Le mal-être au travail est-il une fatalité ?


20 juin 2018

Stress, burn-out, risques psychosociaux : ces termes techniques nous sont devenus familiers. Le phénomène du mal-être au travail semble toucher de plus en plus de personnes autour de nous, qu’il s’agisse d’un collègue ou d’un proche, quand il ne s’agit pas… de nous-même. Tous les niveaux hiérarchiques sont concernés, tous secteurs confondus : direction d’entreprise, encadrement, exécutants, indépendants. Même les députés, collaborateurs et fonctionnaires de l’Assemblée Nationale ont dénoncé, début juin, des conditions de travail de plus en plus difficiles.

La situation n’évolue pas, alors que jamais la santé mentale au travail n’a été aussi présente dans le débat public et scientifique. Le sujet s’est imposé en 2000 avec les travaux de la psychiatre Marie-France Hirigoyen autour du harcèlement moral. L’hyper-médiatisation des suicides chez France Télécom a suivi, dès 2006. Depuis, se sont enchaînés trois plans Santé-Travail (le dernier couvrant 2016 à 2020), un Accord National Interprofessionnel sur la Qualité de Vie au Travail (en 2013), la loi Rebsamen (en 2015), des groupes de travail ou des missions dédiées, jusqu’aux débats récents autour de la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. Aujourd’hui, on attend le rapport de la mission sur la prévention des risques professionnels lancée par le gouvernement en novembre 2017, annoncé pour mars et plusieurs fois reporté.
Ainsi s’installe peu à peu, en chacun de nous, l’idée que la souffrance psychique au travail est une fatalité. Les scientifiques, pourtant, ont des pistes – et même une responsabilité – pour lutter contre ce sentiment général de résignation.

Le burn-out est largement dénoncé mais les cas continuent à se multiplier, générant un sentiment de résignation. alex kotliarskyi unsplash

Des maux difficiles à mettre en mots

L’une des causes assez évidentes au fatalisme ambiant est le contexte global de crise économique et de peur du chômage, où chacun mesure sa « chance d’avoir un travail ». Ces circonstances amènent certains salariés à relativiser leur mal-être, à « faire avec ». Mais elles n’expliquent pas tout. Quid, par exemple, du fatalisme qui s’exprime aussi chez des fonctionnaires en souffrance psychique, alors même que ceux-ci bénéficient de la garantie de l’emploi ?
Au-delà du contexte économique, la résignation tient, à notre sens, à la difficulté de mettre précisément le doigt sur la souffrance mentale. Cet état n’est pas facile à caractériser, y compris pour les chercheurs. Dans une même situation de travail, une personne se sentira stressée alors qu’une autre, non ; une personne peut aussi se retrouver en état de mal-être alors qu’elle ne l’était pas quelques années auparavant, dans un cadre inchangé.

Il est également délicat d’établir un lien de cause à effet entre des facteurs forcément nombreux – parmi lesquels certains relèvent de la sphère privée – et la souffrance mentale d’une personne.

Par ailleurs, les mots pour désigner cette souffrance ne sont pas toujours bien définis, compliquant la « mise en mots des maux », tant par la personne qui souffre que par la personne en charge de prévenir cette souffrance. En effet, un même terme, par exemple « stress », peut recouvrir des réalités différentes selon la personne qui l’utilise, son métier, son milieu ou son expérience. Dans la bouche d’une infirmière, le mot « stress » peut faire référence à sa charge de travail et au manque de moyens pour l’accomplir. Pour un policier, ce mot peut désigner un tout autre phénomène, par exemple les situations d’incertitude où il doit prendre une décision difficile comme dégainer son arme. Ces concepts « valises » rendent les phénomènes difficiles à décrire précisément.

