Par Ann-Flore
illustration Anna Wandatué mon père
Le 10 novembre dernier, mon père, ma mère, mon beau frère, quelques amis de la famille et moi fêtions les 29 ans de ma sœur. Comme d’habitude, nous avions bien bu. Ma mère et moi reprenions la route, un peu attaquées et riant très fort, suivant de près mon père sur sa Harley, qui lui aussi rentrait, un peu plus sérieux, car sur sa moto il ne déconne jamais.
Sains et saufs, nous étions tous arrivés à Cergy. Le lendemain, le 11, alors que ma famille allait glander en ce jour férié, mes parents m’ont amené à la gare, pour rejoindre Paris, puis Arras où mes obligations professionnelles m’attendaient. En quittant leur voiture, les larmes sont montées. Coincées dans ma gorge alors que je les embrassais tous les deux, elles n’ont pas tardé à couler lorsque je me suis éloignée.
L’étrange sentiment qu’un jour j’allais perdre l’un d’eux
A mesure que j’attendais mon train, j’ai paniqué puis pleuré de plus belle. J’ai mis ça sur le compte de ma récente rupture, de ce job que je n’aimais pas. Mais je me sentais en fait ailleurs, comme hantée par l’étrange sentiment qu’un jour j’allais perdre l’un d’eux.
Arrivée plus tard à Arras et quelque peu calmée, la nuit du 11 novembre fut pourtant chaotique. Je ne cessais de me réveiller, habitée par cette même pensée. Le 12 et le 13 filèrent tant bien que mal. Et ce vendredi midi, je regagnais Paris, oubliant cette date maudite qu’est le vendredi 13. Je quittais le travail sur les coups de 18 heures, pensant ironiquement que tout allait bien pour le moment.
Je rejoignais mes amies pour dîner, dans le 14ème (pas loin de chez l’une d’elles, car elle avait mal au dos). Nous troquâmes ainsi notre habituelle Bastille pour le parc Montsouris. J’envoyais alors un texto à mes parents, pour leur souhaiter un bon concert. Habituellement ma sœur, mon beau frère et moi aurions été de la partie. Mais ce soir-là nous étions fatigués, et pour je ne sais quelle raison nous avions décliné l’invitation, nous qui sortions pourtant toujours en bande.
Nous avons entendu les premiers pimpons
Aux alentours de 21 heures, l’une de mes amies a reçu un appel de son papa. Il l’invitait à rentrer rapidement, car des tirs avaient retenti à Saint Denis, puis dans le 10ème ou le 11ème, on ne savait pas trop. Quelques secondes plus tard à peine, nous avons entendu les premiers pimpons et vu les premiers giros, avec une seule pensée en tête « Merde, un nouveau Charlie ! »
Évidemment connectées à nos portables, nous avons toutes cherché plus d’infos. La télé du resto s’est elle aussi allumée. Les conversations animées laissaient place à une drôle de stupeur. Rue de Charonne, boulevard Voltaire… On annonçait même que cela avait tiré à quelques mètres du Bataclan.
Immédiatement j’ai alors tenté de les appeler, eux qui profitaient pour une fois d’un concert en amoureux. Le téléphone de mon père n’a pas sonné et seule sa messagerie me répondait. Quant à ma mère,personne ne semblait être au bout du fil. Paniquée, j’alertais alors ma sœur, qui tenta en vain de me rassurer. Certaines sources indiquaient en effet que le Bataclan avait été évacué. Peut-être étaient-ils sortis ? Peut-être avaient-ils couru et perdu leur téléphone ? Comment savoir ?
Les informations s’entrechoquaient, aussi bien dans ma tête, sur Internet et Twitter, que dans la bouche de ceux qui comme nous ici buvaient un verre. Le sol s’effondrait chaque seconde un peu plus sous mes pieds. Les clopes que je fumais elles, tremblaient dans mes mains moites, quand mes yeux cherchaient sans cesse des informations à lire. Je voulais savoir.
J’ai enfin su.
J’ai su qu’une prise d’otages avait lieu au Bataclan et que ce n’était pas une blague. On parlait de 20, 30 déjà 40 morts…
En état de choc, je quittais le bar et envoyait un dernier texto à mon père « Dites moi que ça va ?? » Des mots qu’il ne put jamais lire.
Des mots qui résonnèrent dans ma tête jusqu’à ce que je sache, dans la nuit, qu’il avait été tué d’une balle dans la tête. Et que deux balles s’étaient logées dans les jambes de ma mère, qui se protégea dans ses bras morts à lui, jusqu’à ce qu’elle puisse enfin sortir de cet enfer.
L’inquiétude est partout avec moi
Aujourd’hui, deux mois après cet atroce carnage, alors que Paris semble reprendre des couleurs, notre vie à nous ne nous a toujours pas été rendue et ce ne sera probablement jamais le cas. Car l’inconscience et la légèreté ont bel et bien été remplacées par la peur et la crainte permanente que cela ne recommence. L’inquiétude est partout avec moi. La mort m’accompagne elle aussi partout où je vais. Au cinéma, au restaurant, en terrasse… Partout j’ai peur d’y rester. Partout, j’ai peur d’enterrer tous ceux que j’aime encore et qui ne font pourtant rien d’autre que de vivre leur vie jugée débauchée pour certains.
Partout où je vais, j’ai désormais peur d’être trop voyante, trop tatouée, trop athée : autant d’arguments pour être visiblement flinguée. J’ai même peur d’ouvrir Charlie Hebdo dans le train. Bref, je ne me sens plus en sécurité.
Je sais que certains diront qu’il ne faut pas avoir peur, qu’ils auraient gagné. Je m’en fiche, je n’ai pas honte d’avouer que je suis terrorisée. Comment ne pas l’être quand chaque jour les infos énumèrent le nombre de morts à travers le monde ?
Je n’ai pas honte non plus d’avouer que cette peur me vrille l’estomac, car elle est finalement venue remplacer la colère et la haine qui m’ont trop longtemps habitée. Lassée de celles-ci,j’ai enfin compris qu’elles faisaient de nous le miroir de ces monstres et j’ai réalisé que seules la tolérance et la compassion sont les armes qui gagneront face à la propagande d’un état dénué d’humanité. Alors munissons-nous.
Tu t’appelais Richard Rammant et tu étais le meilleur des papas.
Ann-Flore est née en 1990 et possède une superbe collection de papillons sous verre. Si cette jeune banlieusarde (qu’il est moche ce mot) rêve de monter une friperie spécialisée dans les années 50 et 70, elle termine pour le moment ses études et navigue entre communication et rédaction. Elle a en plus la gentillesse d’être réactive et rapide, ce qui n’est PAS FRANCHEMENT LE CAS de la majorité d’entre nous.
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