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Vous appelez ça une fête ? La bière est chaude, les femmes sont glaciales et je bouillonne de rage.
Groucho Marx, Monnaie de singe. 1931
Il est facile de comprendre pourquoi, tout au long de notre histoire, les primates ont été l’objet de nos projections et donc de notre vénération, de notre admiration et, parfois, de notre dérision. Il est tentant et justifié de comparer aux nôtres leurs structures sociales, leur aspect physique, le développement de leur cerveau, leurs comportements et leurs talents. On retrouve pratiquement toutes les grandes formes d’organisation sociales chez les singes de l’Ancien et du Nouveau Monde, chez les grands singes (orang-outan, gorille, chimpanzé et bonobo) ou les moins grands (gibbon).
Jusqu’à récemment, nous pensions que les primates étaient les seuls à pouvoir inventer et manipuler des outils, ou à manifester des émotions telle que l’empathie. Nous nous identifions à un petit singe perché dans la conopée de la forêt amazonienne par une nuit de pleine lune, appelant de son cris mélancolique le compagnon ou la compagne de sa vie. Et pourtant, se balançant dans les ombres de l’arbre ancestral de l’humanité, « singe » parle aux images et aux fantasmes ambivalents de nos origines animale – tant à leur perfection virginale idéalisée qu’à l’hilarité débridée et ridicule des instincts et des bouffonneries de notre « esprit de singe ».
Semeur de troubles qui « cherche » néanmoins un code de conduite (à l’instar des trois singes de la sagesse qui « ne voient rien, n’entendent rien, ne disent rien »), le singe incarne le triste état de linéarité tiraillée entre, d’une part l’anormalité et la linéarité de l’expression instinctuelle, de l’autre l’aspiration à l’évolution social et émotionnelle.
Il fut immortalisé dans la mythologie maya pour être la seule créature à avoir survécu à la destruction de la Création par les dieux ; vénéré dans l’ancienne Egypte en tant que Thot, ami des morts et esprit de la sagesse secondant le pharaon ; élevé en Inde au rang du dieu Hanuman, celui à la forte mâchoire, le guerrier parfait et sans armes, le fils du vent qui déplace des montagnes.
Le singe impudent et malin a régné en maître dans de nombreuses cultures anciennes. Cependant, lorsqu’il a commencé à arpenter les savanes théologiques judéo-chrétiennes et islamiques, son image s’est chargée des projections de luxure, de cupidité et de perniciosité de l’humanité, devenant la « perversion » de l’œuvre de Dieu. un bestiaire du 12e siècle déclare que si le singe tout entier est « révoltant, son derrière est scandaleux et laid à outrance ».
Au Moyen-Age, Satan était décrit comme le simia dei (le singe de Dieu) et l’art chrétien dépeignait souvent le diable avec un scandaleux postérieur simiesque.
Dans les représentations les plus dégradantes, un singe tenant une pomme dans sa bouche signifiait la chute de l’homme.
A l’époque moderne, tandis que les « hordes primales » envahissaient le paysage de la découverte scientifique et de la psychanalyse, l’image du singe est restée divisée quoi qu’elle se soit adoucie. Il en est venu à incarner la vérité décevante mais édifiante de la théorie de l’évolution et à servir de guide vers le côté « primitif » angoissé de la civilisation et du psychisme humain. Il a conservé des connotation ambivalentes de répression s’opposant à la libre expression et s’est chargé de nouveaux signes d’une culture patriarcale qui s’emballe. En outre, « les hommes ne sont pas le ‘produite fini’ de l’évolution des grands primates. Chaque espèce au sein de la famille des hominidés a suivi son propre chemin révolutionnaire, bien que toutes partagent un ancêtre commun » (Grzimek) ce que souligne le masque saisissant du peuple Makondé.
Se distinguant de la trajectoire occidentale, le roman bouddhiste chinois du 16e siècle le Voyage en Occident, ou le Roi des singes, raconte les aventures d’un singe qui finit par devenir un dieu. Agaçant sans cesse les hommes et les dieux, handicapé par son ivrognerie, sa sottise et sa prétention mais néanmoins en quête de sagesse, le singe utilise sa ruse, sa persévérance et sa soir de vivre pour atteindre à la fois l’immortalité et une place durable dans le panthéon chinois en tant que « dieu du conflit victorieux ». Le dieu des magiciens et des transformations de l’alchimie, le singe révèle notre bêtes mais, en tant que personnification de l’activité instinctuelle, il apporte également des bienfaits considérables.
Allan Tony, Charles Phillips et John D. Chinnery, Land of the Dragon : Chinese Myth. Amsterdam, 1999.
Freud, Sigmund, Malaise dans la civilisation, trad. Aline Weill. Payot. Paris, 2010.
Grzimeck Bernard et Maurice Fontaine (éd.) Le Monde animal en 13 volumes : encyclopédie de la vie des bêtes, Mammifères, I. III. V. Stauffaucher, Zurich. Paris, 1971.
Mercatante, Anthony S. Zoo of the Gods : Animals in Myth, Legend & Fable. NY. 1974.
Le livre des symboles – Réflexions sur des images archétypales (Relié)
Ami Ronnberg, Kathleen Martin
Collectif
Date de parution : 01/08/2010
Editeur : Taschen
ISBN : 978-3-8365-2574-9
EAN : 9783836525749
Présentation : Relié
Nb. de pages : 807 pages
Poids : 1.79 Kg
Dimensions : 17,5 cm × 24,5 cm × 5,5 cm
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