« Les tueurs sont revenus, eux ou d’autres, vivants ou morts… »

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« Les tueurs sont revenus, eux ou d’autres, vivants ou morts… »

Par Philippe Lançon
22 novembre 2015

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Instantanément, j’eus la sensation concrète d’être un fantôme et de marcher comme à côté de moi-même. Une sorte de brouillard gris m’environnait, un smog à l’éternité pesante et froide, quelque chose de sourd, de saturé et de renfermé. La vie, depuis quelque temps et difficilement, revenait à une espèce de normalité encadrée. Je dormais toujours très mal, mais je préparais chaque matin mon café.

Soudain, cette vie était de nouveau un rêve –  comme dans la nuit du 7 janvier

Les tueurs étaient revenus, eux ou d’autres, vivants ou morts, ils étaient là et ils continuaient le boulot, comme je l’avais craint sans trop le dire depuis des mois. J’avais beau être de l’autre côté de l’Atlantique, ils me (et nous) collaient aux basques et à la conscience, tel le sparadrap du capitaine Haddock. Je venais d’être pris de nouveau pour cible à travers celles du 13 novembre. Il n’y avait de sécurité ni pour moi, ni pour personne. La réalité, c’était eux, les tueurs. Je regardais le ciel bleu finissant entre les gratte-ciel, les gens qui parlaient, buvaient, mangeaient dans les cafés. Leur insouciance m’était interdite  ; elle m’isolait. Depuis cet instant, les nouvelles que je lis m’informent sur les tueurs, les blessés et les morts  ; elles m’informent aussi sur ce que je vis.

Je suis ici, à Manhattan, mais je suis là-bas

Dans la salle de rédaction de Charlie, et aussi, parallèlement, au Bataclan et aux terrasses de café. L’horreur ne se mesure pas au nombre de ceux qu’elle emprisonne. Je sens dans Manhattan l’odeur de la poudre, les corps morts autour des survivants et sur eux, je redécouvre avec eux mes blessures, je traverse cette interminable antichambre entre l’extrême violence subie et la prise de conscience hébétée de cette violence. C’est dans cette antichambre qu’il est aisé, je crois, de devenir fou.

Le choc est tel qu’il n’y a plus de réalité – ou alors, il n’y a plus que ça.

Une réalité atrocement pure, aussi peu comestible que le cacao à 100 %. Je n’ai pas besoin d’imaginer ce qu’ont vécu les blessés, ni ce qu’ils vont désormais, à l’hôpital et plus tard, devoir supporter, accepter, pour la plupart surmonter. Ils marcheront moins bien, auront la mâchoire difficile, les bras ou les mains handicapés. Cependant, tout albatros blessé qu’ils soient, ils recommenceront à voler vers des rêves fragiles mais renouvelés. Tout progrès et tout plaisir obtenus seront les résultats d’une grande, quoique petite, aventure. La survie mérite d’être vécue. Comme mes amis touchés et survivants de Charlie, je suis l’un d’eux.

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La musique a un “pouvoir de consolation universel”

Logo-les-InrocksGround Zero : face à la terreur, la musique a un “pouvoir de consolation universel”
24 juillet 2016
Comment la musique est-elle affectée par la violence ? A partir de l’exemple de 11 Septembre mais aussi de la tuerie du Bataclan, Jean-Marie Pottier, rédacteur en chef de Slate.fr, analyse les réactions des musiciens face aux attentats et comment ils transforment leurs créations.
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Le 13 novembre, alors que son autre groupe Eagles of Death Metal se produit sur la scène du Bataclan sans lui, Josh Homme reçoit un SMS de Dan Auerbach, lui-même en concert à Paris, lui demandant s’il va bien. La tuerie qui a fait 97 morts vient d’avoir lieu, et le chanteur était encore une fois intimement lié à l’événement sans y être.

Des chansons prophétiques

Quelle influence ces événements dramatiques ont-ils pu avoir sur l’industrie du disque ? De quelle manière ont-ils inspiré les artistes et comment les textes et mélodies ont-elles été reçues par le public ? Telles sont les questions auxquelles Jean-Marie Pottier tente de répondre. Les albums sortis juste après le 11 Septembre, comme Songs For The Deaf des Queens of the Stone Age, ont une résonance particulière :

“La plupart de ces chansons, douze sur quatorze, ont été écrites avant, même si elles prennent certainement une nouvelle signification”, explique Josh Homme.

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Lors du 13 novembre et de l’attaque du Bataclan, c’est bien le Paris festif qui est pris d’assaut, la musique étant le symbole d’une liberté à anéantir. Finalement, cette même musique visée par les terroristes devient de manière irrépressible le salut des survivants, explique l’auteur. On attend des artistes qu’ils livrent leurs mélodies et leurs mots pour extérioriser la peine, et revendiquer encore plus fort la liberté. Mais Jean-Marie Pottier rappelle aussi l’importance du silence post-attentat. Après le 11 Septembre, la musique s’est d’abord tue avant de devenir un refuge : “Impossible d’en écouter, impossible aussi d’en produire”, écrit-il.
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“Thérapie musicale”

Ainsi, deux jours après les attentats de 2001, Lou Reed compose Fire Music qui figure sur l’album The Raven : “Tout ce que j’ai ressenti est dans ce morceau de musique. Ce que je veux vraiment et sincèrement dire, c’est que je ne peux le résumer en mots, c’est ce à quoi sert la musique.”

Un morceau organique écrit en réaction immédiate, comme une pulsion. Au sujet de Bruce Springsteen et de son Into The Fire composé aussi après les attentats, Jean-Marie Pottier parle de “thérapie musicale”:

“Le ciel était en train de s’écrouler et dégoulinait de sang /Je t’ai entendu m’appeler quand tu as disparu dans la poussière /Montant les escaliers dans le feu”.

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