Cesari, E., Gérard, S.(2020). Un atelier e-art-thérapeutique avec un processus de faire créatif contre l’anxiété due à la Covid-19, The Canadian Art Therapy Association Online, Magazine Envisage Vol. 3, Issue 3, fall 2020.
Emmanuelle Cesari détient un Master en art‑thérapie de l’université de Paris V Descartes en France et un diplôme de cyberpsychologie de l’université de Paris VII Diderot. Spécialisée en traumatologie, elle dispense des ateliers auprès de victimes d’attentats, de victimes de maltraitance infantile et de personnes migrantes ou réfugiées. Elle travaille depuis La Chapelle d’Angillon – Centre de la France.
Sophie Gérard détient une certification en art-thérapie de l’Institut européen de psychologie appliquée de Saint-Laurent du Var en France. Elle dispense des ateliers auprès de victimes de maltraitance infantile et en institution auprès de personnes souffrant de psychose chronique accueillies dans des structures ambulatoires ou en unité psychiatrique. Elle travaille depuis Nice – Sud de la France.
Remerciements
Nous tenons à remercier l’équipe de Bemypsy.com cabinet virtuel ; Alice Albertini, art-thérapeute MA, ATPQ, auteure des consignes ainsi que Chantal Nahas, Master art-thérapeute ; Dre Marjorie Maugendre et les participantes à l’étude.
La maladie du Coronavirus pèse sur la santé mentale de la population. L’art‑thérapie propose déjà à des personnes vulnérables ou non, confinées ou malades, d’apaiser leur anxiété. En invitant ces participants à un atelier d’e‑art‑thérapie, notre objectif principal est de les aider à déposer leur anxiété sur un support créatif et de la mettre ainsi à distance. Le patient et le groupe témoin sont tenus pour cette expérience de faire face à leur anxiété à travers des écrans partagés pour se reconstruire un équilibre intérieur et atténuer leur stress. Grâce à la plateforme BEmyPSY, nous proposons un processus créatif auquel s’ajoute un questionnaire. Afin de mesurer l’évolution de l’anxiété, un autre questionnaire d’auto-évaluation (avant-après) sera passé. Les résultats corroborent l’hypothèse selon laquelle l’anxiété diminue au cours de la séance. De plus, alors que se pose la question du lien social, l’alliance thérapeutique s’effectue à un rythme accéléré malgré la fracture numérique, influençant la continuité du suivi.
Depuis janvier 2020, le Coronavirus se répand sur la planète et pèse sur la santé mentale avec un impact psychologique du confinement sur la population générale, sur les personnes vulnérables souffrant de troubles mentaux et sur celles touchées par le virus. La distanciation physique et l’isolement social renforcent l’anxiété et la dépression. (Aga et al., 2020).
L’adoption de la visio-consultation en art-thérapie, peut-elle apaiser leur détresse émotionnelle ?
Nous insisterons sur le soin en respectant sa dimension « thérapeutique », du grec « Therapeutikos », et « relatif au soin que l’on prend de quelqu’un ou de quelque chose ». À travers le récit de cette expérience, nous tenterons de répondre à la question suivante : La visio-consultation prend-elle en considération ce lien « thérapeute-participant » dans cet échange d’écran à écran remplaçant le face à face des séances traditionnelles ? Nous présenterons quelques réalisations et commentaires des participantes.
Les objectifs de l’atelier thérapeutique
Dans ce contexte pandémique où les mesures sanitaires ont nécessité le confinement de la population, la visio-consultation préserve le lien avec des personnes psychiquement désorientées nécessitant une relation d’aide ponctuelle.
L’expérience visait à :
• valoriser l’e-art-thérapie comme variable d’ajustement pour :
•Lutter contre l’anxiété en la mettant à distance sur un support créatif.
•Faire face à l’anxiété dans un contexte d’« écran à écran ».
•Retrouver un équilibre intérieur.
• En outre, elle tentait de répondre à ces questions :
• L’e‑art-thérapie peut-elle apporter une solution thérapeutique aux troubles que génère la pandémie ?
• Pourquoi respecter en ligne, le cadre de l’atelier classique ?
• Et si le confinement encourageait une e‑art‑thérapie dotée de vertus inexistantes en présentiel ?
