L’art thérapie aide-t-elle les personnes en situation de fragilité ?

On va d’abord parler de l’art, puis des personnes en situation de fragilité.

Qu’est-ce que l’art ?

L’art est un moyen d’expression et de communication qui ne passe pas par le rationnel. C’est-à-dire que pour créer, nous utilisons une partie du cerveau (hémisphère droit qui commande notre côté gauche du corps) et qui correspond à nos émotions, nos sentiments, notre intuition, notre sensibilité, notre spontanéité. C’est cette partie du cerveau que nous utilisons moins dans notre société principalement comme la nôtre qui est basée sur le faire, être efficace, être objectif, c’est une action tournée vers l’extérieur : c’est l’hémisphère gauche du cerveau.
L’enfant est dans la spontanéité et l’intériorité imaginaire car il n’a pas été encore suffisamment modelé par les contraintes sociales qui demandent des comportements d’éducation de telle et telle façon de parler, de se comporter, de communiquer, ce qui peut être emprisonnant :
«  ne dis pas ceci, ne dis pas cela, ne fais pas ceci, ne fait pas cela… »
et puis il y a aussi le regard des autres sur nous :
«  qu’est-ce qu’il va penser ? »
C’est la peur du jugement et de la réprimande. Petit à petit la spontanéité disparaît ou diminue au profit d’un jeu social, bien sûr nécessaire mais contraignant. Donc il y a une partie de notre être que l’on pourrait dire endormie et que l’art peut réveiller parce qu’à travers l’art on peut exprimer tout que l’on veut et même les interdits. Dans ce sens là, l’art libère.
Souvent notre personnalité plus profonde, notre moi plus profond que le médecin psychiatre Gustav Jung nomme le Soi est complètement étouffé par ces jeux sociaux et aussi par l’éducation que nous avons reçue, parfois trop rigide, ce qui peut arriver à casser ce moi intérieur. Alors on compose avec, mais il y a toujours une petite voix intérieure qui réclame, qui clame pour une voie d’expression. Et c’est exactement là que l’art est un chemin, un chemin d’ouverture.
Combien de personnes se sont épanouies quand elles ont commencé la danse, le théâtre, la musique ou l’écriture ?

L’art et les émotions

Donc nous avons vu combien nous sommes réprimés à cause d’une contrainte sociale mais aussi nous pouvons avoir des émotions refoulées à cause de certaines blessures souvent vécues pendant l’enfance. Blessures liées à des émotions non exprimées : comme la peur, la colère, la tristesse, la frustration, la déception. Et tout cela reste enfoui au plus profond de nous-mêmes. Ses émotions non exprimées se transforment en angoisse et anxiété, alors qu’on ignore souvent d’où elles viennent tellement elles sont cachées dans notre inconscient. Souvent ces émotions refoulées se transforment en maladies psychosomatiques : émotions qui s’inscrivent dans le corps et s’expriment à travers le corps.
Là encore, l’art peut jouer un grand rôle : celui d’exprimer ce dont nous n’avons même pas conscience : ces émotions lointaines, bloquées et qui nous étouffent. En ce sens, l’art est un véritable canal d’expression. Quand les émotions s’expriment, elles surgissent de l’inconscient, zone d’obscurité, pour émerger dans la conscience, zone de lumière, pour reprendre les termes de Gustave Jung.
Ainsi nous pouvons comprendre pourquoi l’art aide les personnes en situation de fragilité. La propre fragilité de chaque personne peut effectivement s’exprimer à travers l’art. Elle n’a plus besoin de la cacher ni de s’en protéger. Elle peut l’exprimer et souvent en s’exprimant à travers l’art, elle peut se sentir valorisée, narcissisée. C’est ainsi que l’art-thérapie a pris naissance.
Une personne fragilisée a plus besoin qu’une autre personne d’être écouter, d’être comprise, de se sentir aimée, acceptée, incluse. Le thérapeute accueille, écoute, est à l’écoute, est capable de sentir la souffrance de l’autre : il a de l’empathie.
Danser dissolve les tensions, le corps bouge avec ses émotions et ainsi débloque la cuirasse qu’on se construit, tout au long de sa vie, de son histoire, pour se protéger des menaces physiques et psychiques, c’est ce qu’on appelle selon le psychiatre et psychanalyste Wilhelm Reich (Analyse Bioénergétique) : cuirasse musculaire de caractère.
La DMT a pour objectif le soin et en premier lieu le soin envers soi-même : se vouloir du bien. Aimer son corps, non pas comme on admire une belle image mais en le ressentant, en l’habitant, en l’acceptant avec bienveillance. Prendre soin de soi veut dire découvrir ses besoins et les respecter. Respecter aussi ses limites. Un danseur par exemple, ne respecte pas toujours ses limites et même plutôt le contraire, il les dépasse et cela souvent aboutit à des blessures.
La DMT travaille sur la perception des sens, ce qui pourra aider à développer chez le pratiquant une prise de conscience de ses besoins et ressentis. Petit à petit, le corps habitué à cette lecture refusera organiquement et automatiquement des excès aussi bien physiques que psychiques (par exemple : trop de nourriture ou boisson, trop d’informations mentales, trop de débordements émotionnels). Le corps parlera tout seul, il rejettera naturellement ce qu’il ne lui convient pas.
Cette approche, dans la durée, nous amènera à la recherche de l’essentiel. La perception de nos besoins et le désir de les respecter montreront que le processus thérapeutique a pu se déclencher. La personne maintenant est capable de prendre soin d’elle-même. Elle n’est plus bloquée ou moins bloquée par des émotions et des sentiments liés à son passé. Elle n’est plus prisonnière de son passé. Elle peut vivre le moment présent dans la plénitude de son être : corps-esprit, parce qu’elle a retrouvé la liberté, La spontanéité et la légèreté de son enfant intérieur, de son Soi.

