L’État devrait entendre et aider les victimes des attentats, mais à son tour il leur fait mal
11/11/2016
Samia Maktouf – Avocate de plusieurs familles de victimes des attentats
Il n’indemnise qu’au compte-gouttes, seulement le corporel, toujours pas le psychologique, souvent au forfait, toujours au prix d’une avalanche de pièces à fournir.
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Aujourd’hui plus qu’hier, le terrorisme tire dans le tas. On n’attaque plus seulement des symboles, ou des personnes en raison de leur profession, de leur religion, ou de ce qu’elles représentent. Faire couler le sang était un moyen, c’est aujourd’hui devenu une fin. C’est dans ce contexte que s’exerce désormais le droit: tout le monde peut être victime d’un attentat, n’importe où et n’importe quand.
Il est incompréhensible que ce changement de paradigme n’ait pas entraîné un changement d’attitude des pouvoirs publics envers les victimes et les proches des assassinés. Là où l’État devrait les aider, les entendre, les accompagner, à son tour il leur fait mal.
Au mieux, ce mal est symbolique. Lors des commémorations organisées depuis la Marche républicaine du 11 janvier 2015, certaines victimes sont laissées au bord du chemin, comme si leur douleur valait moins que celle des autres. Ainsi de mon client Sami, blessé par balle au café du Bataclan, qui fut tenu à l’écart d’une cérémonie d’hommage aux Invalides.
Mais que dire quand le problème dépasse le simple symbole ? Évoquons le cas du Fonds de garantie attentats (FGA), l’organisme d’Etat chargé d’indemniser les victimes. Quand bien même la justice reconnaît certaines d’entre elles « victimes civiles de guerre », le FGA n’indemnise qu’au compte-gouttes, seulement le corporel, toujours pas le psychologique, souvent au forfait, toujours au prix d’une avalanche de pièces à fournir, et parfois à l’issue de contre-expertises où les médecins se font inquisiteurs et se montrent humainement insensibles.
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Et que dire d’Omar, ce vigile du Stade de France, soufflé par l’explosion devant ses yeux de Bilal Hadfi ? Quelques semaines plus tard, il se tenait là, dans mon cabinet, prostré devant un simple formulaire à remplir. Alors qu’il était incapable de prononcer le moindre mot, comment s’attendre à ce qu’il remplisse le déluge de formulaires qui lui était demandé ?
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Mes clientes Catherine, piétinée par la foule paniquée du France-Allemagne sous les yeux de ses enfants mineurs, et Laura, employée du Stade prostrée derrière son guichet d’accueil, ont souffert toutes deux d’un important choc post-traumatique. Malgré cela, la justice ne les a pas reconnues comme victimes. Le magistrat instructeur des attentats du 13 novembre, souverain dans sa décision, a estimé qu’elles n’étaient pas « suffisamment proches de la détonation ». Fallait-il qu’elles explosent avec le terroriste ?