Une jeune rescapée témoigne après l’attentat du Bataclan
Plus de deux mois après les attentats de Paris, 41 blessés sont encore hospitalisés. Parallèlement, plus de 1 000 personnes ont été prises en charge par la cellule d’aide aux victimes, selon le dernier bilan délivré ce jeudi par la ministre de la Justice. Parmi ces rescapés figure Bérénice, 15 ans, qui était l’une des plus jeunes spectatrices du Bataclan. Elle a accepté de raconter l’horreur qu’elle a vécu le soir du 13-Novembre alors qu’elle assistait au concert du groupe de rock américain Eagles of Death Metal. L’adolescente, qui doit suivre depuis ce drame une thérapie, tente aujourd’hui de reconstruire sa vie.
Un document « Grand Angle BFMTV » du jeudi 21 janvier 2016.
Je me présente, je m’appelle Bérénice, j’ai 15 ans, et comme toutes les personnes présentes au Bataclan vendredi, j’étais venue passer un bon moment avec mes amis, faire la groupie, danser des pogos, au concert d’Eagles of Death Metal.
« Je suis au Bataclan, ne t’inquiète pas »
Quand la première partie se termine, je me retrouve à tenir la chandelle pour les deux couples d’amis qui m’accompagnent. J’envoie des SMS à plusieurs amis : « J’ai hâte que le concert commence » ; « Je suis au Bataclan, j’attends que les Eagles arrivent, parce que j’en ai marre qu’ils se roulent des pelles », etc.
Quand le concert commence, je me sépare d’eux et je me retrouve au premier rang à droite de la scène, pile en face du bassiste à qui je tends mes mains fermées en « poing du diable ». Il me regarde, me sourit. Je suis en extase.
À la fin du morceau, je reçois un SMS de mon frère :
« Il y a eu des tireurs dans le restaurant cambodgien en bas de la maison, rentre en métro, t’es où ? »
Je lui réponds :
« Je suis au Bataclan, c’est fini dans 2h, t’inquiète pas. »
Je me retrouve couchée à terre
Deux minutes après, au milieu du morceau suivant, une salve de coups de feu se fait entendre.
Au début, personne ne comprend. On croit à une blague, à des pétards.
Il y a un mouvement de foule. Les gens tentent d’escalader les barrières, de s’enfuir par la scène. Les vigiles aident quelques personnes puis s’enfuient. Je suis bousculée, je suis trop petite pour aller moi aussi sur la scène. Nouveaux coups de feu, je me retrouve couchée à terre avec beaucoup d’autres. Les balles passent au-dessus de ma tête, j’essaie de la cacher, je demande :
« S’il vous plaît, je n’ai que 15 ans, laissez-moi cacher ma tête. »
Une personne me laisse la mettre sous son bras.
« Le prochain qui se lève, je le bute »
Ensuite, tout le monde se relève et essaie de se précipiter vers une porte à droite de la scène. Les terroristes leur tirent dans le dos. Je suis emportée dans le flot, puis couchée dans le sang par terre, sous plusieurs autres personnes. J’ai eu le temps d’apercevoir une mèche blonde appartenant au cadavre d’une fille. Je pense à l’une de mes amies qui a les cheveux teints en blond et rose : « Pitié, que ce ne soit pas Nina », me dis-je.
Près de mon nez, il y a la cheville d’un homme, dont l’angle crée un espace entre les gens et le sol, me permettant de respirer. Mon bras est sous mon ventre, il me fait mal, je ne le sens plus. « Le prochain qui se lève, je le bute », dit un terroriste.
J’entends un couple qui se chuchote des « Je t’aime « , « Moi aussi, je t’aime ». Je tente de leur parler, ils m’entendent et quand l’un de nous trois panique, on essaie de créer une conversation, la plus futile qui soit, mais ça aide. On entend des portables sonner fort dans la poche des morts, des gens agoniser, d’autres tomber des balcons. Un mec se prend une balle à un mètre de moi. J’essaie de ne penser à rien, je m’empêche de me demander comment vont mes amis. Je me concentre sur ma respiration. À un moment, j’entends un terroriste accuser François Hollande, et parler vaguement de la Syrie, je ne comprends pas bien.
Ils donnent aussi un numéro à la police à travers la porte, en leur disant de l’appeler pour parlementer.
3/4 d’heure sans bouger
Quand j’entends une série d’explosions, je pense à l’assaut final. J’apprendrai après que l’un des trois a en fait activé sa ceinture explosive. On reste comme ça un moment, je dirais 3/4 d’heure, à ne pas bouger. On réalise que certaines personnes crient et ne se font pas tirer dessus, on n’entend plus de coups de feu. Une femme crie à la police d’entrer, ils nous demandent si on peut voir les terroristes, elle lui répond que non, qu’on a des blessés et qu’ils doivent nous aider.
« Levez-vous et sortez les mains en l’air » : je ne sais pas si la voix qui prononce ces mots est amie ou ennemie. J’entends des personnes se lever sans se faire tirer dessus. Puis tout le monde se lève au ralenti dans mon tas. Je croise brièvement le regard des personnes à qui j’ai parlé.
Mes amis sont couverts de sang, mais vivants
Je me retourne et je vois deux de mes amis, couverts de sang mais vivants. Lui doit l’aider, elle, à se relever. Je crois qu’elle s’est fait tirer dessus. Quand elle me voit, elle se lève et crie « BÉRÉNICE ! » Je réalise que tout ce sang ne leur appartient pas : un homme est mort sur eux. On se dirige vers la sortie, je remercie les membres du Raid, en suffoquant. Ils ont l’air choqué, ils me répondent « C’est normal » et m’indiquent la sortie. Une femme me prend la main, me supplie d’aider son copain mort dans ses bras. Je lui dis que les secours arrivent bientôt, d’appuyer sur l’hémorragie pour la stopper. On s’en va.
Sur le chemin de la sortie, on voit tous les vigiles à leur place, mais allongés dans une mare de sang. Je sors et j’appelle mes parents et mes amis. Je leur dis que je suis vivante mais que deux personnes manquent à l’appel. On est évacués dans des bars, puis dans une cour d’immeuble où les habitants nous donnent des couvertures et du thé. Un ami nous rappelle pour nous dire qu’il a eu les deux autres au téléphone, qu’ils vont bien. À 4h du matin, on retrouve nos parents. Nous sommes des survivants.
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