La différence entre la danse et la Danse-Mouvement-Thérapie

Quelles sont les différences ?

Un cours de danse

Un cours de danse cherche à enseigner un langage que le pratiquant va s’approprier en l’inscrivant dans son corps. C’est comme un cours de langue, de natation. On apprend un langage bien défini qui passe par une technique. On s’entraîne dans cette technique jusqu’à la maîtriser. On cherche à se perfectionner de plus en plus. C’est la recherche d’une performance où l’art abouti est le but.

La Danse Mouvement Thérapie

Dans la danse-mouvement-thérapie on utilise le langage de la danse. Il est un moyen et non une finalité. On l’utilise comme instrument pour que le pratiquant puisse exprimer ses émotions. La technique est au service de l’expression. Elle est un support du langage corporel, car on s’exprime par le corps.
Donc il n’y a pas d’objectif d’un perfectionnement d’un travail technique.
Au contraire, on utilise de préférence un langage simplifié accessible à tout le monde, chacun en fonction de ses possibilités. Un geste minimal peut exprimer beaucoup de choses : un regard, une attention.

Les objectifs sont donc différents

La danse propose l’acquisition et la maîtrise d’une technique, acquérir le domaine sur quelque chose comme une langue. La danse-mouvement-thérapie (DMT) propose l’expression d’un chemin intérieur qui passe par un processus thérapeutique ce qui veut bien dire qu’il s’agit de restaurer des blessures souvent liées à l’estime de soi, le manque de confiance en soi-même, etc. On est dans la dimension du soin mais du soin à travers l’art. L’art est un moyen et la thérapie un but dont l’objectif est la transformation de soi-même : Aller mieux.