La population et le dispositif
Après disqualification des répondants non éligibles, l’échantillon comporte 11 personnes de sexe féminin pour un âge moyen de 43,64 ans (s = 10,22 ans).
L’état d’anxiété était d’abord évalué à travers le questionnaire d’auto-évaluation STAY forme Y-A qui mesure la réaction émotionnelle à un moment donné à partir de 20 propositions (Spielberger, 1983 ; Schweitzer et Paulhan, 1990).
Afin de faciliter la prise en charge thérapeutique, nous avons eu recours à la plate-forme BEmyPSY (https://bemypsy.com/). Cette plate-forme maximise la prise de rendez-vous en proposant tous types de consultations sans risque de propagation de la maladie.
Nous demandons aux personnes d’organiser chez elles les conditions spécifiques d’un atelier de création, avec espace et matériel adéquats. Pendant l’échange, l’art‑thérapeute placée devant un mur neutre, ne donne rien à voir et suit le processus créatif. L’angle de la prise de vue évite la contre-plongée qui mettrait la participante dans une position infantile et oriente la caméra sur la table de la créatrice.
Le questionnaire sur l’évolution du faire créatif
La participante est invitée à répondre à ces questions :
• Comment avez-vous procédé pour la concrétisation de votre esquisse ?
• Quels matériaux avez-vous utilisés ?
• Qu’avez-vous ressenti durant votre création ?
• Que ressentez-vous en regardant votre production ?
Le faire créatif
Séance 1 – La peur
La peur rend amnésique à ce qui fait du bien
Pour les personnes en quarantaine, la peur de la solitude reste prégnante : nous les invitons à identifier ce qui leur fait du bien. Se protéger des peurs des autres permet de se concentrer sur les siennes pour les désamorcer. Nous voyons avec les tests d’anxiété que ces deux heures permettent de favoriser le retour de l’apaisement.
La peur chez les personnes psychotiques
Pour les personnes psychiatrisées, la peur diffuse les laisse en détresse psychologique. BMP est suivie en psychiatrie depuis 40 ans :
« Il y a une peur qui s’est installée …/… Je n’en vois pas la limite. La peur de tous ces morts. On dirait que le monde s’éteint. C’est une boule de feu dans ma tête…/… je me sens noyée. »
Séance 4 – L’impuissance et le pouvoir d’intervenir
Florence : « Quand j’ai dû poser des mots sur ce qui me procure du pouvoir, comme le métier, ma tête restait vide à cause de la Covid. Aucun mot ne venait…. Je ne pouvais pas coller le cercle : ça allait tout gâcher. »
Séance 8 – L’espace sécurisant
Accéder à son espace sécurisant
Léa : « Le premier dessin m’a donné l’impression d’être libre. Le second, m’a redonné espoir et m’a permis de me reconnecter à mes désirs. J’ai conscientisé mon espace sécurisant. »
Séance 9 – Faire grandir le beau côté des choses
Léa note une évolution :
« Je ne savais pas commencer, j’ai repris conscience de mes qualités, malgré les difficultés actuelles. », « L’expérience du confinement était riche au niveau relationnel et synonyme de créativité. »
Séance 10 – d’écran à écran
Un lien sur l’extérieur et une ouverture sur soi
Emma : « C’est une fenêtre sur l’extérieur, un lieu pour déposer ce qui encombre. »
L’image et le donner à voir du côté des thérapeutes
Observatrice, peu active, l’art-thérapeute est désincarnée. Sof, art-thérapeute et personne‑contrôle pour l’étude :
« L’écran, ce lieu d’échange n’a rien d’anodin… nous devons veiller à ce que nous donnons à voir pendant ces séances qui perdent leur neutralité. Alors que faire et comment faire ? »
L’effet de désinhibition numérique
Dans son article sur la cyberviolence, Tordo (2020, p 187) aborde un phénomène développé par Suler (2004) qui nous a interpelées :
« L’effet de désinhibition numérique entrainant les internautes à dire des choses dans le cyberespace qu’ils ne diraient pas dans le monde physique. »
Léa : « Le numérique me permet d’établir une relation de confiance avec la thérapeute plus rapidement qu’en face à face. »
Pallier le sentiment d’abandon
BMP, suivie à travers un blogue :
« Le contact physique ne me manque pas. Cet atelier virtuel m’a permis de ne pas me sentir dans l’abandon. »
Elle vient avec plaisir sur la plateforme et n’exprime aucun manque.
