrorisme (1/4) Les mots des survivants

Je m’appelle Nicolas j’ai 39 ans je suis fonctionnaire et fan de rock depuis tout gamin. J’ai tenu le choc pendant deux ans et depuis c’est très compliqué puisque j’enchaîne des périodes fréquentes d’arrêt dues à une condition psychologique compliquée. Nicolas

13 novembre 2015. Paris est attaqué par plusieurs commandos de terroristes islamistes. Plusieurs terrasses de café et de restaurants du Xème et XIème arrondissement de la capitale sont mitraillées tandis que la salle de concert du Bataclan, pleine à craquer de fans de rock et des « Eagles of Death Metal », est prise d’assaut par trois assaillants qui y provoquent un vrai carnage au nom de L’État Islamique.

Ce soir là on s’est rendu compte de ce qu’il y avait de pire et de meilleur dans l’humanité. Fred Dewild

Guillaume Valette, la 131ème victime du Bataclan s’est suicidé (pendu) le 19 novembre 2017, dans sa chambre de la clinique psychiatrique du Val-de-Marne où il avait été admis un mois et demi plus tôt. Il avait 31 ans.
Pour les rescapés, les survivants, les proches et les familles des victimes, la vie a continué. Mais il a fallu apprendre à vivre avec le vide, à revivre et à survivre avec des démons et des tourments que rien ne peut encore chasser. Certains ont accepté de nous en parler.

Je ne supporte plus le contact avec mon fils ou ma fille qui me demandent des câlins, c’est une corvée. Emilie

Aujourd’hui ma tête va bien mais mon corps est encore dépositaire de tout ça. Je vous parle mais mon ventre est une boule toute dure. Isabelle

Avec :
Emilie et Nicolas
Fred Dewild et Catherine Bertrand
Isabelle
Une série documentaire de Alain Lewkowicz, réalisée par Séverine Cassar

Liens

Les attentats… et après ? Un dossier de la revue Perspectives Psy, n°4, 2016.

Attentats : réparer les vivants. Récit et témoignages diffusés dans Envoyé spécial le 7 janvier 2016.

Chroniques d’une survivante de Catherine Bertrand. Interview à lire dans Elle, 13 novembre 2018.

13-Novembre est un programme de recherche transdisciplinaire qui se déroulera sur 12 ans. Son objectif est d’étudier la construction et l’évolution de la mémoire après les attentats du 13 novembre 2015, et en particulier l’articulation entre mémoire individuelle et mémoire collective.

– Deux témoignages inédits

A écouter ci-dessous et disponibles aussi en podcast
Premier témoignage : Christophe Molmy et Fabienne
Christophe Molmy est le patron de la BRI, la Brigade de Recherche et d’Intervention connue sous le nom Brigade de l’antigang. Le 13 novembre 2015, il prend la tête des opérations au Bataclan afin de libérer les otages des terroristes. Les survivants lui en seront éternellement reconnaissants, la patrie aussi, comme pour tous les grands Hommes.
Fabienne y était, au Bataclan ce soir-là. La BRI lui a sauvé la vie.

Deuxième témoignage : Sophie Le Maire
Sophie Le Maire buvait un verre au Grand Café Bataclan qui jouxte la salle de concert lorsque les terroristes ont mitraillé la terrasse. Elle en sort indemne. Enfin presque. Car pour elle comme pour bon nombre de survivants, les blessures et les plaies invisibles restent encore béantes.

Pour joindre l’émission, cliquez sur l’image

Guillaume Valette, rescapé du Bataclan, a mis fin à ses jours il y a un an. Sa maman publie cette lettre ouverte :

Guillaume Valette, rescapé du Bataclan, a mis fin à ses jours il y a un an. Sa maman publie cette lettre ouverte :

Aujourd’hui, après une année de silence, je prends la décision de parler, de raconter les trois derniers mois qu’a vécu Guillaume.

Ce 19 novembre 2018, cela fait jour pour jour un an que Guillaume, notre troisième fils chéri, mon bébé, nous a quittés.

Le 19 novembre 2015, comme beaucoup de jeunes, Guillaume s’est rendu à ce concert de rock au Bataclan. Rien ne présageait qu’il vivrait dans ce lieu des scènes de guerre, d’horreur.

Avec sa volonté de fer, sa jeunesse, il a voulu nous montrer qu’il surmontait cette épreuve. Mais les images de cette tuerie, de cette barbarie, et le traumatisme que cela a causé étaient enfouis malgré tout dans sa tête. Il a tenu bon pendant deux ans, se rendant tous les jours à son travail, comme Ingénieur chimiste, malgré les trois heures journalières de trajet.

En juillet 2017 sont apparus divers troubles physiques : gorge, estomac, respiration… en fait liés aux angoisses car les examens cliniques n’ont rien donné. Guillaume était en bonne santé physique. En août, son état s’est aggravé. Il ne pouvait plus sortir de la maison, même se déplacer en voiture lui était pénible. Ces angoisses redoublant, il a été hospitalisé tout d’abord à l’hôpital Begin où nous venions le voir tous les jours jusqu’au soir en respectant les horaires de visite. Malgré cela, le reproche nous a été fait de venir trop souvent et il nous a été demandé de venir moins souvent, voir tous les 8 jours. Ce reproche a été fait à Guillaume, qui leur répondait avoir besoin de la présence de ses parents et de sa famille. Après un mois de soins et nos efforts quotidiens, il sortait avec nous dans le parc de l’hôpital et nous avons tenté une sortie dans la rue : fiasco complet. Nous en étions revenus au point de départ.

