Pour vivre notre deuil, nous avons besoin de silence, de pudeur, de dignité, de respect…


Diffusion d’un téléfilm sur les attentats du 13 novembre retardé par France 2 suite à une pétition.
par Lucille Bion

« Pour vivre notre deuil, nous avons besoin de silence, de pudeur, de dignité, de respect… Et non d’une fiction romanesque destinée à réveiller l’audimat de votre chaîne de télévision. »

Il y a un mois, France 2 démarrait le tournage de Ce soir-là,un téléfilm romantique qui a en fait l’intention de retracer l’attaque terroriste du 13 novembre 2015. Jour où, on le sait, 130 personnes ont perdu la vie.
Immédiatement, ce projet a hérissé les poils de nombreux Français qui ont lancé une pétition en ligne contre la production de cette fiction, réalisée par Marion Laine (Un cœur simple, À cœur ouvert) et avec, dans les premiers rôles, Sandrine Bonnaire (La Cérémonie) et Simon Abkarian (Kaboul Kitchen).
Les auteurs de la pétition expliquent que ce projet intervient d’abord trop tôt dans le processus de deuil, et dénonce également les intentions malsaines de France 2 privilégiant toujours, selon eux, le sensationnalisme à l’art :

« Ce projet nous blesse, nous heurte, nous choque… Nous sommes scandalisés qu’un tel projet audiovisuel puisse voir le jour si peu de temps après cet événement aussi violent. Quel intérêt pour nous, familles endeuillées, victimes et proches de victimes, de revivre ainsi cet événement dans le cadre d’un téléfilm ?
Pensez-vous réellement que ce projet est de nature à rendre hommage à nos morts, à nos chers disparus ? Souhaitez-vous que l’on vous raconte la nuit d’horreur que nous avons vécue entre le 13 et le 14, bien loin de l’histoire d’amour que vous imaginez ?
Pour vivre notre deuil, nous avons besoin de silence, de pudeur, de dignité, de respect… Et non d’une fiction romanesque destinée à réveiller l’audimat de votre chaîne de télévision. Ne pouvez-vous donc pas trouver d’autres sujets de fiction pour attirer vos téléspectateurs, sans raviver nos douleurs et notre deuil ?
L’art peut certes avoir une fonction réparatrice et consolatrice, mais de mais, de grâce, n’osez pas, ici, nous parler de projet artistique. »

Ces quelques lignes sont directement adressées à France 2 et à Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, qui ont répondu dans un communiqué de presse :

« Le film étant en cours de montage, il n’a pas encore été visionné par la direction de la chaîne. France 2 a pris la décision d’ajourner ce projet tant que la production du téléfilm n’aura pas consulté largement l’ensemble des associations des victimes. »

Les associations, toujours présentes

La plus connue des associations de victimes, Life for Paris, comprend aujourd’hui des personnes de plus de 25 nationalités différentes et est toujours aussi active et soucieuse d’aider les victimes du traumatisme des attentats. L’association s’est d’ailleurs exprimée sur la conception de Ce soir-là.

« Ce qui a choqué les membres de Life For Paris, c’est d’abord le fait que ce soit une fiction, qui plus est sous l’impulsion du service public. Beaucoup d’entre nous ont le sentiment que cela intervient trop tôt. Les attentats de Paris appartiennent dorénavant à l’histoire avec un grand H.
À partir de là, cela peut faire l’objet de récupération, que ce soit politique, médiatique ou artistique. Évidemment, votre propre histoire vous échappe et je pense que c’est ça qui est très difficile pour les victimes et leurs proches. »

Si France 2 a expliqué qu’aucune date de diffusion n’avait été établie, Alexis Lebrun, porte-parole, aurait tout de même cru entendre que la chaîne « compte diffuser ce téléfilm l’année prochaine, à l’occasion des trois ans des attentats du 13-Novembre ». Selon lui, « un plateau avec des invités pour débattre est prévu à la suite de la diffusion du film ».


Le tournage, qui a démarré lundi 27 novembre, s’achèvera le 22 décembre. Si ce projet se concrétise deux ans après les évènements et qu’aucune date de diffusion n’est annoncée pour le moment, il semble qu’elle interviendra toujours trop tôt.

