Retravailler après un attentat, un long chemin pour les victimes

Retravailler après un attentat, un long chemin pour les victimes
Par Tiphaine Thuillier,
publié le 16/12/2017
Comment retrouver un emploi ou reprendre son poste quand on a subi un tel traumatisme ? La prise en charge des personnes frappées par le terrorisme évolue, doucement.
Le 13 novembre 2015, Adeline venait tout juste d’achever un CDD de quatre mois dans une maison de disques. Elle allait chercher un autre contrat, mais sa présence au Bataclan a tout bouleversé. La question de l’emploi est devenue secondaire pour celle qui a vécu un événement aussi traumatisant. « J’ai un énorme trou de plus de deux ans sur mon CV, raconte la jeune femme. Aujourd’hui, après avoir eu un enfant entre temps, il faut que je retourne dans le monde du travail. Mais c’est très compliqué. » Doit-elle jouer la carte de la franchise avec ses futurs employeurs ? Tout raconter aux risques de passer à leurs yeux pour une « victime » et pas comme une professionnelle à part entière ? Pour le moment, elle ne sait pas quelle stratégie adopter.

« Que personne ne sache ce qui m’était arrivé »

Alexandre, lui aussi, était au Bataclan ce soir de novembre. Dès le lundi matin, il reprenait le chemin de son bureau, sans faire la moindre pause. « J’ai remis la tête dans le guidon, comme si de rien n’était », se souvient le jeune trader. Quelques mois plus tard, le besoin de lever le pied s’est imposé.

« J’ai bien senti que ce serait mal accepté dans mon secteur professionnel et que, passée la compassion des premiers moments, l’entreprise et les collègues avaient retrouvé leur rythme, qui n’était plus le mien. »

Il décide de changer d’emploi et, à la faveur d’un plan de départ volontaire, enchaîne sur le même poste, mais ailleurs. « Je voulais être anonyme, que personne ne sache ce qui m’était arrivé », raconte-t-il, persuadé à l’époque que ce changement lui permettrait d’aller mieux. « C’est finalement plus compliqué que ça, dit-il. D’une certaine façon, on est un peu comme des travailleurs avec un handicap léger, on a parfois des moments de flottement, il faut nous laisser un peu respirer. »
Thierry Baubet, psychiatre au sein de l’AP-HP suit plusieurs victimes des attentats du 13 novembre. « Près de la moitié des personnes rescapés du Bataclan souffrent de stress post-traumatique, explique-t-il. De tels troubles ont des effets directs sur la vie professionnelle. Plusieurs vivent ce qu’on appelle des épisodes de reviviscences, avec des images ou des sons qui s’imposent à eux et les replongent dans l’événement en provoquant chez eux la même détresse que lors de l’événement initial. »

« Aucun virage professionnel ne peut remplacer une thérapie »

Le désir de changement intervient souvent en cas de traumatisme. « Après un tel événement, la personne a besoin de réévaluer ce qui est important, détaille Thierry Baubet. Elle se dit que les choses doivent changer et ne peuvent pas rester comme avant. En général, les victimes se tournent vers des métiers créatifs ou axés sur la relation à l’autre. Mais aucun virage professionnel ne peut remplacer une thérapie », prévient le spécialiste.
« J’ai des amis qui étaient au Bataclan eux aussi et qui ont repris leur job immédiatement, avant de se rendre compte qu’ils ne voulaient plus de cette vie-là. Aujourd’hui, certains veulent faire du yoga ou quelque chose qui n’a rien à voir avec leur carrière initiale », commente Adeline.
Au début, Alexandre, ne s’est pas donné le temps de la réflexion, il a repris le même poste. Mais aujourd’hui, il y pense de plus en plus, sans qu’un projet très concret ne s’impose à lui. « La question est présente dans mon esprit, car je me dis vraiment que la vie est trop fragile pour repousser ses désirs profonds. J’ai pourtant encore du mal à savoir si je suis dans un ras-le-bol professionnel assez classique chez les trentenaires ou si c’est plutôt une recherche de soi précipitée par les événements tragiques. »
Pour Adeline, une chose est sûre, il y a un avant et un après 13 novembre. « J’aimerais retrouver un emploi où je me sentirai protégée, dans un environnement plus doux. Ce qui n’est pas forcément le propre du monde de l’entreprise. L’échéance se rapproche, car je n’ai aucun revenu depuis janvier 2017, mais je ne veux pas céder dans n’importe quelles conditions. Aujourd’hui, je n’en ai plus rien à foutre des réunions marketing à la con. Je n’ai clairement plus la gagne », raconte Adeline. Une distance par rapport à la vie d’avant qui se retrouve dans de nombreux témoignages. « Le stress post-traumatisme modifie les performances cognitives ou le caractère, analyse Thierry Baubet. Il y a souvent un phénomène de détachement, vis-à-vis des autres, des missions ou des objectifs fixés au travail, par exemple, qui paraissent alors dérisoires. »