Nous avons pris la décision de le retirer de cet établissement. Il nous a été alors conseillé par le médecin qui le suivait, qu’il ne réintègre pas le domicile familiale, mais de le placer dans une autre structure adaptée. Nous l’avons fait hospitaliser à l’hôpital de Saint-Mandé (ex clinique Jeanne d’Arc). Comme à Begin, nous sommes venus le voir tous les jours et nous avons repris le même travail avec ses frères pour le faire sortir de sa chambre. Mais le Guillaume que nous connaissions changeait au fil du temps.

« Toi qui aimais la vie, la nature, tu appréhendais de sortir à l’extérieur de la clinique.
Toi qui aimais marcher, faire du vélo dans les Landes lors de nos vacances, tes jambes ne te soutenaient plus et tu avais du mal à avancer.
Cela te minait. »

Avec nous, Guillaume s’assombrissait de plus en plus :
« moi qui n’ai jamais manqué en 7 ans, je ne peux plus travailler », « qu’ai-je fait pour mériter ça ? », « ici, on ne me soigne pas. »

« Mon corps me lâche »

a t’il écrit dans la lettre qu’il a laissée.

Le 31 octobre 2017, Guillaume m’a demandé de lui procurer une poche poubelle, du scotch double face et des ciseaux pour faire un déguisement pour Halloween. Cela m’a inquiétée et j’en ai informé l’infirmière. Lors d’une visite, nous avons constaté une blessure à la lèvre.
Nous étions très inquiets et nous avons alerté deux infirmières afin de constater cela. Rien n’avait été vu le matin avant notre arrivée.
Lorsque nous parlions de notre inquiétude, on nous écoutait mais nous avions l’impression de ne pas être pris au sérieux… Moi sa mère, je passais pour une anxieuse et nous n’étions pas crédibles : les parents s’inquiètent, c’est normal.

Guillaume ne dormait plus et se réveillait toutes les nuits. Ces images horribles le hantaient me disait-il, comme lorsqu’il était à la maison. Nous étions impuissants devant son mal être.

Le 19 novembre 2017, à 10h du matin, la clinique nous a informés que Guillaume avait mis fin à ses jours à 7h20 ce même jour. L’horreur, l’incompréhensible, est arrivé malgré tout. Nous qui pensions que notre fils était plus en sécurité à l’hôpital qu’à la maison…

Guillaume est bien décédé à l’hôpital et non à notre domicile, contrairement à ce qu’ont pensé de nombreuses personnes. Contrairement à ce qui a été dit sur les réseaux sociaux, nous nous sommes occupés de Guillaume tous les jours (il vivait chez nous). Il a suivi le parcours de soin prévu. La seule chose qu’il ne voulait pas était de s’inscrire dans une association. Guillaume était quelqu’un de très discret et n’aurait pas aimé cet affichage le concernant. Pour renforcer notre calvaire, 10 jours se sont écoulés pour disposer du corps et pouvoir organiser les obsèques de notre fils. Pourquoi nous infliger autant de temps ? Que s’est-il passé ? Nous n’en n’avons rien su.

Malgré notre désarroi et notre douleur, nous avons essayé d’avancer afin d’organiser les obsèques religieuses dans le Béarn où se trouve le caveau familial. Nous souhaitons que ce moment reflète la personnalité de Guillaume, son parcours sans faute : un jeune homme de 31 ans, intelligent, aimant et passionné d’écologie.
Aujourd’hui, Guillaume me manque tellement, ainsi qu’à son père, ses frères et à sa famille. Ma plaie reste ouverte et je me sens amputée d’un membre. Notre douleur est intense, indescriptible.


Pour Guillaume, je veux, nous voulons, avoir des réponses sur ce qui s’est passé. Il y a tellement de zones d’ombre sur son dossier. Guillaume aimait la vie et pour en arriver là, c’est qu’il souffrait terriblement, dans sa tête, dans son corps. Suite à cet attentat du Bataclan, il a subi un choc post-traumatique et n’a pas été aidé à la hauteur de sa souffrance. Guillaume était un « cas lourd » nous a dit le médecin. Mais nous pensons que le suivi a été insuffisant.

Guillaume est la 131e victime du 13 novembre, même s’il n’est pas reconnu à ce jour.

« Guillaume, mon fils adoré, je t’aime, nous t’aimons et tu resteras à jamais dans mon cœur, dans nos cœurs.
Tu me manques, tu manques à ton père, à tes frères, à ta famille et à tes nombreux amis.
Ta Maman. »

P.S. Cette lettre est destinée à ses amis du rock, de la faculté, à ses collègues, à sa famille, à ses amis et à tous ceux qui seront intéressés de savoir ce qu’a vécu Guillaume.