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Pour Muriel Pénicaud, « le burn-out n’est pas une maladie professionnelle »

Pour Muriel Pénicaud, « le burn-out n’est pas une maladie professionnelle »
13/02/2018
Le burn-out n’est pas un mal lié au travail, affirme la ministre du Travail. Une prise de position conforme à la loi, que beaucoup voudraient pourtant changer.
La question revient régulièrement dans le débat politique. Faut-il ou non reconnaître le burn-out comme une maladie professionnelle? Cette reconnaissance implique de faire entrer le syndrome d’épuisement professionnel dans le tableau des maladies liées au travail et indemnisées par la Sécurité sociale.
Interrogée lundi 12 février sur cette question, Muriel Pénicaud, à la tête du ministère du Travail a balayé la possibilité, arguant que le burn-out n’était pas une maladie professionnelle. « Toute la communauté médicale, dont l’OMS, dit que ce n’est pas une maladie professionnelle. Ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas se développer dans le monde du travail bien sûr, a-t-elle déclaré. Mais [le reconnaître], cela voudrait dire que c’est lié à 100% au milieu professionnel. Or, ça n’est pas le cas. » CQFD.
Un avis qui rejoint celui formulé le 22 octobre dernier par sa collègue du gouvernement, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn : « Aujourd’hui, il s’avère que ce n’est pas une maladie. C’est un ensemble de symptômes et donc, c’est très difficile de décider que c’est une maladie professionnelle. »

Un parcours du combattant pour être reconnu

L’épuisement professionnel est effectivement défini par un ensemble de symptômes pouvant entraîner diverses pathologies psychiques: dépression, anxiété généralisée ou stress post-traumatique. Mais, pour le moment, aucune de ces affections psychiques ne figurent dans la liste des maladies professionnelles, élaborée en concertation par les partenaires sociaux siégeant au sein du conseil d’orientation des conditions de travail. Une inscription dans ce tableau permet une reconnaissance automatique et une prise en charge complète.
Mais il faut que tous, patronat et syndicats, soient d’accord. Difficile de penser que le patronat puisse donner son aval pour augmenter le nombre de maladies prises en charge par la branche accidents du travail et maladies professionnelles de l’assurance maladie… financées par les cotisations des employeurs.
Depuis la loi Rebsamen, il est cependant possible de faire reconnaître certains maux dans le cadre d’un parcours dit « hors tableau », plus long et moins automatique. Le salarié doit pour cela passer devant un comité régional et de prouver que la pathologie a été causée par le travail habituel et a entraîné une invalidité de 25%. Un taux quasi inatteignable…

Bataille de chiffres et de tableaux

Plusieurs tentatives issues des rangs de la gauche ont vu le jour ces dernières semaines afin de faire évoluer la législation. Les députés insoumis François Ruffin et Adrien Quatennens ont profité de leur niche parlementaire du 1er février dernier pour présenter une proposition de loi créant un nouveau tableau des maladies professionnelles avec les pathologies psychiques. Mais le texte a été rejeté.
Autre tentative en cours : celle des députés Nouvelle Gauche Boris Vallaud et Régis Juanico consistant, cette fois, à modifier la procédure de reconnaissance complémentaire, hors tableau des personnes en épuisement professionnel. Une idée dans la lignée de celle portée en 2015 par Benoît Hamon, qui avait été retoquée.
« Jusqu’à présent, ça a toujours bloqué car il n’y avait pas la volonté patronale, dénonçait François Ruffin, le 31 janvier dernier. Et les majorités successives ne veulent pas leur forcer la main. » Faire reconnaître ces pathologies équivaut à les sortir uniquement de la sphère privée pour désigner la responsabilité du monde du travail. Un changement que le gouvernement ne souhaite apparemment pas adopter.
Muriel Pénicaud assure en effet qu’elle préfère tout miser sur une prise en charge en amont. La clé c’est la prévention. On a un système qui répare et compense quand c’est trop tard. Il faut faire de la prévention », a-t-elle répété sur BFM lundi 12 février. Une position qui n’a pas manqué de faire réagir le député insoumis, Adrien Quatennens.

La bataille pour la reconnaissance du burn-out, n’a pas fini de diviser… Et devrait resurgir bientôt: un rapport commandé par le gouvernement est attendu fin mars.

L’urgence est là. Selon une étude du cabinet Technologia publié en 2014, trois millions d’actifs seraient en risque élevé de faire un burn out.

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