François Mognard, sa vie après le Bataclan

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Attentats du 13 novembre 2015
Publié le 09/08/2016
Près de neuf mois après avoir survécu à l’horreur du Bataclan, le jeune valencien François Mognard nous raconte comment il se reconstruit.
Personne ne peut et ne pourra oublier cette nuit d’horreur. Surtout pas François Mognard. Le Valencien assistait au concert des Eagles of Death Metal, au Bataclan, le 13 novembre 2015. Il a été grièvement touché par une balle des terroristes. Depuis ce soir-là, du temps a passé. Après de longs mois d’une souffrance physique et morale, François remonte, se reconstruit, progressivement. La convalescence se poursuit toujours avec des séances de kinésithérapie. Aujourd’hui, il a repris ses occupations. Entre Paris et Valence d’Agen où vivent ses parents, il commence à mener une vie presque normale. Alors qu’il allait chez son ami kiné François Zanin, à Valence d’Agen, il a accepté de se confier.

La première question que l’on a envie de vous poser aujourd’hui, François, est simple : comment allez-vous ?

J’arrive à marcher normalement, je n’ai plus trop de douleurs. Au niveau physique, j’ai bien récupéré. Côté psychologique, ça va mieux également. J’y pense encore souvent, il ne faut pas se mentir, je ne vais pas mettre tout ça derrière moi, mais ça va.

Avez-vous toujours des images qui reviennent ?

Oui, bien sûr, mais on s’y fait, on vit avec. Néanmoins, il ne faut pas se laisser bouffer par ça. C’est sûr que dès qu’on en parle, on revit tout ce que l’on a subi, il y a un réel malaise qui s’installe. J’ai vécu, comme beaucoup, je pense, l’enfer.

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« Les tueurs sont revenus, eux ou d’autres, vivants ou morts… »

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« Les tueurs sont revenus, eux ou d’autres, vivants ou morts… »

Par Philippe Lançon
22 novembre 2015

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Instantanément, j’eus la sensation concrète d’être un fantôme et de marcher comme à côté de moi-même. Une sorte de brouillard gris m’environnait, un smog à l’éternité pesante et froide, quelque chose de sourd, de saturé et de renfermé. La vie, depuis quelque temps et difficilement, revenait à une espèce de normalité encadrée. Je dormais toujours très mal, mais je préparais chaque matin mon café.

Soudain, cette vie était de nouveau un rêve –  comme dans la nuit du 7 janvier

Les tueurs étaient revenus, eux ou d’autres, vivants ou morts, ils étaient là et ils continuaient le boulot, comme je l’avais craint sans trop le dire depuis des mois. J’avais beau être de l’autre côté de l’Atlantique, ils me (et nous) collaient aux basques et à la conscience, tel le sparadrap du capitaine Haddock. Je venais d’être pris de nouveau pour cible à travers celles du 13 novembre. Il n’y avait de sécurité ni pour moi, ni pour personne. La réalité, c’était eux, les tueurs. Je regardais le ciel bleu finissant entre les gratte-ciel, les gens qui parlaient, buvaient, mangeaient dans les cafés. Leur insouciance m’était interdite  ; elle m’isolait. Depuis cet instant, les nouvelles que je lis m’informent sur les tueurs, les blessés et les morts  ; elles m’informent aussi sur ce que je vis.

Je suis ici, à Manhattan, mais je suis là-bas

Dans la salle de rédaction de Charlie, et aussi, parallèlement, au Bataclan et aux terrasses de café. L’horreur ne se mesure pas au nombre de ceux qu’elle emprisonne. Je sens dans Manhattan l’odeur de la poudre, les corps morts autour des survivants et sur eux, je redécouvre avec eux mes blessures, je traverse cette interminable antichambre entre l’extrême violence subie et la prise de conscience hébétée de cette violence. C’est dans cette antichambre qu’il est aisé, je crois, de devenir fou.

Le choc est tel qu’il n’y a plus de réalité – ou alors, il n’y a plus que ça.

Une réalité atrocement pure, aussi peu comestible que le cacao à 100 %. Je n’ai pas besoin d’imaginer ce qu’ont vécu les blessés, ni ce qu’ils vont désormais, à l’hôpital et plus tard, devoir supporter, accepter, pour la plupart surmonter. Ils marcheront moins bien, auront la mâchoire difficile, les bras ou les mains handicapés. Cependant, tout albatros blessé qu’ils soient, ils recommenceront à voler vers des rêves fragiles mais renouvelés. Tout progrès et tout plaisir obtenus seront les résultats d’une grande, quoique petite, aventure. La survie mérite d’être vécue. Comme mes amis touchés et survivants de Charlie, je suis l’un d’eux.

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