Le risque d’un état de stress post-traumatique par Aline Desmedt
Aline Desmedt, Université de Bordeaux
Neurobiologiste au Neurocentre Magendie de l’université Bordeaux, INSERM U862, Université de Bordeaux
Aline Desmedt a reçu des financements de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche), la FRC (Fédération de Recherche sur le Cerveau), l’INSERM et le CNRS via un Laboratoire européen associé.
The Conversation France est financé par l’Institut Universitaire de France, la Conférence des Présidents d’Université, Paris Sciences & Lettres Research University, Sorbonne Paris Cité, l’Université de Lorraine, l’Université Paris Saclay et d’autres institutions membres qui fournissent également un soutien financier.À la douleur de la disparition brutale et dans des conditions barbares de proches ou de simples concitoyens, au profond sentiment d’effroi, de tristesse, d’impuissance et souvent de colère ressenti par les témoins de l’assassinat de plus de cent personnes, s’ajoute le risque de développer chez les victimes survivantes d’un tel trauma une pathologie connue sous le nom d’état de stress post-traumatique (ESPT).
L’ESPT est un trouble psychiatrique lié au stress pouvant se développer à la suite d’un épisode traumatique vécu comme une menace pour l’intégrité physique et/ou psychologique du sujet. Au cœur de ce trouble se développent des souvenirs liés au trauma, intrusifs, incontrôlables et persistants, ayant un impact délétère sur la vie quotidienne du patient. De 25 à 50 % des victimes d’un événement traumatique majeur (par exemple, combats militaires, génocides, attaques terroristes, viols) peuvent développer cette pathologie.
Bien que les sujets ne soient plus en situation de confrontation directe à l’épisode traumatique, des éléments plus ou moins liés au trauma (une odeur, un bruit rappelant la scène traumatique) les replongent au cœur du drame qu’ils ont vécu et qui a mis leur vie en danger. Les victimes revivent alors tout l’événement de manière quasi hallucinatoire comme s’il se déroulait à nouveau dans le présent : c’est l’expérience du « flash-back ».
Pourtant, si on leur demande de le raconter en détail avec des précisions sur le lieu, le moment, les personnages, elles ne parviennent pas à se rappeler consciemment, c’est-à-dire explicitement, l’ensemble du contexte dans lequel le drame s’est déroulé. Le souvenir émotionnel, implicite, automatique et récurrent de l’événement est très intense alors que le souvenir épisodique, conscient et verbalisable, du même événement peut être très ténu. Voilà tout le paradoxe de la mémoire traumatique.
Altération de la mémoire
Des études cliniques indiquent que cette altération qualitative de la mémoire est en fait l’un des symptômes clés de l’état de stress post-traumatique. Certains éléments particulièrement saillants ont capté toute l’attention consciente du sujet au moment du drame, ce qui a créé une hypermnésie pour ces éléments, tandis qu’une amnésie déclarative peut être observée pour l’environnement dans lequel il s’est déroulé. Or, on estime aujourd’hui que c’est cette amnésie qui, paradoxalement, contribuerait largement à l’expression des flash-back dans des situations neutres.
En effet, plusieurs études cliniques ont conduit à formuler l’hypothèse suivante : le refoulement du souvenir conscient de l’événement insupportable empêcherait tout travail sur cet événement, c’est-à-dire toute la verbalisation nécessaire pour replacer le trauma dans son contexte. Cela bloquerait l’intégration du souvenir traumatique dans le système de mémoire consciente, normale, du sujet. Un cercle vicieux s’instaurerait alors. Le rappel conscient étant initialement vécu comme insupportable, il serait, par souci de protection à court terme, assez automatiquement et systématiquement évité. De ce fait, le souvenir « pathologique » du trauma n’aurait aucune chance d’être transformé en souvenir, certes pénible, mais néanmoins épisodique et donc « normal ». Ce souvenir pathologique perdurerait donc sous forme de rappels intrusifs : les flash-back.
Sur la base de ces données psychologiques, il ressort que l’un des moyens de prévention de ce trouble psychiatrique est une prise en charge immédiate des victimes d’événements traumatiques. Un « débriefing », même s’il s’avère nécessairement très pénible, en particulier au sortir de l’événement traumatique, paraît nécessaire à une « contextualisation » du trauma, et donc à une élaboration verbale permettant un certain recul par rapport à l’événement. Limiter le risque de développement d’une telle pathologie semble à ce prix.
À ce jour les causes de l’état de stress post-traumatique sont largement méconnues. Le développement de cette pathologie liée au stress semble à la fois dépendre de l’intensité objective du trauma vécu, de l’analyse subjective de la situation vécue et en particulier du sentiment subjectif de « contrôle » ou d’absence de contrôle de la situation, et de la vulnérabilité du sujet (en particulier dépendante de sa confrontation à des situations de stress antérieures), laquelle reposerait sur certaines prédispositions biologiques en cours d’identification.
