Dessins d’enfants migrants : les contours du traumatisme


Tenir la route, c’est le site des 60 étudiants de la 92ème promotion de l’ESJ Lille. L’objectif, c’est de parler des routes migratoires autour de la Méditerranée, à travers le corps des migrants. On entend beaucoup parler de chiffres, mais les migrations, ce sont surtout des hommes, des femmes et des enfants.
Par Joséphine Duteuil
Dessins d’enfants migrants : les contours du traumatisme
Bientôt tous malades ? En Grèce, traumatismes et troubles psychiatriques s’accumulent chez les migrants, au point de faire craindre aux ONG une nouvelle forme de crise humanitaire. Bloqués dans le pays, affaiblis par des voyages souvent chaotiques, ils sont pris en charge avec les moyens du bord. Pour les enfants et les jeunes, les dessins servent souvent de canal à la douleur.

« J’en ai tellement. Je ne sais pas lesquels montrer. »

Eva Mylona étale les dessins sur la table. La pochette cartonnée déformée où elle les range ferme à peine. Dans les locaux de l’ONG Metadrasi, où elle s’installe dans la première salle vide, en l’absence de bureau fixe, la psychothérapeute reçoit sur rendez-vous les mineurs isolés hébergés à Athènes. Enfants ou presque majeurs, venus de Syrie, du Burundi ou du Pakistan, presque tous traînent derrière eux un lourd passé d’abus et de guerres. Parler est souvent difficile. Alors elle leur tend des crayons et des feutres, et les laisse faire. « Parfois, je me mets à dessiner aussi. Ça les encourage. »
Pour les enfants, la médiation par les images est une parade courante. Dans le cas des jeunes migrants, elle aide aussi à contourner la barrière de la langue.

« Quand ils dessinent, ils n’ont pas besoin des mots »,

résume Margarita Karavela. Elle dirige le service enfance du centre de jour Babel, qui fournit des consultations gratuites aux étrangers de la capitale. Dans la salle d’attente souvent pleine, les réfugiés à peine débarqués en ville croisent des migrants de première et deuxième génération.
« On peut évidemment leur demander de décrire ce qu’ils ont fait, concède-t-elle. Mais souvent, observer l’atmosphère suffit. » Tant mieux, car les interprètes viennent souvent à manquer. Au point que Médecins Sans Frontières, active dans l’Attique et sur les îles de Samos et Lesvos, y voit la carence la plus grave. « La traduction est toujours un problème. Sans elle, les dispositifs d’aide restent inutiles, quels que soient les efforts déployés » insiste Ana Marques, qui coordonne les actions médicales de l’ONG en Grèce.

Maisons volantes et visages noirs

À Babel ou Metadrasi, un interprète, légèrement en retrait, est généralement présent pour assister les thérapeutes, mais les images parlent de toute façon d’elles-mêmes. « Dans quelques cas, surtout chez les adolescents, explique Margarita Karavela, on trouve des choses atroces. Des viols, du sang. IIs veulent nous montrer ce qu’ils ont traversé. Mais ces dessins sont plus l’exception que la règle. »
Chez elle comme chez sa collègue, les représentations frontales de la guerre sont rares. Leurs patients dessinent surtout leur réalité : leur famille et leur maison, l’école où ils vont, le pays qu’ils ont quitté. C’est le plus souvent par des indices que l’ombre des deuils, des agressions et d’un présent sans sécurité ni repères se laissent saisir.

« Parfois, par exemple, l’image est pleine de couleurs, raconte Margarita Karavela. Mais le visage lui est noir, ou totalement dénué d’expression. C’est un signe que quelque chose est arrivé. »

Les dessins changent heureusement au fil des séances. « Je vois des transformations en eux, raconte la thérapeute. Ils deviennent plus, disons adultes. Une scène qui se passait dans les airs va redescendre vers le sol, quand les jeunes deviennent plus attachés à la réalité. Ou bien leur personnage aura des mains, ce qui signifie qu’ils peuvent à nouveau donner, et recevoir. » Plus réticente à interpréter les images, Eva Mylona (voir images) assiste aux mêmes métamorphoses… Quand les jeunes restent. Car leurs thérapies tiennent beaucoup de la médecine d’urgence, et il est fréquent que les enfants rencontrés un jour ne reviennent pas la fois suivante. Ou quittent brutalement la Grèce, après des mois de suivi.

« Les gens deviennent fous »

Pour autant, cet accompagnement est loin d’être accessoire. En Grèce, la situation mentale des migrants est critique. La fermeture de la route des Balkans et l’accord avec la Turquie ont enfermé dans le pays des centaines de milliers de migrants chez qui la stagnation, plus encore que la dureté du quotidien ou les violences passées, créent une détresse morale pour l’instant sans réponse. « Les gens deviennent fous, confie Jakob, un jeune bénévole allemand en études de médecine. Ils n’ont pas d’occupation, pas d’avenir : rien à faire à part attendre. C’est insupportable.» Débordés, les professionnels écoutent tant bien que mal.


En octobre, MSF alertait dans un rapport sur l’intensité de la crise. « À ce stade, le nombre de personnes vulnérables, dans les îles, est extrêmement élevé », s’inquiète Ana Marques. D’après l’ONG, six à sept personnes par semaine se rendaient cet été au dispensaire de Lesvos pour des tentatives de suicide, des actes d’automutilation ou des épisodes psychotiques de plus en plus liés à leurs conditions de vie sur l’île. Une fois transférés sur le continent, les migrants fragilisés gagnent en confort, mais se retrouvent dangereusement isolés. « Quand ils parviennent à obtenir un appartement, ils perdent un réseau d’aide crucial pour leur santé mentale, explique-t-elle. Et même dans les cas où nous trouvons des hébergements protégés pour les migrants aux troubles psychiques les plus sévères, les faire s’intégrer est très, très difficile.»
Chez les enfants et les adolescents, les pathologies se doublent de carences plus durables, liées à l’incertitude d’une vie sans intimité ni école. « Certains jeunes dessinent quasiment comme s’ils avaient deux ans », s’inquiète Maria Karavela. Au-delà des traumatismes, elle voit dans ces images malades un manque sévère de stimulation, des enfants, à terme dangereux pour leur développement mental et affectif. En l’absence de changement, c’est l’avenir de toute une génération d’enfants migrants qui est mis en péril.