Pour lire l’article, cliquez sur la photo

Retravailler après un attentat, un long chemin pour les victimes

Retravailler après un attentat, un long chemin pour les victimes
Par Tiphaine Thuillier,
publié le 16/12/2017
Comment retrouver un emploi ou reprendre son poste quand on a subi un tel traumatisme ? La prise en charge des personnes frappées par le terrorisme évolue, doucement.
Le 13 novembre 2015, Adeline venait tout juste d’achever un CDD de quatre mois dans une maison de disques. Elle allait chercher un autre contrat, mais sa présence au Bataclan a tout bouleversé. La question de l’emploi est devenue secondaire pour celle qui a vécu un événement aussi traumatisant. « J’ai un énorme trou de plus de deux ans sur mon CV, raconte la jeune femme. Aujourd’hui, après avoir eu un enfant entre temps, il faut que je retourne dans le monde du travail. Mais c’est très compliqué. » Doit-elle jouer la carte de la franchise avec ses futurs employeurs ? Tout raconter aux risques de passer à leurs yeux pour une « victime » et pas comme une professionnelle à part entière ? Pour le moment, elle ne sait pas quelle stratégie adopter.

« Que personne ne sache ce qui m’était arrivé »

Alexandre, lui aussi, était au Bataclan ce soir de novembre. Dès le lundi matin, il reprenait le chemin de son bureau, sans faire la moindre pause. « J’ai remis la tête dans le guidon, comme si de rien n’était », se souvient le jeune trader. Quelques mois plus tard, le besoin de lever le pied s’est imposé.

« J’ai bien senti que ce serait mal accepté dans mon secteur professionnel et que, passée la compassion des premiers moments, l’entreprise et les collègues avaient retrouvé leur rythme, qui n’était plus le mien. »

Il décide de changer d’emploi et, à la faveur d’un plan de départ volontaire, enchaîne sur le même poste, mais ailleurs. « Je voulais être anonyme, que personne ne sache ce qui m’était arrivé », raconte-t-il, persuadé à l’époque que ce changement lui permettrait d’aller mieux. « C’est finalement plus compliqué que ça, dit-il. D’une certaine façon, on est un peu comme des travailleurs avec un handicap léger, on a parfois des moments de flottement, il faut nous laisser un peu respirer. »
Thierry Baubet, psychiatre au sein de l’AP-HP suit plusieurs victimes des attentats du 13 novembre. « Près de la moitié des personnes rescapés du Bataclan souffrent de stress post-traumatique, explique-t-il. De tels troubles ont des effets directs sur la vie professionnelle. Plusieurs vivent ce qu’on appelle des épisodes de reviviscences, avec des images ou des sons qui s’imposent à eux et les replongent dans l’événement en provoquant chez eux la même détresse que lors de l’événement initial. »

« Aucun virage professionnel ne peut remplacer une thérapie »

Le désir de changement intervient souvent en cas de traumatisme. « Après un tel événement, la personne a besoin de réévaluer ce qui est important, détaille Thierry Baubet. Elle se dit que les choses doivent changer et ne peuvent pas rester comme avant. En général, les victimes se tournent vers des métiers créatifs ou axés sur la relation à l’autre. Mais aucun virage professionnel ne peut remplacer une thérapie », prévient le spécialiste.
« J’ai des amis qui étaient au Bataclan eux aussi et qui ont repris leur job immédiatement, avant de se rendre compte qu’ils ne voulaient plus de cette vie-là. Aujourd’hui, certains veulent faire du yoga ou quelque chose qui n’a rien à voir avec leur carrière initiale », commente Adeline.
Au début, Alexandre, ne s’est pas donné le temps de la réflexion, il a repris le même poste. Mais aujourd’hui, il y pense de plus en plus, sans qu’un projet très concret ne s’impose à lui. « La question est présente dans mon esprit, car je me dis vraiment que la vie est trop fragile pour repousser ses désirs profonds. J’ai pourtant encore du mal à savoir si je suis dans un ras-le-bol professionnel assez classique chez les trentenaires ou si c’est plutôt une recherche de soi précipitée par les événements tragiques. »
Pour Adeline, une chose est sûre, il y a un avant et un après 13 novembre. « J’aimerais retrouver un emploi où je me sentirai protégée, dans un environnement plus doux. Ce qui n’est pas forcément le propre du monde de l’entreprise. L’échéance se rapproche, car je n’ai aucun revenu depuis janvier 2017, mais je ne veux pas céder dans n’importe quelles conditions. Aujourd’hui, je n’en ai plus rien à foutre des réunions marketing à la con. Je n’ai clairement plus la gagne », raconte Adeline. Une distance par rapport à la vie d’avant qui se retrouve dans de nombreux témoignages. « Le stress post-traumatisme modifie les performances cognitives ou le caractère, analyse Thierry Baubet. Il y a souvent un phénomène de détachement, vis-à-vis des autres, des missions ou des objectifs fixés au travail, par exemple, qui paraissent alors dérisoires. »

Pour lire l’article, cliquez sur le logo de l’express entreprise