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La molécule qui efface les pensées indésirables

La molécule qui efface les pensées indésirables
21/11/2017
Par Bénédicte Salthun-Lassalle
rédactrice en chef adjointe à Cerveau & Psycho.
Pour la première fois, on a identifié la molécule qui bloque, dans le centre cérébral de la mémoire (l’hippocampe), le rappel des souvenirs, pensées ou images intrusives.
Il est tard, vous êtes couché, mais ne trouvez pas le sommeil, car vous ruminez sans cesse l’altercation que vous avez eue dans la journée avec votre collègue… Ce souvenir intrusif tourne en boucle dans votre cerveau. Essayez de l’oublier et il semble encore plus intense : difficile de contrôler vos pensées conscientes. Peut-on supprimer ces idées noires ? L’équipe de Michael Anderson, de l’université de Cambridge en Angleterre, a montré que l’on était capable d’inhiber ce genre de pensées, et surtout, ils ont identifié la molécule et le mécanisme mis en jeu.

Les souvenirs intrusifs, les hallucinations, les soucis et autres ruminations diminuent notre bien-être et sont caractéristiques de divers troubles mentaux : la schizophrénie, la dépression, l’anxiété ou encore le syndrome de stress post-traumatique. Pour bloquer ces processus mentaux indésirables, le cortex préfrontal latéral, à l’avant du cerveau, joue un rôle majeur : il contrôle et inhibe l’activité de nos souvenirs quand c’est nécessaire, tout comme il est capable de bloquer nos actes ou réflexes moteurs. Mais on sait que dans les pathologies évoquées ci-dessus, les patients ayant des pensées obsessionnelles présentent souvent une hyperactivité de l’hippocampe, le centre cérébral de la mémoire. Or ce dernier est rarement examiné quand il s’agit de comprendre le contrôle inhibiteur qu’exerce le cortex préfrontal sur les autres régions cérébrales. C’est donc ce qu’ont fait Anderson et ses collègues, en supposant qu’un manque d’inhibition de l’hippocampe provoquerait un excès de pensées indésirables.

Quelle est la molécule cérébrale inhibitrice par excellence, qui diminue l’activité des autres neurones ? Le GABA, un neurotransmetteur libéré par des interneurones, présents dans presque toutes les régions cérébrales. Quel est le lien entre le cortex préfrontal, l’hippocampe et la concentration de GABA ? Pour le déterminer, les chercheurs ont demandé à 24 Anglais âgés de 19 à 36 ans, en bonne santé mentale et physique, de réaliser une tâche de type Think – No Think : ils apprenaient d’abord des paires de mots n’ayant aucun lien (épreuve / gardon, mousse / nord, etc.), puis, quand on leur présentait un des deux mots, ils devaient se rappeler le mot associé si le voyant situé devant eux était vert, ou s’empêcher de répondre si le voyant était rouge. Leur activité cérébrale était mesurée en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle pendant cet exercice, ainsi que leur taux de GABA en spectroscopie par résonance magnétique.

Résultat : les participants arrivaient à inhiber le souvenir du mot associé quand on le leur demandait. Et cette inhibition était d’autant plus efficace que les concentrations de GABA dans l’hippocampe étaient élevées, celui-ci étant alors moins actif. En parallèle, l’activité du cortex préfrontal était plus importante lors du contrôle des pensées, mais la concentration de GABA dans cette région n’avaient rien à voir avec le fait de réussir la tâche. En outre, les chercheurs demandaient aussi aux sujets de contrôler une action : dans ce cas, l’activité de l’hippocampe et le taux de GABA dans cette zone n’étaient pas liés au contrôle inhibiteur moteur, alors que le cortex préfrontal était bien mis en jeu. Preuve que cette voie aujourd’hui mise en évidence entre le cortex préfrontal et l’hippocampe est bien spécifique du contrôle des pensées conscientes.

Ainsi, il existe un contrôle inhibiteur entre le cortex préfrontal et l’hippocampe : le premier stimule le réseau d’interneurones inhibiteurs GABAergiques du second, ce qui diminue le rappel de pensées conscientes. Moins de GABA dans l’hippocampe, c’est moins d’inhibition, et donc davantage de mauvais souvenirs, de ruminations, d’idées intrusives. Peut-être sera-t-il un jour possible d’augmenter les taux de GABA dans l’hippocampe pour contrôler les souvenirs indésirables, notamment chez les patients souffrant de maladies mentales ? Les anxiolytiques, comme les benzodiazépines, le font déjà en quelque sorte, en améliorant l’efficacité du GABA, et donc en diminuant l’hyperexcitabilité cérébrale, mais pas de façon ciblée dans l’hippocampe.

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