Un peu d’histoire

En fait tout a commencé au début du XXe siècle quand des psychiatres ce sont intéressés aux productions artistiques des personnes internées dans les hôpitaux psychiatrique. En 1950 a eu lieu la première exposition à Sainte-Anne avec plus de 2000 œuvres plastiques créés par des malades mentaux. Le fait d’exprimer ses émotions soulageait beaucoup ces patients. C’est à partir de là que l’on a pensé l’art comme moyen thérapeutique ; et puis les autres spécialités se sont ajoutées : musicothérapie, dramathérapie, danse thérapie, danse-mouvement-thérapie.
Un thérapeute est nécessaire pour accompagner le processus créatif et transformateur du patient. Donc là on voit bien qu’il ne suffit pas d’être un professeur de danse ou animateur artistique. Être art-thérapeute exige une formation spécifique qui inclut le domaine de l’art mais aussi le domaine de la psy : notions de psychologie, de psychanalyse, de psychothérapie, de processus psychosomatique. Savoir faire une lecture lecture psychocorporelle, Nous devons pouvoir accueillir pleinement le patient ou le pratiquant, être à son écoute, percevoir ses besoins, ses talents et ses limites et surtout les respecter. C’est un travail centré sur la personne, sur l’autre.
On est plus à côté d’eux que devant eux comme un modèle.
On est ensemble dans l’empathie. On crée des liens. On aide dans le processus de naissance, de création, mais on est là aussi pour poser un cadre, des cadres, des limites. Un peu comme pour un enfant : faciliter le développement et en même temps donner une certaine direction, certains points de repères, structurer sans enfermer. On est vraiment à disposition de l’autre, On l’accompagne on le suit, on l’observe, on se donne. C’est très différent d’un professeur de danse qui n’est pas là pour écouter l’histoire de l’autre mais pour lui-même nous raconter une histoire. Les rôles sont un peu inversés : le professeur se fait suivre et le thérapeute suit, le professeur montre et le thérapeute amène à…, le professeur attend des progrès de performance technique et le thérapeute ne s’occupe pas de l’excellence ou de la perfection du résultat. Il n’attend aucun résultat, Il est là pour aider le patient à faire son propre parcours, à s’exprimer.

A qui s’adresse la Danse Mouvement Thérapie ?

La DMT s’adresse à tous publics. Aussi bien à des personnes porteuses d’un handicap physique ou mental, qu’à des personnes qui cherchent un bien-être, à mieux se connaître, à se libérer de certains blocages émotionnels comme la peur, la timidité, le manque de confiance etc. et qui cherchent à s’épanouir. Bien sûr il ne vaut mieux pas mélanger dans un même groupe des personnes avec des caractéristiques trop différentes.
La DMT est conseillée aux personnes handicapées car on travaille beaucoup sur le corps (axialité = verticalité, centrage = au niveau du bassin, enracinement, coordination motrice etc) toujours en musique pour faciliter l’expression des émotions.
On peut travailler aussi sur les sons et la respiration. La DMT est recommandée pour les femmes après un cancer du sein, pour la reconstruction de leur schéma corporel mutilé et fragmenté mais aussi pour la reconstruction d’une image meilleure d’elle-même.
On la recommande aussi aux adolescents ou adolescentes qui ont des problèmes d’anorexie et de boulimie car ils ont une perception de leur corps déformée.
Et pour bien d’autres cas encore : pour des enfants par exemple en scolarité afin de canaliser mieux leur énergie : s’éclater mais aussi apprendre à se contenir, à se calmer, à s’harmoniser.
On parle de danse-mouvement-thérapie, en effet car il ne s’agit pas seulement de danse, mais de mouvement vécu ou je dirais même un mouvement ressenti qui inclut toute une dimension sensorielle basée sur des sensations et sensibilité captées par et dans le mouvement. On sort du mouvement mécanique pour arriver au mouvement ressenti, qui intègre également les émotions.
La DMT est un voyage sensoriel, plein de couleurs, d’odeur, d’imagination.
La DMT n’est pas un apprentissage solitaire.
On travaille également sur une dynamique de groupe. Il y a toute une première phase qui consiste à la découverte de soi-même, puis en miroir ou en accordage avec l’autre, où on apprend également à suivre l’autre puis à être suivi par l’autre. Ainsi on pourra développer aussi bien un rôle d’acteur qu’un rôle de récepteur.
On apprend aussi à donner puis à recevoir.
Enfin on danse aussi tous ensemble en cercle avec le même rythme, unis par la même fréquence, ce qui pourra aider à développer un processus d’intégration sociale.
La DMT peut également se pratiquer en séance individuelle où « l’histoire » de chacun aura une place privilégiée et en dialogue corporel avec le danse-thérapeute.