12 nov William Molinié, Youen Tanguy
DOCUMENT LCI – Jules est gardien de la paix, officier de police judiciaire en Ile-de-France. Sur LCI ce dimanche, il témoigne sous couvert d’anonymat pour briser la loi du silence qui règne autour du suicide dans la police, alors qu’un de ses collègues a mis fin à ses jours, samedi matin dans le Bois de Vincennes. C’est le 41e depuis le début de l’année.
C’est tabou parce qu’on arrive pas à savoir très clairement quelle est la source en fait du passage à l’acte, quelle est la goutte d’eau qui a fait débordé le vase.
C’est très tabou, c’est une omerta qui règne parce que il ne faut surtout pas parler des sujets qui fâchent.
depuis le début de l’année, 41 policiers se sont suicidés. Le dernier a été retrouvé dans le bois de Vincennes, pendu, hier matin. Jules connaissait l’un d’entre eux.
La plupart n’ont pas osé confier leur détresse par peur d’être mis de côté.
Au-delà de la réponse d’enlever l’arme pour justement éviter que le suicide soit commis par l’arme du fonctionnaire, il y a très peu de réponse, en tout cas même si il y a des oreilles, il y a très peu de retours positifs.
Depuis 25 ans, 1135 policiers ont mis fin à leurs jours, la moitié avec leur arme de service. 2017 s’annonce comme une année noire.
Jules* est officier de police judiciaire en Ile-de-France, sa hiérarchie lui interdit de parler à la presse. Pourtant, malgré les sanctions auxquelles il s’expose, il a décidé de briser l’omerta du burn-out et du suicide dans la police. Pour mettre des mots. Et faire prendre conscience. Son histoire, son « coming-burn-out », il l’a écrite en début de semaine sur le blog d’un policier bien connu sur les réseaux sociaux, Chris PJ.
« 22, V’la le burn-out ! » Il surprend quand on ne l’attend pas. Parfois, il est insidieux et ne montre pas son visage. S’il témoigne aujourd’hui, c’est surtout pour briser ce tabou. « Chaque policière, chaque policier, chaque échelon hiérarchique doit se sentir libre d’évoquer le sujet, d’être formé et, si besoin, d’appeler à l’aide ou d’aider, avant de se/le laisser brûler par l’extérieur. Ceux qui l’ont pris en charge et affronté en ressortent grandis », écrit-il.
J’ai eu la chance d’avoir un bon entourage bienveillant, y compris d’ailleurs de collègues proches qui m’ont aidé à affronter cet état puisque le plus dur en fait c’est de le reconnaître tout simplement. A partir du moment où je l’ai exprimé, ça a été très souvent mal vu de la part de mes collègues qui comprenaient pas que je puisse être en difficulté tout simplement parce que dans la police, il faut pas montrer qu’on est faible. Il faut surtout montrer qu’on est fort, qu’on est capable d’être actifs puisque la principale conséquence, dans ces cas là, c’est qu’on se retrouve désarmé. Pour un policier, c’est quand même un choc psychologique encore plus important puisque on nous prive « du symbole » de notre métier. Ce qui m’a beaucoup aidé c’est l’entourage familial bienveillant et à l’écoute qui m’a invité à en arriver à des extrémités comme ça
Procédures à rallonge, explosion du nombre de dossiers à traiter, sentiment d’impuissance… Jules a réussi à sortir de cette spirale infernale grâce à ses proches, sa famille, qui l’ont aidé à libérer sa parole. A son commissariat, impossible de montrer des signes de faiblesse.
Il connaissait un des 41 policiers qui se sont suicidés depuis le début de l’année. C’est quatre de plus, déjà, que l’année dernière. Un sujet passé sous silence dans les commissariats, selon lui. « C’est tabou car on n’arrive pas à savoir très clairement quelle est la source du passage à l’acte, qu’elle est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. C’est une omerta qui règne car il ne fait surtout pas parler des sujets qui fâchent », explique-t-il à notre caméra.
On m’a écouté d’une oreille attentive, je ne peux pas dire le contraire, mais sans vraiment apporter de réponse et sans la capacité en tous cas de trouver des solutions au problème.
A ce moment-là, vous attendiez quoi comme réponse ?
Tout simplement une reconnaissance, une reconnaissance que oui, les conditions de travail et les exigences qui nous étaient imposées, les cadences de travail pouvaient être quand même assez problématiques, et il pouvait y avoir de conséquences néfastes sur la santé physique et mentale des fonctionnaires de police.
C’est à dire que vous n’attendiez même pas des solutions, vous n’attendiez qu’une reconnaissance de vos difficultés.
Tout simplement une reconnaissance des difficultés ça aurait été pour moi un grand pas pour me sentir épaulé. Ça malheureusement je ne l’ai pas senti et heureusement que j’ai pu trouver d’autres solutions de manière individuelle pour pouvoir affronter tout ça et m’en sortir
Pourtant, même si la plupart des policiers qui ont mis fin à leurs jours n’ont pas osé se confier, la police nationale a mis en place, sous l’impulsion de Bernard Cazeneuve en 2015, un plan anti-suicide. Le SSPO, service de soutien psychologique opérationnel, met à disposition des psychologues pour les policiers à tendance suicidaires et/ou qui souffrent de burn-out. L’entretien est anonyme et soumis au secret médical. Une ligne téléphonique d’écoute est aussi disponible 24h/24.
Bien au-delà des dispositifs, Jules souhaiterait surtout que la parole se libère dans la police. Et que la bienveillance soit au coeur des relations entre les policiers eux-mêmes, et leur hiérarchie. « Signaler des difficultés à son chef ne doit pas être perçu comme un aveu de faiblesse », conclut-il.
En 25 ans, 1135 policiers ont mis fin à leur jour, la moitié avec leur arme de service. 2017, comme 1996 ou 2014, s’annonce comme une année noire.
* Son prénom a été changé à sa demande
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