Hic et nunc
Alors que les thérapeutes se sentent intrusifs via les visio-consultations, certaines participantes pensent au bienfait de pouvoir les vivre dans l’Ici et Maintenant.
BMP : « Moi j’étais chez moi, mon coin sécurisant, et l’art-thérapeute était dans l’écran. Il y avait là quelque chose d’extraordinaire. Un présent tel que je pouvais pratiquement y passer ma main à travers. J’ai voulu le dessiner. »
Le miroir dans la séance individuelle
Émilie : « Le travail de e-thérapie m’a permis de me voir dans ma bulle, comme un effet miroir.
La thérapeute en « femme tronc »
Émilie : « Cette femme-tronc, qui est là, sans être là… Cela m’aide à me détacher quant au regard de l’autre… J’oublie la thérapeute et l’environnement sonore, visuel ou autre… »
Nous sommes plus impliqués dans une relation dématérialisée, asexuée.
Catherine, a fui à la neuvième séance. L’art-thérapeute avait noté : J’ai parlé de plaisir or je n’avais pas de bas du corps : j’étais asexuée. Le propos devenait malvenu.
Les résultats corroborent l’hypothèse
Trois personnes ont abandonné. Nous noterons des problématiques de culpabilité entrainant une réaction thérapeutique négative (Green, 2002).
L’échantillon est restreint, nous acceptons un risque µ allant jusqu’à 20, en conformité avec le développement actuel de la méthode de la recherche en psychologie clinique (Rasch et al., 2004).
Nous constatons une diminution significative de l’anxiété dans les ateliers 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 9. Les ateliers 7, 8 et 10 laissent surgir des problématiques plus personnelles comme les viols ; cinq des participantes ont subi des agressions sexuelles. Le virus est alors considéré comme un agresseur.
Les résultats corroborent l’hypothèse que l’anxiété diminue entre le temps T I et le temps T II.
Conclusion
Le contexte actuel génère un sentiment d’urgence et l’e‑art‑thérapie semble un moyen favorable à la créativité et à la diminution incontestable de l’anxiété. Déposer la peur envahissante en la symbolisant permet la restitution du lien social et l’unification de l’être. Quand l’art initie un dialogue intérieur, le partage de ces expériences facilite l’intimité avec le monde extérieur. La visio-consultation donne accès à de nouveaux modes de fonctionnement cognitif.
Références
• Aga, S.S., Anwarkhan, M., Nissar, S.S., Banday, M.Z. (2020). Assessment of Mental Health and Various Coping Strategies among general population living Under Imposed Covid‑19 Lockdown Across world: A Cross‑Sectional Study, Ethic, Medicine and Public Health, 352-525, https://doi.org/10.1016/j.jemep.2020.100571
• Albertini, A. (2020). « Art-thérapie contre l’anxiété » [Page de site] https://flowcreatif.teachable.com/p/art-therapie-anxiete?fbclid=IwAR0Rf-XzTE7hI_r99Ljo3kj0uA5hJBT6fYTfdOTkVlylS4B_7qpbyL9mOFw, Flow créatif, https://flowcreatif.com/, récupéré le 15 avril 2020.
• BMP, (2020). « Submergée par les émotions – La peur », [Billets de blogue] https://artherapievirtus.org/RAIVVI/bmp-submergee-par-les-emotions-la-peur/ Relation d’Aide par Internet pour les Victimes de Viols par inceste, blogue de BMP, https://artherapievirtus.org/RAIVVI/, récupéré le 31 mars 2020.
• Green, A. (2002), La mort dans la vie. Quelques repères pour la pulsion de mort, La pensée clinique, Paris, O. Jacob.
• Levine, P. A. (2015). Trauma and memory: Brain and body in a search for the living past – A practical guide for understanding and working with traumatic memory. North Atlantic.
• Rasch, D., Kubinger, K.D., Schmidkte, J., Häusler, J. (2004). The misuse of asterisk in hypothesis testing, Psychology Science, 46, 227-242.