Neurobiologie du stress post-traumatique
À ce propos, que connaît-on des bases neurobiologiques de l’ESPT ? En fait, en dépit d’un tableau clinique précis, elles sont très peu décrites. Des études d’imagerie cérébrale ont montré une altération de l’activité cérébrale dans deux zones du lobe temporal médian impliquées dans la maladie : l’amygdale qui joue un rôle central dans la mémoire émotionnelle et l’hippocampe qui est nécessaire à la mémoire déclarative, épisodique. Les patients présentent à la fois une activité accrue de l’amygdale et un dysfonctionnement de l’hippocampe par rapport à des personnes ayant vécu un épisode traumatique mais n’ayant pas développé de trouble.
L’idée qui fait consensus est la suivante : la suractivité de l’amygdale sous-tendrait l’hypermnésie vis-à-vis de certains éléments saillants du trauma ainsi que les flash-back, tandis que le dysfonctionnement (souvent une hypoactivité) de l’hippocampe serait responsable de l’amnésie vis-à-vis du contexte traumatique. Cette altération cérébrale expliquerait ainsi en partie le fait que les patients puissent « revivre » le trauma dans tous ses aspects sensoriels et émotionnels tout en étant incapables de « raconter » l’épisode traumatique dans tous ses détails, en particulier contextuels. Toutefois les altérations cellulaires et moléculaires pouvant sous-tendre ce dysfonctionnement cérébral restent à identifier.
Un modèle animal récemment développé par notre équipe permet précisément d’étudier ce qui se passe dans le cerveau de souris ayant développé une mémoire traumatique, c’est-à-dire une altération qualitative de la mémoire d’un épisode de stress (hypermnésie vis-à-vis de certains éléments saillants associée à une amnésie pour le contexte de l’événement). Ce que nous recherchons : les premiers marqueurs biologiques de cette pathologie psychiatrique.
Dans un premier temps, nous avons vérifié que nous retrouvions bien, comme chez l’homme, une sous-activation de l’hippocampe et une suractivation de l’amygdale. Désormais, nous pouvons donc utiliser notre modèle pour explorer plus avant les mécanismes cérébraux de cette pathologie et en particulier les mécanismes cellulaires et moléculaires sous-jacents.
Au niveau cellulaire, certains de nos résultats très récents obtenus en collaboration avec les docteurs Koehl et Abrous du neurocentre Magendieindiquent déjà que, comparée à une mémoire émotionnelle normale, une mémoire traumatique est associée à une atrophie neuronale dans l’hippocampe, et ce 24 heures après l’épisode de stress, chez la souris. Nous cherchons aussi à vérifier si la mémoire traumatique est bien associée, comme nous le postulons, à un déficit de neurogénèse et de plasticité synaptique dans l’hippocampe.
Enfin, au niveau moléculaire, on sait que des mécanismes dits « épigénétiques » favorisent ou, au contraire, répriment l’expression de gènes en fonction des expériences vécues par les sujets. Par exemple, au cours d’un apprentissage, certaines modifications de molécules favorisent l’expression de gènes impliqués dans la plasticité neuronale en promouvant la lecture de notre ADN et donc la production de certaines protéines. Ce mécanisme permet la consolidation de nos souvenirs, et donc la formation d’une mémoire à long terme.
Mais que se passe-t-il dans le cas de l’état de stress post-traumatique ? Des données préliminaires obtenues par notre équipe en collaboration avec le Dr Mons de l’Institut de neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine indiquent que, comparée à une mémoire émotionnelle normale, la mémoire traumatique est associée à des modifications épigénétiques qui répriment des phénomènes de plasticité dans l’hippocampe.
Thérapeutique
Ce résultat pourrait avoir des implications thérapeutiques fondamentales pour le stress post-traumatique. En effet, en injectant des molécules capables de modifier ces mécanismes, on pourrait stimuler la plasticité neuronale dans l’hippocampe, et donc restaurer une mémoire émotionnelle normale chez les patients, ou prévenir le développement d’une mémoire traumatique juste après un stress extrême. Nous évaluons actuellement cette hypothèse dans l’objectif, à plus long terme, de mettre au point une méthode pharmacologique qui, associée à l’approche cognitivo comportementale actuellement utilisée, pourrait plus efficacement traiter cette pathologie.
Aline Desmedt, Neurobiologiste au Neurocentre Magendie de l’université Bordeaux, INSERM U862, Université de Bordeaux
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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