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L’artisanat afghan, sauvé de l’oubli


L’artisanat afghan, sauvé de l’oubli, veut inspirer en Syrie
21/08/17
Source : Afp
Arraché de justesse aux ruines et à l’amnésie, le savoir-faire des artisans afghans se perpétue aujourd’hui au coeur du vieux Kaboul, dans un caravansérail sauvé du désastre: ce rare succès d’une reconstruction avortée doit être bientôt réédité au profit d’artisans syriens.
Dans un océan de frustrations et de projets humanitaires mal aboutis, 16 ans après la fin du régime taliban, les ateliers de céramiques, menuiserie, calligraphie et d’orfèvrerie de l’institut Turquoise Mountain (TM) perpétuent le meilleur de l’Afghanistan, réputé pour ses artisans depuis la nuit des temps sur la stratégique Route de la Soie.

Il s’en est fallu d’un cheveu pour qu’ils ne disparaissent au fil des conflits qui minent le pays depuis 40 ans. Un sort tristement partagé par les artisans syriens qui fuient leur pays et bénéficieront bientôt de l’expérience afghane en Jordanie et au Liban.

Tout a commencé avec la réhabilitation en 2006 du plus vieux quartier de Kaboul, Mourad Khani, raconte Abdul Wahid Khalili, directeur de l’institut qui forme la relève.

Ce projet, initié par le diplomate britannique Rory Stewart (actuel membre du gouvernement de Theresa May) et son ONG, la Fondation Turquoise Mountain, et parrainé notamment par le prince Charles, le British Council et USAid (coopération américaine), a mobilisé jusqu’à 5.000 artisans.

« Quand nous avons démarré, il restait très peu d’artisans à Kaboul. La plupart avaient fui le pays ou abandonné leur secteur », se souvient M. Khalili. « On a commencé avec ceux qu’on connaissait. »

Retrouver les vieux maîtres

Ces pionniers arpentent les villes, frappent aux portes dans les villages pour retrouver les maîtres, leurs élèves et les enrôler sur le chantier. « L’idée était de conduire la réhabilitation du lieu, abandonné aux ordures et de former en même temps la nouvelle génération », reprend M. Khalili.

L’institut emploie aujourd’hui trente maîtres afghans, parfois eux-mêmes formés ici avant de transmettre à leur tour leur art, du jali, les dentelles de bois ajouré, aux tressages d’argent arachnéens des bijoux malela, l’une des six techniques d’orfèvrerie traditionnelles.

Wakil Abdul Aqi Ahmani, 64 ans, vieux maître en blouse et barbe grises, fut l’un de ces pères fondateurs. Les fenêtres ouvertes sur les rosiers, dans la cour, il enseigne aux garçons, penchés sur leurs panneaux de cèdre et de noyer, l’art du jali et des bois sculptés du Nouristan, région perchée au nord-est dans les montagnes de l’Hindu Kush.

Son fils de 35 ans, Massoud, qui fut son premier élève, a succédé au dernier maître de la spécialité, Abdul Hadi.

Pour intégrer l’Institut, la sélection est impitoyable. Plus de 500 candidats chaque année, affirme M. Khalili, une cinquantaine retenus, filles et garçons. Outre des tests de culture générale et des entretiens, ils doivent réaliser un travail dans leur spécialité – céramique, menuiserie, orfèvrerie, calligraphie et miniatures.

« Ils ont appris au bazar, dans les échoppes ou en famille. Mais ils ne sont pas vraiment professionnels », explique Abasin Bahand, chargé des évaluations. « Tout le monde peut tenter sa chance. »

Les trois ans de formation sont gratuits, les étudiants sont nourris, logés s’ils viennent de province et perçoivent 20 dollars d’allocation mensuelle pour leurs transports. Et ils sortent avec une double certification, afghane et britannique.

« 80% de nos diplômés ont lancé leur propre affaire ou travaillent et vivent de leur spécialité », affirme Nathan Stroupe, le directeur de la Fondation TM pour l’Afghanistan.

Kaboul, Londres, Amman

Les menuisiers et les bijoutiers sont ceux qui réussissent le mieux sur le marché. Parmi les premiers, d’anciens élèves ont décoré des palaces à Londres et aux Emirats, et des bijoutiers ont reçu des commandes pour la New York Fashion Week.

« Nous avons un programme d’incubation d’entreprise pour les soutenir et les accompagner pendant trois ans », explique le directeur de la fondation.

Mais l’essentiel est ailleurs.

« L’objectif initial était de sauver et de préserver cet héritage, certains des artisans qu’on a retrouvés au bazar avaient travaillé pour le roi » Mohammed Zaher Shah, déposé en 1973, reprend Nathan Stroupe.
Il était temps. « On a déjà beaucoup perdu », avoue M. Khalili. « Plus personne ne travaille le cuivre ni le bronze. Pour l’art du jali et les bois nouristanis, nous avons eu des maîtres qui étaient les derniers et ils sont morts; si nous n’avions pas agi, leur art aurait disparu. »
« Il faut désormais restituer (ces savoirs) aux communautés, sinon on va les perdre à nouveau. »

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